Du sacré au profane, concours Ville-Port de La Grande-Motte

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 10/12/2018

Projet lauréat (Agence François Leclercq, Boutté & Associes)

Article paru dans d'A n°268

La Grande Motte, ses pyramides aztèques revisitées par Vasarely et l’op art : le rêve d’une architecture populaire et moderne moins fondée sur la nécessité et les besoins que sur le superflu et les plaisirs. Une création ex nihilo qui a surgi des marais insalubres languedociens par décision d’État comme la Brasilia de Niemeyer et Costa s’est élevée sur son plateau désertique par la volonté du charismatique Juscelino Kubitschek. Mais comment repenser cette station balnéaire dont le contexte a évolué ? C’est toujours la plage, l’été et le soleil, mais c’est aussi la métropole montpelliéraine, tous les jours, même en temps de pluie. Les regards croisés des quatre équipes en lice nous donnent des indices sur les potentialités de cette hétérotopie des sixties.

La Grande-Motte c’est surtout les débuts de la Cinquième République du Général de Gaulle. Un État puissant, capable de lancer dans tout le pays de nouvelles infrastructures routières et d’organiser paternellement le temps libre des français en construisant, souvent ex-nihilo, des stations de sport d’hiver dans les montagnes et des villes balnéaires en bordure de mer. Des missions menées par de hauts-fonctionnaires - ici, Pierre Racine - ayant fait leurs classes dans les colonies où ils avaient la charge de territoires très étendus.

Rien ne semblait prédestiner cette zone marécageuse et malsaine du littoral languedocien à devenir le sanctuaire d’un nouveau culte solaire. Pour être domestiquée, cette nature hostile a subi un traitement de choc, comme si une véritable guerre lui avait été déclarée. D’abord des attaques aériennes : des avions ont procédé aux campagnes de démoustication en déversant des tonnes de DTT. Ensuite l’assaut terrestre : des bulldozers ont été lancés pour créer l’étang du ponant dont les remblais ont servi à exhausser le sol d’environ deux mètres afin de mettre la ville à l’abri des inondations. Au centre de la future implantation urbaine, le port a été creusé en fonction des courants et des vents marins. Son tracé pivote ainsi de 45 degrés par rapport au rivage ce qui déterminera par la suite l’orientation de la trame viaire du centre-ville.

Après ces travaux préliminaires, les constructions en béton ont commencé à s’élever pour former un ensemble coupe-vent protégeant les plantations nouvelles qui achèvent la transmutation de cette terre aride. Contrairement aux stations plus anciennes, avides de palmiers et d’autres arbres exotiques, des essences locales ont été implantées pendant plus de 40 ans pour dessiner une ville-parc dont la végétation occupe plus du tiers de la surface.

 

Le sanctuaire d’un nouveau culte solaire

Le projet de Jean Balladur cherche à exprimer ce nouvel attrait irrésistible pour la mer qui pendant des siècles était seulement perçue comme un moyen de subsistance. Un changement de fond qui a débuté au XIXe siècle, d’abord porté par une aristocratie attirée l’hiver par les lieux de villégiatures tempérés par la présence de l’eau, puis qui s’est étendu dès la fin de la première guerre mondiale à toutes les classes sociales pour trouver son acmé dans les années soixante et leurs périodes estivales de transhumances massives.

Ces formes en béton uniformément recouvertes d’enduit blanc ont beaucoup de points commun avec l’architecture brésilienne de la même époque notamment les constructions hédonistes d’Oscar Niemeyer autour du lac artificiel de Pampulha : club nautique, galerie d’art, musée, casino… Des réalisations très éloignées des préoccupations européennes axées sur la question du logement de masse. Mais c’est étrangement les hautes pyramides barbares des aztèques et des mayas qui ont servi de modèle à Jean Balladur pour ses constructions trapézoïdales.

L’architecte démiurge des années soixante n’a pas hésité à jouer sur les syncrétismes les plus audacieux, dont on pourrait maintenant sourire. Ainsi sa ville se décompose en deux quartiers : celui du Levant composé de tours phalliques, et celui du Ponant, rassemblant des immeubles en formes de conques lovées sur une intimité toute féminine. Au centre la grande pyramide, un immeuble tripode aux courbes sensuelles conjuguant les caractéristiques des précédents.

