Immeubles du Forum à Boulogne |
Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER L’agence Eliet & Lehmann a acquis une certaine reconnaissance dans le domaine de la réhabilitation du patrimoine des Trente Glorieuses avec la rénovation, en 2015, de quatre immeubles de logements construits en 1952 par Marcel Lods. La finesse de leur travail d’analyse et de révélation des qualités architecturales de l’œuvre de Lods avait alors été saluée par la critique. Ils partagent tous deux une même éthique à l’égard du patrimoine domestique de la modernité. À ce titre, ils furent professeurs invités à l’EPFL en 2014-2015 à l’initiative de Franz Graf, directeur du laboratoire TSAM spécialisé dans la réhabilitation du patrimoine moderne et dont la rénovation de la cité du Lignon à Genève en 2013 est une référence majeure. Retour sur quelques-uns des projets phare de l’agence. |
À l’instar de Franz Graf, Eliet & Lehmann revendiquent une approche attentive à l’existant, sans jamais le déconsidérer a priori, et cherchent toujours à en révéler les qualités autant qu’à en corriger les défauts. Cette démarche exigeante suppose d’analyser très en détail l’édifice, en termes urbanistiques, fonctionnels, historiques et techniques, afin de cibler des interventions pertinentes et mesurées plutôt que se lancer sans réflexion dans un grand emballage de l’édifice qui ne serait plus considéré que comme un squelette de béton devenu obsolète. La réhabilitation du patrimoine domestique du XXe siècle exige un œil attentif et compétent, de la rigueur constructive ainsi qu’un savoir-faire de projet.
La Faisanderie à Fontainebleau
Les quatre immeubles de Marcel Lods dans le quartier de la Faisanderie à Fontainebleau présentaient de nombreuses qualités architecturales malgré l’état de délabrement dans lequel se trouvaient ces bâtiments désaffectés avant leur rénovation. Construits en moins de neuf mois grâce au fameux procédé préfabriqué Camus, ces 280 logements répartis dans quatre barres minces immergées dans la forêt de Fontainebleau offraient de magnifiques qualités d’air, d’ensoleillement et de paysage. L’analyse constructive a mis en évidence des procédés innovants particulièrement intelligents, comme des panneaux de façade dont la face intérieure était constituée de béton de pouzzolane aux propriétés isolantes. Grâce à une réflexion sur des travaux ciblés sur les points particulièrement faibles, les architectes ont réussi à atteindre une performance BBC-Rénovation en isolant la construction par l’intérieur et en installant des menuiseries très efficaces.
Les rez-de-chaussée sur pilotis qui accueillaient les parkings ont été clos pour créer de nouvelles surfaces dédiées aux commerces, aux activités et au hall d’entrée. Les stationnements ont quant à eux été enterrés dans un parc souterrain entre les constructions. Ces nouveaux programmes en rez-de-chaussée renforcent l’intensité urbaine du quartier. Leur traitement vitré, protégé par l’ombre des auvents périmétriques, maintient les transparences visuelles initiales. Les façades ont été simplement nettoyées et les balcons repeints pour donner une nouvelle jeunesse, en mieux, à l’œuvre de Marcel Lods, dans le respect des exigences énergétiques contemporaines. Ici, la transition écologique devient une opportunité architecturale.
Le Forum à Boulogne
Si le choix d’une isolation par l’intérieur fut possible à Fontainebleau parce que les édifices étaient désaffectés, il n’en allait pas de même pour l’opération de rénovation des 798 logements du Forum, réalisée à Boulogne-Billancourt en 2016. Ces deux énormes constructions modernes de 15 étages furent conçues en 1975 par Badani et Roux-Dorlut dans le cadre d’une opération de rénovation urbaine du quartier. Comme deux monolithes de béton, elles sont implantées parallèlement et créent un mail piéton entre elles. Leur profil en gradins décompose les pignons pour retrouver des échelles domestiques au contact avec le tissu urbain environnant. Mais ces terrasses qui offrent des vues magnifiques sur la ville et le paysage lointain restaient inaccessibles.
Lors de la consultation, la proposition d’Eliet & Lehmann prenait à contrepied l’intention de l’OPH de mettre en œuvre une isolation par l’extérieur, seule solution a priori possible pour une intervention en site occupé. Pourtant les façades préfabriquées imaginées par Jean-Pierre Aury, célèbre plasticien des bétons de l’époque, méritaient d’être regardées avec attention. Ces panneaux forment une composition qui alterne des textures d’agrégats clairs pour les allèges et balcons tandis que les trumeaux, plus rugueux et nervurés, étaient réalisés avec des agrégats sombres. D’autre part, une analyse fine de l’enveloppe montre que ces parties pleines ne représentent que 20 % de l’enveloppe du bâtiment tandis que les loggias vitrées occupent 45 % de la surface. Les architectes ont donc fait le choix d’installer des menuiseries très performantes mais de ne pas recouvrir ces panneaux préfabriqués constitutifs de l’identité de l’édifice. En revanche, les pignons, moins intéressants parce que coulés en place comme les refends pour des raisons économiques, ont été isolés par l’extérieur puis habillés de panneaux préfabriqués de béton similaires à ceux des balcons existants. Ces opérations ciblées ont permis d’affirmer l’identité de l’édifice, tout en atteignant la performance BBC-Rénovation requise malgré les ponts thermiques non traités. Les terrasses en gradins sous exploitées ont été aménagées comme des parties communes accessibles à tous les occupants, agrémentées d’arbres positionnés au-dessus des points porteurs.
