Deux projets récents de rénovation de maisons anciennes par Récita et Archiplein montrent que l’intervention dans l’existant est plus que jamais un champ fertile de création. À l’intérieur comme à l’extérieur, c’est une grammaire et un vocabulaire architectural aussi référencés qu’inventifs qui sont proposés par ces agences lyonnaise et genevoise.
Sous les effets conjugués de l’épuisement des ressources et de la lutte contre le réchauffement climatique, la création architecturale se fait désormais plus souvent ex materia que ex nihilo. Inventer n’implique plus de faire place nette, mais de « créer dans le créé » comme y incitaient déjà au milieu des années 1980 une exposition et un ouvrage qui méritent d’être redécouvert1. Pour les architectes la problématique n’est donc pas nouvelle, mais les réponses apportées ont peut-être aujourd’hui une signification particulière. Les interventions dans l’existant s’inscrivent en effet désormais autant dans une logique de sauvegarde du patrimoine et de remémoration du passé que dans une projection vers un avenir qu’il convient de ne pas hypothéquer avant de lui donner une expression propre.
Dans cet esprit, deux réalisations retiennent ici conjointement notre attention. À Clermont-Ferrand, Christophe Desvignes et Luc Pigeon de Récita architecture ont récemment terminé le chantier de rénovation d’une maison d’ingénieur construite au début du XXe siècle. À Orgelet, dans le département du Jura, Francis Jacquier et Marlène Leroux de l’Atelier Archiplein ont quant à eux livré la première tranche d’un projet au long cours de transformation d’un ancien couvent du XVIIIe siècle en résidence d’artistes. Dans les deux cas, les uns et les autres ont su puiser dans la tradition architecturale pour inventer des formes qui rompent avec l’esthétique moderniste dont la domination perdure en dépit de son anachronisme.
Une maison à Clermont-Ferrand
Le projet clermontois concerne une jolie maison, spacieuse, bien construite et située dans un quartier en limite de la commune huppée de Chamalières, mais qui ne s’affiche pourtant pas comme bourgeoise du fait de sa façade sur rue un peu austère. Pour ses nouveaux propriétaires, son principal défaut était peut-être de tourner le dos à une cour à l’arrière qui depuis longtemps était dévolue au stationnement des automobiles. Les architectes de Récita ont ainsi proposé de réorienter l’édifice en ouvrant largement les pièces de vie vers un jardin en devenir. À cette fin, ils ont fait entièrement déposer les fenêtres et la maçonnerie de la façade sud au rez-de-chaussée, y substituant un ensemble de baies vitrées qui sont prises dans un encadrement polyptyque. Présentant de multiples ébrasements et, en son milieu, un passage en cintre, celui-ci est réalisé en pierre de Volvic, aussi sombre que lumineuse, les architectes ayant dû assumer seuls le dessin des blocs aux découpes précises et complexes. Ce pseudo-portique fait office de seuil entre l’intérieur rénové de la maison et la terrasse créée qui le prolonge tel un podium dont la hauteur est révélée par deux petits escaliers qui sont comme creusés dans sa masse de béton. Le retournement de situation est complet, la maison étant désormais d’un point de vue tant fonctionnel que symbolique pleinement orientée vers le nouveau jardin.
À l’intérieur, les architectes ont conçu une cuisine sur mesure, montrant leur maîtrise des arts de la menuiserie, de la serrurerie et de la pierre. Les portes de placard en médium sont cannelées et laquées avec soin, les poignées en laiton sont finement ouvragées tout comme la grande étagère au fond de la pièce. L’évier ainsi que le plan de travail en pierre de Bourgogne sont parfaitement dessinés. Réalisée par les deux architectes eux-mêmes dans leur second atelier en Auvergne, la très belle table de la salle à manger présente des assemblages béton-bois d’une rare élégance. Au premier étage, c’est dans la salle de bains que l’on trouve un autre chef-d’œuvre, un meuble-lavabo semi-encastré qui associe le métal, le bois et la pierre dans une composition des plus maîtrisées. Les autres pièces de la maison ont fait l’objet d’une rénovation respectueuse de la sobriété originelle de la maison.