 

L’objet du concours était d’agrandir le port. Mais aussi de faire en sorte qu’une population puisse s’installer de manière pérenne dans cette ville qui décuple l’été sa population et qui reste l’hiver peu occupée. Notamment en construisant les grands logement familiaux qui manquent cruellement à ce parc essentiellement composé de deux pièces et de studios conçus pour que les familles des trente glorieuses puissent s’y entasser les quelques jours de leurs vacances.

Il était demandé aux équipes en lice de poursuivre la rue des Voiliers par une nouvelle digue-promenade et de prévoir dans le port 400 emplacements de bateaux supplémentaires. De déplacer la zone technique, formant actuellement une césure au pied de la Grande Pyramide, et de définir à sa place les principes d’un nouveau quartier permettant la continuité de la skyline des constructions du Ponant et du Levant. Mais surtout d’accompagner la transformation inéluctable de ce lieu de vacances pour classes moyennes, décidé par un État Nation paternaliste, en secteur actif d’une agglomération montpelliéraine qui tend à devenir une métropole globalisée. Autre changement de paradigme : les aménagements devaient tenir compte de la transition écologique et réfléchir à des solutions pour certaines pathologies du site. Notamment les phénomènes d’érosion et d’accrétion concernant respectivement les plages du Levant et du Ponant…

 

Le territoire

Agence François Leclercq, Boutté & Associés (Lauréat)

François Leclercq a su développer une vision totalement territoriale du projet parfois anecdotique de Jean Balladur. La ville est vue depuis la mer pour être réinsérée dans son contexte : le massif des Cévennes, la métropole montpelliéraine, la côte aquitaine. Un angle d’approche qui permet d’appréhender les immeubles des années soixante, moins comme des constructions référencées que comme des masses telluriques entretenant d’intimes correspondances avec le relief montagneux qui ferme l’horizon. Ainsi le nouveau quartier d’immeubles de grands logements qui va remplacer la zone technique au pied de la Grande Pyramide est-il moins dessiné que ceux des concurrents pour mieux s’affirmer comme une géographie. Il se présente comme des superpositions de plateaux plantés pouvant librement s’orienter en fonction des vues, des vents et de la lumière.

Ce quartier est coupé par une diagonale qui permet une liaison efficace des voies servantes qui, à l’arrière, irriguent la ville aux promenades ostentatoires du bord de mer : celle de la plage du Ponant, celle de la nouvelle jetée et celle du quai d’honneur. À ses pieds, le nouveau bassin sera creusé mettant les logements à proximité des bateaux.  Tandis que les parkings du centre du port seront remplacés par des ateliers et des hangars ainsi que par un pôle nautique.  Des constructions qui formeront un pôle actif placé au cÅ“ur du dispositif portuaire. Les arbres, à l’origine prévus uniquement dans la partie Nord par le paysagiste Pierre Pillet pour être protégés des vents marins, s’immisceront sur les quais pour animer la promenade. Celle-ci sera renforcée par une chaîne d’espaces publics où des évènements pourront être programmés tout au long de l’année.

 

La trame

Carlos Ferrater

La digue vient s’inscrire dans le prolongement de la rue des Voiliers et son glissement vers l’Ouest détermine l’emplacement du nouveau bassin. Ce qui permet le déplacement de la zone technique et des chantiers navals sur une presqu’île dont la pointe placée face à l’entrée du port est soulignée par l’héroïque porte-à-faux de la Maison de la mer. Quant aux nouveaux logements, ils forment un peigne dont les dents - des doubles barres enserrant des passages - se délitent en d’amples terrasses descendant vers la mer, une relecture très rationnelle des principes de Jean Balladur.  

Le cordon lagunaire des plages du Levant et du Ponant se poursuit entre la ville et le port sous la forme d’une pinède composée de plus de mille arbres. La continuité de cette promenade est renforcée par l’implantation des pièces urbaines, notamment par la place du forum à l‘est ainsi que par l’école de voile et la galerie commerçante à l’Ouest.

Contrairement à l’équipe précédente, soucieuse de géomorphisme, celle réunie autour de Carlos Ferrater revient d’une manière presque obsessionnelle sur la trame orthogonale qui régente l’organisation du centre-ville. Tous les aménagements proposés rentrent ainsi en consonance avec elle, comme s’il s’agissait du contexte ultime de la ville, à l’instar des grilles coloniales espagnoles qui scarifiaient les sols vierges de l’Amérique latine.

