Parce que les étudiantes sont en France aujourd’hui majoritaires dans les écoles d’architecture, parce que la présence des femmes dans la profession augmente chaque année et que leurs réalisations – lorsqu’elles accèdent, trop rarement, à la commande – sont célébrées par la critique à égalité avec celles des hommes, on pourrait croire que la question du féminisme ne se pose plus dans le monde des architectes. Il subsiste pourtant encore beaucoup d’inégalités ; il n’est qu’à voir le peu de femmes présentes dans la tête du classement des agences d’architecture par chiffre d’affaires que nous publions ce mois-ci. Ne pas s’interroger sur le genre dans un monde aujourd’hui fortement traversé par cette question serait surtout se priver d’une dimension essentielle qui lie l’architecture à la société. On sait que l’espace de la ville est souvent déterminé par les comportements masculins, mais qu’en est-il de l’architecture ? D’aucuns associent les femmes à un art de bâtir qui serait plus sensuel, doux, voire coloré ! Ce marketing bassement opportuniste renvoie aux pires clichés du machisme : Monsieur maîtrise les choses sérieuses pendant que Madame choisit les rideaux. Car même si l’œuvre dessinée de Lequeu (1757-1828) – auquel nous consacrons quelques sulfureuses pages – pourrait le faire croire, le genre relève sans doute moins des formes que des stratégies de conception ou, plus simplement, d’une manière d’exercer la profession. C’est peut-être en cela que la question est importante : au-delà des problèmes de parité ou de justice, elle nous oblige à penser autrement la pratique du projet. Une question à laquelle nous n’avons évidemment pas la prétention de répondre ici. Mais à l’heure où les acquis des combats féministes sont violemment remis en cause, même en Occident, il était plus que temps de l’aborder dans nos pages.
Emmanuel Caille
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