Nous pourrions relire l’histoire de la construction depuis la révolution industrielle comme celle d’une fuite en avant, d’un effrayant élan de « destruction créatrice », chaque nouveau bâtiment amplifiant par sa virtuosité technique l’apparente obsolescence de ses prédécesseurs. Dans Durer, le nouveau livre de Pierre Caye que nous vous avons présenté le mois dernier et dont nous ne saurions une fois de plus vous recommander la lecture, un long chapitre est consacré à « la maintenance ou le travail au service de la durée ». Maintenance, un mot d’ordre dont la mise en œuvre n’est pas porteuse d’héroïsmes gratifiants et qui cadre mal avec la posture de créateur génial à laquelle certains architectes aiment être associés. Le philosophe fait d’ailleurs remarquer combien, au sein du système productif, que ce soit dans l’agriculture, l’infrastructure industrielle ou les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), l’importance de la maintenance est toujours minimisée ; symboliquement d’abord (parce que non valorisante) mais surtout en tant que facteur réel de développement.
Comment ne pas reconnaître qu’en architecture, ce qui relève du soin et de la lente transformation du bâti est très mal valorisé ? Si l’on pense que cela concerne près de 95 % des constructions, ne devrait-on pas y concentrer toute notre attention et notre créativité ? On se souvient que, pour l’un de leurs premiers concours (perdu), Lacaton & Vassal avaient proposé, plutôt que de restructurer entièrement une petite place publique, de réparer simplement ce qui était cassé et de consacrer le budget de construction à nettoyer et à entretenir l’espace public. Modestie qui avait été perçue comme une provocation. Pourtant, comme l’écrit Pierre Caye, « la maintenance se fait à maintes reprises la mère de l’innovation. La maintenance ne signifie pas seulement le statu quo et la conservation. De la maintenance naît aussi l’invention » (p. 212).
Or voici que les industries ayant jusqu’alors le plus contribué à l’épuisement délétère de nos ressources s’apprêtent, avec l’assentiment de l’ensemble de la classe politique, à lancer une nouvelle phase de destruction créatrice : à coups de produits miracles et de solutions toutes prêtes, des groupes industriels, relayés par une pléthore de nouveaux « spécialistes », se sont transformés en hérauts de la « transition écologique ». Eux seuls seraient capables de répondre à l’urgence de ce défi – leurs chaînes de production sont d’ailleurs déjà prêtes à nous envoyer leurs remèdes depuis la Chine. L’un des problèmes est que le temps de l’architecture – le temps nécessaire du projet, de sa conception jusqu’à sa réalisation – est perçu par la société comme trop long. En effet, l’architecture ne peut advenir sans une pensée inscrite dans un ici et maintenant par essence non reproductible d’un projet à l’autre. Réparer ou embellir par l’architecture c’est, en chaque lieu et en chaque moment, une responsabilité qui engage chaque acteur sur la durée et s’accommode peu des réponses normatives ou platement quantitatives.
Emmanuel Caille
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