Sacré, public ou privé ?
S’il est vrai que l’on découvre toujours trop tard la valeur des choses, c’est-à -dire au moment où l’on s’aperçoit qu’elles vont disparaître, l’espace public doit être sérieusement menacé. C’est en effet le diagnostique auquel on pourrait aboutir en observant l’attention méticuleuse portée aujourd’hui à sa préservation et à son aménagement : bordures et petits pavés de granit, bornes en inox, lampadaires design ("sic"), bambous… Le temps des crottes de mammouth (ces jardinières rondes en béton moulé garnies de pétunias) paraît révolu ! Justice ou nécessité faisant loi, c’est davantage dans les zones déshéritées qu’à Marne-la-Coquette que se déploie souvent ce regain d’attention. Et tout aussi paradoxalement, c’est souvent dans les lieux de très grande affluence que la réflexion sur l’espace public paraît faire défaut. À La Mecque, où deux millions de visiteurs se rendent pendant le "hajj", les morts se comptent presque chaque année par centaines (1 426 morts par asphyxie en 1990). La construction de l’une des plus grandes tours du monde, la Makkah Clock Royal Tower, au pied de la Kabaa, par le groupe immobilier Binladen (l’oncle de…) ne devrait rien arranger à cette fatalité La tour Eiffel ne connaît heureusement pas ces drames du piétinement mortel, mais la zone d’attente aux ascenseurs, entre les quatre pieds, n’est même pas digne d’un hypermarché de province. Que dire encore des abords de gare, des stations de RER ou de l’esplanade de la Défense ?
Autrefois, tout le monde semblait s’approprier l’espace naturellement, jusqu’à transformer de fait des lieux privés en lieux publics, comme nous le faisions des terrains vagues où nous jouions enfants. Aujourd’hui, ce sont de grands groupes privés qui prennent en charge le domaine public. Est-ce pour cette raison que les signes de sa conformité à ce statut tant convoité d’espace partagé ("sic") nous paraissent souvent trop appuyés, comme s’il fallait nous faire oublier leur artificialité ?