Portrait Raphaël Labrunye |
Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER Raphaël Labrunye est directeur de l’ENSA de Normandie. Il est aussi architecte et historien et a assuré, à ce titre, la direction scientifique de la recherche « Smart French, la résilience de la ville moderne 1945-1975 » dans le cadre du programme pluriannuel du ministère de la Culture « Architecture du XXe siècle, matière à projet pour la ville durable du XXIe siècle ». Il nous livre ici les principaux résultats de ce travail remis en 2019. |
D’a : Quels étaient les objectifs de cette recherche ?
L’équipe réunissait des chercheurs des écoles d’architecture de Bretagne, Nantes, Clermont-Ferrand, Strasbourg et Normandie. Le ministère souhaitait disposer de connaissances architecturales et techniques sur ce patrimoine afin de déployer de manière large des modalités de transformation convaincantes, dans le respect de ses singularités. Il faut bien comprendre qu’actuellement nous n’avons que deux façons de connaître ce patrimoine à réhabiliter. L’approche par étude de cas très détaillée, comme a pu le faire Franz Graf pour la cité du Lignon à Genève, est une sorte d’idéal de ce qu’il faudrait faire à chaque fois, avec des études patrimoniales et techniques très poussées, suivies d’une mise en œuvre de très grande qualité. Mais cette approche est hyper spécifique, onéreuse et adaptée au patrimoine d’exception.
De l’autre côté, les think tanks ont une vision statistique de ce patrimoine, ciblée exclusivement sur la dimension énergétique, à l’échelle macroscopique, sans considération pour les spécificités de chaque cas. Cela conduit à des politiques nationales génériques comme l’isolation systématique par l’extérieur, aux dépens des qualités patrimoniales et parfois techniques des immeubles considérés, et aux dépens même de la performance environnementale globale.
D’a : En quoi votre méthodologie de recherche propose de sortir de cette dualité d’approche ?
Ce patrimoine agglomère en réalité des architectures dont la grande hétérogénéité disqualifie les approches globalisantes. Notre recherche visait principalement à inventer des indicateurs pertinents. À partir d’un corpus initial de 630 opérations, réduit peu à peu à 80 cas significatifs, nous avons tenté de mettre en place des indicateurs dont la récurrence était intéressante et pouvait aider l’action. Karim El Alami, Amir Issa, Ignacio Requena et Daniel Siret ont travaillé sur les caractéristiques bioclimatiques de ce corpus et étudié la rationalité solaire des plans-masses. Yannick Sutter a enquêté sur les qualités d’éclairage naturel de ces logements. Gauthier Bolle, Shahram Abadie et moi-même, historiens, avons cherché à établir des liens statistiques entre l’organisation des plans-masses et les typologies de logements, et à tester l’efficience des solutions. Margherita Ferrucci a, quant à elle, étudié le potentiel de ventilation naturelle de ces immeubles, eu égard au fait que la plupart de ces formes urbaines créent des conditions aérauliques favorables. Nous avons donc associé nos compétences d’historiens et d’architectes à celles des sciences de l’ingénieur pour mieux comprendre les qualités de ce patrimoine avant d’agir de façon trop systématique.
D’a : Que ressort-il de ces différentes approches ?
Il semble évident que la période 1945-1975 n’est pas un bloc. On peut clairement distinguer une première période entre l’immédiat après-guerre et les années 1960, très qualitative d’un point de vue urbanistique, architectural et constructif. Les ombres portées des plans-masses indiquent une conception très héliocentrée, souvent la recherche d’un minimum de deux heures d’ensoleillement dans chaque logement au solstice d’hiver, parfois au détriment des espaces publics extérieurs. Les immeubles de cette première période, en général plus minces, sont mieux éclairés naturellement, avec une forte capacité d’absorption de l’énergie solaire. Après 1965, les immeubles deviennent plus épais, plus inertes mais avec moins de lumière. On découvre des ensembles de logements qui ne prêtent plus aucune attention à l’orientation ou à l’environnement immédiat. Les qualités constructives se dégradent aussi tandis que, de ce point de vue, la première période est souvent très inventive, avec l’utilisation économique de murs creux, qu’il serait idiot d’isoler par l’extérieur !
D’a : De manière opératoire, quelles innovations pourraient être imaginées à partir de cette recherche ?
Par exemple, Margherita Ferrucci a mis en évidence des situations récurrentes de tirage aéraulique en fonction des effets de pression et de dépression entre les immeubles : c’est une équation simple de rapport de hauteur et de largeur et d’angle d’arrivée des vents dominants. Ces immeubles disposent de beaucoup de conduits comme des vide-ordures aujourd’hui désaffectés, des conduits shunt de ventilation, de grandes cages d’escalier, et surtout ont été pour la plupart conçus en ventilation naturelle. L’isolation par l’extérieur et le remplacement des baies étanches présentent un risque majeur de pathologies. Margherita Ferrucci travaille actuellement, avec Laurent Mouly, à l’élaboration d’une expérimentation grandeur nature de cette ventilation naturelle sur la tour Raspail de Renée Gailhoustet, à Ivry. C’est une mission de développement expérimental en partenariat avec l’OPH d’Ivry qui s’inscrit clairement dans le prolongement de la recherche. Autre exemple, le potentiel d’apport solaire, lumière et calorifique, est clairement démontré. Là encore, isoler par l’extérieur est totalement contre-intuitif car il réduit le clair de vitrage et supprime des apports énergétiques. Il faudrait plutôt imaginer des dispositifs de captation de ces énergies pour préchauffer l’air intérieur, par exemple, ou favoriser le tirage thermique de la ventilation naturelle. La connaissance intime de la construction permet d’aborder la rénovation en cohérence avec la nature de l’édifice.
D’a : Tous ces enseignements s’opposent-ils aux méthodes de rénovation systématiques et génériques ?
L’idée principale est que ces ensembles de logements présentent de vraies qualités paysagères et constructives malgré leur obsolescence d’un point de vue énergétique. À l’échelle de chaque opération, il faut donc connaître avec précision les caractéristiques du bâti pour éviter d’appliquer des recettes génériques qui sont contre-performantes (pensez aux ITE Palulos…). À l’échelle globale, les politiques publiques devraient s’appuyer sur une connaissance fine du parc immobilier pour éviter d’imposer réglementairement l’ITE sur les travaux embarqués. Cette recherche a démontré l’intérêt des indicateurs bioclimatiques et constructifs de ces immeubles, dans la perspective de leur rénovation énergétique intelligente. Surtout, si nous développions cette recherche avec des moyens adaptés, nous pourrions construire une base de données à l’échelle nationale pour connaître le potentiel d’économies d’énergie de ces solutions, et le marché de travaux qui s’y rattache, pour engager des entreprises à développer des dispositifs innovants.
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