Quel avenir pour les concours d’architecture publique 2/5. Rendu, indemnité, délais… qu’en disent les architectes ?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 27/08/2024

Article paru dans d'A n°319

D’a : Quelle adéquation y a-t-il entre les éléments de rendu requis et l’objet des concours ?
Marc Barani : Il y a une surenchère dans les rendus requis. Un maître d’ouvrage lance souvent un projet avec des idées généreuses mais les tendances actuelles grippent le process par la diversité des spécialistes ou des experts – mot que je déteste – consultés dans les commissions techniques. Chacun avance des certitudes alors qu’au stade du concours une dose de flou est fertile pour laisser le projet mûrir vers sa complétude. Penser que l’architecture est une somme de bonnes réponses partielles relève de la myopie.

Corinne Vezzoni : Dans un concours MOP, les prestations demandées sont plus importantes qu’à l’origine mais avec l’avantage d’être efficaces car imposées de façon identique à tous les candidats. Dans un marché négocié, la surenchère entre films, maquettes et autres documents est très coûteuse pour toute l’équipe même si l’entreprise assume une grande partie des frais. Au vu du temps passé – deux ans de travail en règle générale avec une équipe très importante (architectes, ingénieurs, économistes, juristes, investisseurs, graphistes, etc.) –, l’indemnité reste souvent faible. Cela déprécie le travail de la maîtrise d’œuvre car la somme de travail fournie est colossale.

Patrick Mauger : Il y a souvent surenchère, surtout sur les perspectives et les films. Lors des questions-réponses avec le maître d’ouvrage et ses AMO, nous leur demandons fréquemment de réduire ces demandes ou de cibler au mieux les éléments nécessaires pour juger du projet. Prenant conscience du bien-fondé de cette requête, ils l’acceptent en général.

Bruno Gaudin : Afin de s’assurer que tout est résolu, un maître d’ouvrage peut demander pléthore de détails qui masquent les grands enjeux mais qui exigent un travail considérable en phase concours. Le poids croissant des questions sur la fonctionnalité du bâtiment me paraît préjudiciable car ce n’est pas forcément le bon critère à mettre en avant. L’analyse urbaine du site est souvent négligée au profit de l’analyse fonctionnelle. On nous reprochera ainsi aisément de ne pas avoir placé telle fonction au bon endroit même si, dans tout projet, cela est très facilement ajustable à l’issue du concours. Il en va de même des aspects constructifs car des propositions formulées lors du concours doivent aussi pouvoir évoluer au stade des études. Il est donc regrettable que nous ne puissions pas nous exprimer lors d’un oral.

Étienne Henry (MoonWalkLocal) : C’est très inégal. Nous pouvons parfois nous exprimer sur des panneaux et avec des éléments de rendus adéquats. Dans d’autres concours, les demandes d’éléments multiples semblent résulter de « copier-coller » prélevés dans d’autres appels d’offres par des assistants à maîtrise d’ouvrage qui ne voient pas que ces demandes standardisées sont mal adaptées aux spécificités d’un projet.
Michel de Rocca Serra (Orma) : Entre les vidéos et le nombre de panneaux et d’images, le rendu est souvent surabondant sans être proportionnel à l’échelle du projet. Quelles que soient la taille ou les spécificités des projets, les AMO auteurs des programmes semblent fréquemment se contenter de faire des couper-coller. Ceci tend à favoriser la quantité et non la qualité du projet. Le délai imparti étant fixe, le temps de production s’allonge aux dépens du temps de conception. Les demandes portant sur des éléments techniques et des simulations thermiques dès le stade du concours dans des délais qui ne sont pas extensibles posent aussi question. Ces approches thermiques et dynamiques n’ont pas de sens pour un projet de concours dont beaucoup d’éléments nécessitent d’être développés pour garantir la qualité architecturale. Les architectes doivent produire dans l’urgence tous ces éléments qui peuvent demander des calculs conséquents. On a parfois le sentiment que tous ces documents sont seulement destinés à être montré à la maîtrise d’ouvrage alors que l’AMO n’est pas toujours en mesure de les comprendre ou de les analyser. Tout cela a naturellement un impact sur le projet car la quantité nuit à la qualité.

Reza Azard (Projectiles) : Un concours doit rester un concours avec une forme d’approximation préalable au développement du projet. Demander l’équivalent d’un APS à ce stade est un peu exagéré car la phase esquisse disparaît et la rémunération n’est pas à la hauteur. La beauté et la poésie du concours tiennent à sa part de sensibilité et de création.

Anne-Charlotte Zanassi (Atelier Philéas) : Les maîtres d’ouvrage font parfois appel à des programmistes ou à des assistants à la maîtrise d’ouvrage qui semblent de temps à autre rémunérés à la ligne pour analyser les offres tant le nombre de choses demandées dans le programme confine au délire.
Coralie Bouscal et Vanessa Larrère (agence OECO) : Certains des documents demandés semblent inutiles ou inadaptés à la compréhension du projet. Il n’est pas non plus nécessaire d’imposer des points de vue trop précis pour des perspectives. Ce choix devrait être laissé à la libre appréciation de l’architecte en fonction de son projet.
 
D’a : Quid du rapport entre le volume du rendu, le délai et l’indemnité ?

