La Défense est-elle le nouveau laboratoire de l'espace public?

Rédigé par Françoise MOIROUX
Publié le 10/09/2011

La Défense, une culture de l'objet architecturale

Dossier réalisé par Françoise MOIROUX
Dossier publié dans le d'A n°202

Ovni culturel dans le monde de l'aménagement urbain, l'établissement public Defacto a vu le jour dans le contexte du Plan de renouveau de la Défense. On chercherait en vain un équivalent européen à cette structure inédite, entièrement dédiée à l'espace public. Face à l'ampleur du déni de l'espace public de la Défense durant des décennies, la tâche paraît immense.


Le label de Defacto, dont s'est doté le jeune établissement public, prend en compte la fréquentation quotidienne de la Défense par 150 000 salariés et 450 000 usagers du hub de transports en commun. Il faut y ajouter près de 8,5 millions de touristes d'agrément ou d'affaires par an et les 20 000 habitants de ce quartier d'affaires déserté à l'heure où ferment les bureaux.

Opérationnel depuis 2010, l'établissement public à caractère industriel et commercial a en charge « la gestion, la promotion et l'animation Â» de tout l'espace public de la Défense. La propriété lui a été transférée par loi lors de sa création. Il regroupe trois collectivités territoriales associées au développement du quartier d'affaires : le conseil général des Hauts-de-Seine et les Villes de Courbevoie et Puteaux. En contrepartie de son investissement massif à la Défense, l'État a en effet souhaité que les collectivités s'impliquent davantage. Katayoune Panahi, directrice de l'établissement public, voit dans cette nouvelle gestion de l'espace public la source de possibles innovations en matière de gouvernance et les prémices d'une coopération territoriale plus vaste. La fusion récente des deux anciens établissements publics en charge de l'aménagement de la Défense et de Seine Arche, l'Epad et l'Epasa, pose en effet la question d'un élargissement à Nanterre. Et, pourquoi pas, aux communes voisines partageant le même méandre de Seine.


DE PARADIS EN ENFER DU PIÉTON

Les pérégrinations littéraires de François Bon à la Défense, dans le cadre du Festival "Paris en toutes lettres", n'ont pas épargné la grande pauvreté de conception de l'espace public. En mai 2011, l'écrivain a en effet été invité à arpenter la dalle pendant une semaine et à rendre compte en "live" de cette expérience singulière sur le site du Festival (www.parisentouteslettres.net).

Le plan de renouveau de la Défense accentue le décalage entre le désir d'audace architecturale et la piètre qualité de l'espace public : l'esplanade de la Défense souffre de nombreux maux, loin de se résumer à la fameuse rupture de continuité avec les quartiers alentour, si régulièrement incriminée. Bien que conçu à l'origine comme un paradis du piéton, ce quartier d'affaires juché sur dalle a désinvesti un espace public paradoxalement nié depuis des décennies. La primauté d'une culture de l'objet architectural, additionnant les opérations immobilières sans souci de leur appartenance à un même environnement urbain, a eu un impact dévastateur. Parmi les premiers chantiers engagés par Defacto, celui de la signalétique paraît symptomatique de cet état de fait. Pour diriger ses pas, le visiteur devait auparavant s'en remettre aux panneaux lui indiquant la direction de morceaux de Défense numérotés de un à douze selon leur date de construction. C'est dire si l'orientation sur la dalle et ses abords devait relever du cauchemar ! La nouvelle signalétique y a mis un terme en reprenant le nom d'origine des quartiers – désormais identique à celui des parkings – et en donnant des repères géographiques. Cette entreprise salutaire sera complétée par des prescriptions relatives aux enseignes apposées en façade, indiquant le nom des tours et des immeubles.

Si l'état d'abandon de l'espace public de la Défense transforme le paradis originel du piéton en enfer, il devient également un sérieux handicap concurrentiel. Face au cadre de vie très agréable qu'offrent d'autres communes et aux charges foncières deux fois plus élevées à la Défense, l'excellence de l'espace public et de l'offre de service est désormais vitale.


VASTE PATRIMOINE, VASTE PROGRAMME !

La géographie complexe de l'espace public de la Défense rend immense la tâche de Defacto, comme l'illustre la nature même de son patrimoine. Aux 30 hectares d'espace public en surface s'ajoutent en effet 18 kilomètres de voirie en majeure partie souterraine, une quinzaine de tunnels assujettis à la loi Mont-Blanc, 23 000 places de stationnement, toute une batterie d'escaliers mécaniques et d'ascenseurs, la dizaine de passerelles qui enjambent le boulevard circulaire, sans oublier les millions de mètres cubes en jachère sous la dalle.