Ainsi tous les éléments sont-ils systématiquement soumis à l’orientation originelle, en suivant des rythmes différents de manière à créer un véritable plan polyphonique. Les places de parking devant le quai principal reprennent ce thème en mineur, comme les pavés de céramique ronds et colorés des trottoirs ; les pontons et les places de bateaux,  comme les halles de la zones techniques et les nouvelles barres de logement…

 

La plage

Élisabeth de Portzamparc

La digue et sa promenade viennent poursuivre la rue des Voiliers, mais elles sont renforcées par les différents équipements portuaires qui s’alignent à l’Est, sur toute la longueur de la jetée. Ces éléments, scandés par des cours interstitielles, sont unifiées par des fanons en béton blanc dont les courbes invoquent une sensualité toute brésilienne. Une solution qui permet de dégager les vues sur les bateaux et sur la mer depuis le quai d’honneur. Tandis que la continuité des plages du Ponant et du Levant est assurée par un quai et un pont mobile qui coupent le port en diagonale. Accompagné de multiples kiosques ce cheminement festif permet d’intégrer les bassins aux activités urbaines. Quant au nouveau quartier,  il se compose de trois îlots composés d’agglomérations de plots plus ou moins hauts, dont la skyline s’accorde à celle des bâtiments existants tout en s’exprimant dans une « Ã©criture épurée et géométrique Â». Les jardins suspendus des constructions les plus basses savent entrer en écho avec le sol planté.

 

La mer

Cobe

L’équipe danoise a appréhendé la ville depuis la mer, comme l’a fait Balladur en son temps. Comme dans la proposition précédente, le port est dégagé de toute construction et les nouveaux équipements viennent s’aligner le long de la nouvelle digue occidentale. Mais ils sont cette fois unifiés par des bandes parallèles de toitures, plissées et dynamiques. D’amplitude différentes et équipées de panneaux solaires blancs, elles évoquent aussi bien les sheds des bâtiments industriels que les mouvements des vagues. Un thème que l’on retrouve dans la grande ombrière qui vient requalifier le quai d’honneur.

Les nouveaux immeubles de logements se posent comme des mises à jour des trapèzes balladuriens vintages. Base en retrait, bloc étages en encorbellement, toiture pyramidale, le tout emballé dans une enveloppe uniforme dont les ouvertures sont cette fois triangulaires.

Un projet qui reste très graphique mais qui témoigne cependant de l’intérêt porté à cette station par une nouvelle génération d’architectes. Ainsi Sou Fujimoto aurait-il présenté un dossier pour participer à la consultation...     

Les articles récents dans Concours

Revitaliser Concours pour la nouvelle salle polyvalente du Cendre (Puy-de-Dôme) Publié le 15/11/2024

Penchons-nous sur ce petit concours exemplaire visant à reconstruire une salle polyvalente. Un nouv… [...]

Espaces communs Concours pour l’astrolabe, la scène des musiques actuelles d’Orléans, Fleury-les-Aubrais Publié le 15/10/2024

Ouf, cette fois pas de bunker, ni de lanternes magiques, la plupart des équipes abonnées à ce ty… [...]

Insérer une enclave sécurisée dans une ville en devenir. Concours pour la construction d’un pôle de conservation pour la Bibliothèque nationale de France à Amiens Publié le 27/08/2024

Comment inscrire une partie de la collection de la Bibliothèque nationale, un espace sécurisé en … [...]

Le texte et la trame - Cité des imaginaires, grand musée Jules-Verne : dialogue compétitif organisé par la métropole de Nantes Publié le 03/07/2024

Un dialogue compétitif qui attire l’attention par la cohérence entre son site, son programme et… [...]

Exercices de virtuosité - Concours organisé par Paris Habitat pour la construction de 12 à 14 logements sociaux, rue Beaunier, Paris 14e Publié le 29/04/2024

Paris Habitat a invité quatre jeunes équipes d’architectes pour insérer une douzaine de logem… [...]

Quatre écrins pour une relique - Concours pour la rénovation et l’extension du musée de la Tapisserie de Bayeux Publié le 01/04/2024

Comment présenter dans les meilleures conditions possibles une bande de lin brodée datant du XIe&… [...]

.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Novembre 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
44    01 02 03
4504 05 06 07 08 09 10
4611 12 13 14 15 16 17
4718 19 20 21 22 23 24
4825 26 27 28 29 30  

> Questions pro

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6

L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l…

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6

L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent.

Quel avenir pour les concours d’architecture publique 2/5. Rendu, indemnité, délais… qu’en d…