M. B. : Comme le délai est très tendu, l’approche projectuelle diffère beaucoup de celle de mes débuts. En conception, il n’y a plus de linéarité progressive des échelles de conception du millième au détail. Il faut de plus en plus souvent régler des détails soumis à des contraintes réglementaires ou techniques draconiennes, parallèlement à la recherche des idées fortes du projet, quitte à y revenir ultérieurement dans un processus itératif. Figer les choses rapidement exige de l’expérience. Au vu d’une complexité constructive croissante et passionnante, nous travaillons dès le début avec le BET structure et nous étudions simultanément l’articulation des fonctions. Notre architecture reste dans la même veine mais nous nous appuyons plus qu’auparavant sur la résolution des enjeux techniques comme données d’entrée du projet. Les infrastructures que nous avons réalisées où le process et la sélection pertinente des contraintes génèrent la forme nous ont sans doute influencés.

B. G. : Pour des projets de taille moyenne (5 à 15 millions d’euros), l’indemnité est trop faible. Pour un petit projet qui serait indemnisé 25 000 euros, dont 9 000 seraient affectés à la réalisation des images de synthèse, il ne reste que 16 000 euros à répartir entre les cotraitants. En regard de ces images et de la somme d’éléments techniques attendus, il est difficile de ne pas perdre de l’argent. Ce qui était bien adapté au concours sur esquisse à l’ancienne paraît donc sous-payé face aux éléments à fournir. Mais lors de la séance des questions-réponses, il n’est pas rare que les candidats proposent au maître d’ouvrage, qui souvent l’accepte, de revoir les éléments de rendu à la baisse. Et si le délai est trop court, il est aussi possible de négocier.
Sur de plus gros projets où le montant de l’indemnité est plus confortable et le temps du concours tout aussi limité, l’indemnité ne devrait pas être proportionnelle au montant prévisionnel des travaux mais calée plus objectivement sur le temps passé, l’importance de l’équipe et la nature du rendu.
Demander un film ne devrait pas être permis. Sa réalisation impose de modéliser tout le projet, ce qui nécessite des études plus approfondies que celle d’un concours. On peut aussi s’interroger sur le sens d’une balade filmée dans un projet qui n’est pas finalisé. Quand quelqu’un conseille aux maîtres d’ouvrage de demander ce type de prestations, les outils numériques poussent au vice. Passer du dessin au rendu numérique puis modéliser pour passer à la maquette numérique détaillée est absurde en phase concours, et demander la maquette BIM à ce stade semble une pure folie. Les maquettes physiques qui tendent à disparaître sont un bien meilleur outil pour nourrir le débat des jurys.

C. V. : Souvent mal évaluée en regard des éléments demandés, l’indemnité peut parfois être ajustée lors des questions-réponses avec le maître d’ouvrage. Le planning est un grand sujet ! Le temps indispensable pour concevoir un projet et intégrer toutes ses contraintes n’est pas toujours pris en compte. Un délai court oblige cependant l’architecte à aller à l’essentiel. Il faudrait, dans ce cas, que les prestations se résument à cet objectif : l’impact urbain dans la ville et le parti architectural. Si l’équipe remporte la consultation, il sera temps, ensuite, de développer le projet. Un professionnel en étant tout à fait capable, toute la question consiste alors à savoir si le jury saura lui aussi juger de l’essentiel.

E. H. : L’indemnité est toujours en rapport avec le montant des travaux mais le volume du rendu n’a parfois aucun rapport avec l’échelle du projet. Les volumes du rendu sont a minima identiques et parfois même supérieurs pour un petit projet. Au vu de l’ampleur des éléments demandés et du temps investi par les architectes pour répondre à un concours sur un tel programme, l’indemnité est généralement largement consommée. Le délai est toujours trop serré et les maîtres d’ouvrage tiennent assez rarement compte du poids qui peut peser sur les agences et les équipes pluridisciplinaires demandées.

R. A. : Nous avons la chance, en France, que les projets soient bien indemnisés. Cela nous évite d’être en porte-à-faux sauf quand le volume du rendu est trop conséquent. Le délai imparti est aussi parfois trop court pour tenir le cap du projet. Dans le système anglo-saxon, les concours sont moins rémunérés, par contre les programmes sont moins détaillés, laissant plus de place à la diversité architecturale des propositions.

A.-C. Z : L’adéquation entre le rendu, le délai et l’indemnité est souvent difficile à trouver. Sur le dernier concours en loi MOP auquel nous avons participé (un projet de musée), nous étions quinze cotraitants dans l’équipe et le rendu portait sur douze panneaux, dix perspectives et un nombre d’éléments de calculs très conséquent, c’est excessif ! En matière d’indemnisation, la loi MOP a le mérite de préciser les critères. Dans les MGP (marché global de performance, nldr), c’est très variable. Même si le montant de l’indemnité peut être important, le travail et le volume du rendu sont décuplés dans ces consultations qui durent souvent un an et plus.

P. M. : Il est vrai que, dans le cadre de l’indemnité allouée, tout mener à bien peut s’avérer difficile : réfléchir, dessiner et présenter le projet. Sur une moyenne huit à dix concours par an, nos tableaux de comptabilité analytique montrent qu’il y a encore cinq ans l’activité des concours était équilibrée alors qu’aujourd’hui l’investissement dépasse l’indemnité. Dans le concours en conception-réalisation pour la future Cité des outre-mer, le délai était de huit semaines mais l’entreprise avait besoin de quatre semaines pour chiffrer le projet, ce qui limitait aux quatre premières semaines notre temps de conception.
Il est aussi assez fréquent que les maîtres d’ouvrage fixent le calendrier de concours avec une remise de programme avant leurs propres vacances d’été et un rendu à leur retour, ce qui peut condamner les architectes à un été studieux alors que certaines agences et la plupart des BET ferment pour un mois. Mieux anticiper les délais serait judicieux.

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