La première urgence à laquelle il faut parer consiste à combler l'énorme retard accumulé en matière de maintenance. Les grands chantiers, dits de « remise à niveau Â», ont été rapidement engagés : remplacement de 60 000 plots de dalle, réfection des deux plus grands bassins d'eau, réhabilitation des passerelles, rénovation de parkings, d'ascenseurs et d'escalators…

Les immeubles construits à la Défense, les deux centres commerciaux des Quatre Temps et du Cnit et tous les espaces de transport collectif étant exclus du patrimoine de Defacto, son action doit se concevoir en interface. Elle s'articule étroitement aux projets de l'aménageur, l'Epadesa, et des investisseurs. La programmation des parkings à construire en lien avec la construction de nouvelles tours fait partie de cette collaboration. Defacto entend d'ailleurs contenir la demande des promoteurs en l'ajustant aux besoins étudiés et en revenant au concept originel de parkings publics mutualisés. Dans un quartier d'affaires auquel 85 % des usagers accèdent par les transports collectifs, l'interface avec le Stif, la SNCF et la RATP s'avère également cruciale, d'autant qu'il faut anticiper les futures dessertes programmées (RER E, réseau express du Grand Paris, TGV).


DE VISION D'ENSEMBLE…

Dans ce quartier d'affaires de rang international, la régénération de l'espace public ne peut se limiter à de la réparation. La cohésion à retrouver passera par l'innovation. À la conception urbanistique balkanisée, ayant prévalu durant des décennies, et à l'idée d'une simple collection de tours, Defacto oppose une vision stratégique de l'évolution à long terme de l'espace public.

C'est tout l'enjeu du concours lancé en vue de l'élaboration d'un « plan guide des espaces publics Â». Cinq groupements, réunis en majorité autour de jeunes mandataires, avaient été sélectionnés dès l'automne 2010 : AWP, Mutabilis, l'agence Philippe Hamelin, Trévelo & Viger-Kohler et Architecture Studio. Désignée cet été, l'équipe lauréate (résultat communicable le 6 juillet) devra établir un diagnostic et un programme général, avant d'élaborer le plan guide, décliné selon des scénarios individualisés par secteur. Katayoune Panahi insiste sur la nécessité « de définir enfin un véritable projet urbain souterrain Â». Dans cette perspective, la masse des volumes résiduels inutilisés sous la dalle devra trouver une utilité. L'enjeu de la concertation avec l'ensemble des acteurs impliqués dans l'aménagement de la Défense ne paraît pas non plus des moindres.


… EN PLUS-VALUE CULTURELLE ET ÉCONOMIQUE

Le « projet de développement stratégique Â» de Defacto élaboré fin 2010 en collaboration avec le cabinet Ernst & Young comporte également un important volet culturel. Datant de 2009, le classement de la Défense en zone touristique a certes permis au centre commercial des Quatre Temps et aux commerces du Cnit d'ouvrir le dimanche. Mais depuis la fermeture au public du toit de la Grande Arche, l'offre touristique confine au néant.

Cette pénurie culturelle sera comblée par la mise en valeur du vaste musée d'art contemporain à ciel ouvert, jalonné par la soixantaine d'Å“uvres d'art monumentales réparties sur l'esplanade. Dans cette optique, la présence du Centre national des arts plastiques semble également un atout, à ne pas sous-estimer. Le « musée de la Défense Â», obsolète dans sa conception malgré l'intérêt de conserver la mémoire des projets conçus pour le quartier, doit lui aussi être revalorisé.

L'interdiction de pénétrer dans les tours, sauf pour les salariés ou clients des entreprises implantées, engendre néanmoins la frustration des visiteurs. En lien avec la présentation des projets d'architecture au musée de la Défense, ne pourrait-on pas trouver les moyens d'y remédier ? Des maquettes à la réalité, il y aurait sans doute un pont à jeter, la Défense pouvant aussi être considérée comme un gigantesque musée d'architecture à ciel ouvert. Pour compenser la fermeture du toit de la Grande Arche, de nouveaux belvédères ou points de vue sont à l'étude.

Le volet économique du projet de développement stratégique de Defacto se traduira par une amélioration substantielle de l'accueil aux entreprises. Le pari de faire vivre ce quartier d'affaires à un autre rythme que celui du « métro-boulot-dodo Â» relève du défi. En matière de bar-restauration, c'est tout un modèle économique qu'il faut infléchir, les bars-restaurants n'ouvrant que cinq jours sur sept et fermant dès les bureaux quittés. L'offre commerciale ne répondant pas à toutes les attentes des salariés, elle doit elle aussi évoluer et se redéployer sur l'ensemble de l'esplanade. L'offre de service aux salariés se borne, quant à elle, à celle existante dans certaines tours : restaurants d'entreprise, crèches, conciergerie, pressing, coiffeur, salles de détente et de sport… Pour que le quartier d'affaires ne vive plus uniquement retranché dans les tours et pour répondre à tous les besoins insatisfaits, elle sera développée à l'extérieur.

Exposée à tous vents, la dalle manque cruellement d'hospitalité et de confort. La Biennale de création de mobilier urbain, récemment lancée, stimule la recherche de pistes innovantes pour doter la Défense d'une ligne spécifique de mobilier urbain. Parallèlement, de nouveaux supports d'affichage publicitaire et d'information, notamment sur les transports et l'état du trafic, seront conçus à partir du numérique. Le président du conseil d'administration de Defacto affirme vouloir faire de la Défense « le site de référence français en matière d'exemplarité de l'espace public Â». Les retards à combler et la grande diversité des défis à relever pour en faire notamment un lieu où l'on se sentirait simplement invité à rester, rendent l'ambition démesurée.

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