Yasmeen Lari |
Dossier réalisé par Stéphanie DADOUR Le care et l’empowerment : des
outils de décolonisation Yasmeen Lari, architecte, historienne et
cofondatrice de Heritage Foundation of Pakistan, Pakistan |
Yasmeen Lari pense que les architectes femmes des pays dits « développés » ont probablement plus de difficultés qu’elle ; car travailler dans un pays comme le Pakistan permet d’agir à différents niveaux tant les problèmes persistent : « J’ai pu travailler dans le patrimoine. J’ai pu écrire des livres. J’ai pu m’asseoir dans la rue et défendre les intérêts du patrimoine. »
Retour aux techniques traditionnelles, compréhension fine du contexte social et environnemental… elle s’intéresse aux constructions à moindre coût afin de concevoir des lieux de vie accessibles aux plus démunis. Après le séisme de 2005, elle met au point un système d’abri construit avec des murs en pisé et en terre et des renforts en bambou ; soit des matériaux disponibles localement et adaptés aux aléas naturels.
Particulièrement sensible au statut des
femmes dans la société pakistanaise, Yasmeen Lari a conçu de nombreux
dispositifs spatiaux facilitant les tâches domestiques. Tout comme nombre
d’opérations de logements conçues par et pour des femmes et cherchant Ã
faciliter les tâches domestiques, Lari conçoit des immeubles d’habitations peu
élevés, dont les logements sont attenants à des cours et à des terrasses où les
femmes peuvent travailler, cultiver des légumes, entretenir un poulailler tout
en surveillant les enfants qui jouent.
Mais elle est surtout connue pour la
conception d’un dispositif permettant d’autoconstruire sa propre chulah (four
traditionnel fait de terre ou de brique), à la fois plus résistante, plus
hygiénique. La chulah qu’elle conçoit a l’avantage, de par la surélévation du
sol, d’accorder de la dignité au travail des femmes, les plus démunies, celles
vivant dans la rue. Lari explique : « Vous apprenez à être avec elles, à les
écouter, à comprendre ce dont elles ont besoin – et vous devez ensuite trouver
la meilleure solution. Vous devez aussi regarder leurs traditions
vernaculaires. » La Heritage Foundation of Pakistan a, de son côté, formé
plusieurs stove sisters, des personnes pour la plupart peu alphabétisées
formant les ménagères à la construction de leur chulah.
On pourrait dire que Yasmeen Lari est une
écoféministe puisque son travail se réclame du care ; cette disposition Ã
répondre intelligemment à des situations particulières et surtout à s’adapter
au contexte. Le care est une notion anglosaxonne des années 1980 qui a
longtemps été associée à une éthique féminine du développement
interpersonnel et des interactions sociales et qui est aujourd’hui redéfinie ainsi
: « Activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous
faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin
que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos
corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous cherchons Ã
relier en un réseau complexe en soutien à la vie1. » Lari est aussi
écoféministe car son engagement sociopolitique apporte une dimension critique
sur le colonialisme, de deux points de vue : de la domination de l’homme sur la
nature et de la domination de l’homme sur la femme. « Nous avons étudié les
livres que les Britanniques nous ont donnés. Nous avons écrit certains de nos
propres livres. Nous devons écrire beaucoup plus de (nos propres) livres. Parce
que notre interprétation sera différente. Nous avons beaucoup à faire si nous
voulons que notre architecture corresponde à notre réalité », dit-elle.
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