Une résidence à Orgelet
Le projet conduit par Archiplein à Orgelet est d’une autre ampleur, tant par les 600 m2 d’espace aménagés que par le temps long des travaux qui pour beaucoup sont encore à venir. L’ensemble conventuel comprenait à l’origine une chapelle et un logis pour les moines capucins avant qu’il ne soit divisé en deux habitations distinctes, puis réunifié. En partie à l’abandon depuis près d’un siècle, l’édifice fait aujourd’hui l’objet d’une restauration pièce par pièce, l’un des principaux objectifs étant là aussi de mettre en relation les espaces intérieurs et extérieurs. Côté jardin, les architectes ont ainsi proposé la création d’une longue galerie qui dessert et prolonge les chambres et la cuisine, et aboutit sur une terrasse qui se termine en quart-de-rond. La colonnade en pierre d’Hauteville qui soutient la galerie ne se découvre qu’à partir du moment où on est descendu au jardin par l’un des deux escaliers. Les éléments porteurs sont positionnés selon un motif de carré sur pointe qui préside également à la mise en œuvre du fin garde-corps métallique. Les blocs de pierre présentent une étonnante variation de teintes qui vont du bleu au jaune délavé.
Côté cour, les architectes ont dessiné une belle et large baie à meneau central qui baigne de lumière le vestibule distribuant les autres chambres – lesquelles, le cas échéant, accueilleront les artistes. Engagés dans la restauration d’une demeure historique qui retrouve ici tout son lustre, les deux associés d’Archiplein n’ont pas hésité à ouvrir des passages là où cela était nécessaire. Ils ne se sont pas montrés plus conservateurs en dessinant le mobilier. Dans la cuisine, les pièces d’eau et les chambres, ils ont développé une écriture architecturale pleine de fantaisie, notamment par l’usage de la polychromie. Les boiseries nouvelles sont ainsi rehaussées de rose et les carrelages toute hauteur jointoyés de jaune ou de bleu. L’une des salles de bains en particulier, construite dans une ancienne penderie, offre une expérience radicalement contemporaine au cœur de cette demeure ancestrale.
Post-postmodernisme
Ces deux réalisations de Récita et d’Archiplein sont raffinées sans être sophistiquées, riches de sensations sans être luxueuses. Elles présentent surtout une multiplicité de signes qui pour beaucoup sont empruntés au langage de l’architecture classique. À l’intérieur comme à l’extérieur, nombre d’éléments ont une fonction décorative sinon ornementale. L’écriture des architectes n’est pas avare de citations – et même d’autocitations – et à ce titre rappelle celle de figures du postmodernisme comme James Stirling ou Hans Hollein. Pour autant, les projets de Clermont-Ferrand et d’Orgelet s’en démarquent en ce qu’ils procèdent d’abord d’une réflexion sur la matérialité existante et sur sa transformation. La pierre massive est utilisée pour ses propriétés constructives et non tel un simple parement. La conception du mobilier est guidée par le savoir-faire des artisans menuisiers et serruriers plus que par une recherche d’effet visuel. En somme, l’approche est celle d’architectes qui travaillent à une expression postmoderne, mais qui n’ont pas renoncé à l’art de bâtir, au contraire.
À bien des égards, Récita et Archiplein s’inscrivent dans la logique de la tradition au sens que lui donnait le critique T.S. Eliot dans un essai qui a fait date2. Ces maîtres d’œuvre ont en effet le sens de l’histoire – celle de ces lieux particuliers comme celle de l’architecture en général – et ils produisent des formes qui sont apparentées, mais non conformes à celles du passé et, c’est le plus important, qui peuvent leur être comparées. Ils n’imitent ni ne conservent l’existant, dans la mesure où ils en changent la signification à travers leur projet. À Clermont-Ferrand et à Orgelet, « créer dans le créé » a ainsi été pour eux une manière de se montrer contemporain.
Clermont-Ferrand
[ Maître d’ouvrage : client privé – Maître d’œuvre : Récita architecture – Surface : 250 m2 – Calendrier : 2021-2022 ]
Orgelet
[ Maître d’ouvrage : client privé – Maître d’œuvre : Atelier Archiplein – Direction de travaux : Atelier Zou – Surface : 800 m2 – Coût : 900 000 euros – Calendrier : 2022-2023 ]