Cette sorte de forêt transforme désormais le regard que le quartier pose sur l’édifice. Les fenêtres ont été dotées de protections solaires pour améliorer le confort d’été, sous forme de stores à projection qui autorisent à la fois l’ombre et la ventilation. Leur couleur jaune vif réveille avec bonheur les bétons sourds de Jean-Pierre Aury. Enfin, comme à la Faisanderie, une attention particulière a été accordée aux rez-de-chaussée de médiocre qualité, par la recherche d’ouvertures, de halls transparents et de nouveaux programmes qui leur confèrent l’attractivité urbaine qui leur manquait. Des passages de la rue vers le mail central ont été ouverts le long des refends, lesquels ont été percés en forme de colonnades monolithiques qui rythment leur traversée. Sans perdre les qualités d’origine, cette transformation a surtout permis d’améliorer le difficile rapport à la ville de ces constructions modernes.
188 logements à Saint-Cloud
Hors de toute forme de dogmatisme ou de recettes génériques, leur travail de lecture attentive de l’existant peut aussi les conduire à considérer pertinent le choix d’une isolation par l’extérieur, comme à Saint-Cloud où un ensemble de 188 logements situé rue du 18-juin-1940 jouxte un stade en bord de Seine. Cette situation offre une vue très dégagée à toutes les façades sud des six bâtiments qui forment l’ensemble rénové. Le caractère peu qualitatif des façades existantes a autorisé l’isolation par l’extérieur. Les architectes ont toutefois reproduit sur la nouvelle enveloppe les bandeaux horizontaux d’origine qui donnaient un relief intéressant à la surface, qu’une précédente rénovation avait fait disparaître. De nouvelles menuiseries performantes en termes thermique et acoustique ont été mises en œuvre tandis que certains balcons, rarement utilisés en raison des nuisances sonores du viaduc routier, ont été transformés en loggias. De nouvelles protections solaires accompagnent ces travaux d’isolation afin que le bénéfice du confort d’hiver ne se fasse pas, comme bien souvent, aux dépens du confort estival. Comme sur leurs précédentes opérations, Eliet & Lehmann ont accordé une part de leur travail à l’amélioration des rez-de-chaussée et notamment des halls d’entrée d’origine plutôt sordides. Ces derniers deviennent traversants, revêtus de carrelage en opus incertum et d’aménagements mobilier accueillants. Les espaces extérieurs ont fait l’objet de nouveaux traitements paysagers qui relient les immeubles à la ville. Non sans une certaine gourmandise nostalgique, les locaux vélos et poussettes ont été clos par des maçonneries de boisseaux de terre cuite à claire-voie qui évoquent l’architecture soignée de Fernand Pouillon. À défaut de revendiquer l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire de l’architecture, il se dégage de ces nouveaux seuils l’impression de vouloir prendre soin des habitants. Peut-être est-ce ce dont notre époque a le plus besoin. Primum non nocere.
Résidences Didot et Bardinet, Paris 14e
La même volonté d’inscrire la question de la transition énergétique dans un projet d’architecture global guide Denis Eliet et Laurent Lehmann dans leur dernière opération encore en chantier, à l’angle des rues Didot et Bardinet à Paris dans le 14e arrondissement, pour la rénovation en site occupé de 587 logements. Ici encore, les enveloppes sans qualité remarquable des édifices existants justifient leur isolation par l’extérieur. Un parement en « vraies » briques de 10 cm d’épaisseur viendra bientôt protéger le manteau d’isolation et conférer une nouvelle dignité aux bâtiments. Mais les architectes profitent aussi de cette opération de maîtrise énergétique pour améliorer le rapport à la ville en ouvrant de nouveaux passages ou de nouvelles transparences entre l’espace public et le cœur d’îlot.
Si leur travail doit avoir une vertu, c’est celle de montrer que, loin des placages de solutions d’isolation clé en main, les enjeux de la transition énergétique sont toujours une opportunité de projet à saisir pour révéler et améliorer des constructions modernes qui ne manquent pas de qualités d’air, de vue, de lumière ou de paysage et que nous déconsidérons toujours un peu trop vite. La rapidité avec laquelle le patrimoine des Trente Glorieuses s’est bâti a parfois occasionné des choses un peu bâclées ou ratées qu’il convient aujourd’hui de réparer pour mieux accueillir ces édifices dans la ville, pour améliorer leurs conditions d’habitabilité urbaine, sans compromettre celles de la planète.
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