Retour d’expérience - Entretien avec Thierry Rieser, ingénieur et gérant d’Enertech

Rédigé par Stéphane BERTHIER
Publié le 29/04/2021

Portrait Thierry Rieser

Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER
Dossier publié dans le d'A n°289

Enertech est un bureau d’études de 25 personnes, spécialisé dans les questions énergétiques. Il mène des missions de maîtrise d’œuvre en neuf et en rénovation et d’assistance à la maîtrise d’ouvrage et réalise des campagnes de mesures d’évaluation des performances réelles des bâtiments. Thierry Rieser, ingénieur de formation et gérant de la société, est aussi membre de l’association négaWatt qui a élaboré un scénario global de transition énergétique pour la neutralité carbone à l’horizon 2050.

D’a : Le rapport parlementaire d’information sur la rénovation énergétique des bâtiments en date du 10 février 2021 dresse un constat d’échec des politiques menées en la matière depuis le Grenelle de l’environnement en 2007. Comment l’expliquez-vous ?

Chez Enertech, nous accordons une grande importance aux campagnes d’évaluation des performances a posteriori. C’est le résultat qui compte, nous n’avons qu’une confiance limitée dans les simulations. Cette connaissance expérimentale montre que les rénovations complètes et performantes atteignent plutôt bien leurs objectifs. En revanche, la raison pour laquelle les performances énergétiques ne sont pas au rendez-vous tient à l’approche par étapes de travaux qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui. Les subventions et incitations diverses ont amené les maîtres d’ouvrage à rénover partiellement les édifices, sans projet global. Ici on a pu remplacer les menuiseries, là isoler les combles, ailleurs installer un système de chauffage plus performant, au gré des opportunités de financement. Cela pose le problème des interfaces mal réalisées avec de nombreux ponts thermiques ou encore des puissances de chauffage non adaptées (voir sur ces sujets le rapport réalisé pour l’Ademe sur le BBC par étapes1).


D’a : Les objectifs d’un facteur 4 de diminution des GES (gaz à effet de serre) à l’horizon 2050 vous semblent-ils atteignables ?

Il y a un double sujet : il faut sortir le maximum de foyers de la précarité énergétique. Ça veut dire non seulement réduire les GES mais aussi réduire les factures : la simple décarbonation en passant du fioul ou du gaz à des radiateurs électriques peut réduire les GES mais pas les factures. L’isolation du bâti est indispensable pour le confort et les factures, ainsi que des systèmes performants comme les pompes à chaleur. Ensuite, oui, le facteur 4 en 2050 est atteignable si on y met les moyens, avec de véritables projets de rénovations complètes et performantes dont nous savons qu’elles sont efficaces.


D’a : On entend souvent qu’il y aurait aussi un problème avec le comportement des habitants, qui ne permettrait pas d’obtenir les performances estimées ?

Si les gens ouvrent les fenêtres en période de chauffe, ce n’est pas par plaisir. Si on raisonne par travaux partiels et qu’on améliore l’étanchéité à l’air, alors le bâtiment qui se ventilait « naturellement Â» auparavant devient plus étanche et n’élimine plus la vapeur d’eau ni les polluants. Cela crée un inconfort qui oblige les habitants à ouvrir les fenêtres. Une approche complète de la rénovation va apporter une réponse par la ventilation et assurer ainsi le confort et la santé des habitants.

Après cela, il a la question de l’inconfort d’été des logements. Mais dans les bâtiments bien isolés, si les habitants ferment les fenêtres et occultations la journée et les ouvrent la nuit pour rafraîchir le bâtiment, les retours d’expérience montrent que ça marche plutôt bien, et même mieux qu’avant isolation.


D’a : Pour revenir aux rénovations partielles, vous nous dites que si on fait 50 % des travaux d’isolation d’un bâtiment, on n’obtient pas 50 % du résultat…

Non, en effet. Pour prendre une image parlante, vous pouvez imaginer un enfant qui tente de construire un barrage sur un ruisseau en positionnant des pierres contre le courant. S’il installe deux ou trois grosses pierres, l’effet barrage ne fonctionnera pas car l’eau continuera à passer entre les pierres et son débit augmentera aux points de passage. Il faut donc faire plus que quelques gestes ici et là pour commencer à obtenir un résultat probant.


D’a : Franz Graf, professeur à l’EPFL et spécialiste de la rénovation du patrimoine du XXe siècle, faisait remarquer que la performance atteinte et les investissements réalisés n’étaient pas liés par une relation linéaire : par exemple les 10 derniers pour cent de performance pouvaient coûter largement plus que 10 % du budget et qu’une réhabilitation intelligente devait savoir apprécier jusqu’où ne pas aller trop loin et rechercher l’efficience. Vous confirmez cette analyse ?

Oui, elle est assez juste mais il faut la pondérer du fait que c’est le premier centimètre d’isolation qui coûte cher : on installe le chantier, l’échafaudage, on mobilise les entreprises, les livraisons de matériaux, etc. Les centimètres d’épaisseur supplémentaires ont un coût marginal très faible. Dès lors qu’on a lancé les travaux, isoler peu ou faire bien ne présente pas une très grande différence en termes économiques. L’étude I3E Rénovation2 a montré que l’optimum en ACV (analyse du cycle de vie) et en coût global n’est ni la rénovation partielle, ni la démolition-reconstruction, ni la rénovation passive qui implique de traiter absolument tous les ponts thermiques, mais un niveau de type BBC-Réno.


D’a : Nous voyons apparaître des dispositifs de rénovation « clé en main Â», comme EnergieSprong soutenue par le gouvernement et qui propose des solutions industrialisées d’enveloppes performantes qui se plaquent sur les bâtiments en quelques jours de travaux. Ce systématisme n’est-il pas inquiétant ?

EnergieSprong est une proposition intéressante qui dispose d’un potentiel architectural et créatif important, même si certaines réalisations sont décevantes. Dans ce système, le programme s’adresse aux bureaux d’études et l’architecte peut avoir une place limitée malgré des budgets très importants. C’est vrai aussi que ces solutions industrielles « clés en main Â» doivent apprendre à s’adapter aux différents contextes et faire preuve d’intelligence de situation. Mais préfabrication ou pas, la question de la migration de vapeur d’eau dans le bâti existant est très importante. Si elle n’est pas bien appréhendée, elle peut engendrer des sinistres importants. Le choix des matériaux, isolants, freine-vapeur, etc., doit être pensé en fonction de l’existant (voir à ce sujet notre bibliographie sur la migration de vapeur réalisée pour Oktave de Climaxion et Ademe3).


D’a : Les matériaux bio et géosourcés, notamment les isolants d’origine végétales, participent-ils réellement d’une meilleure isolation que les isolants conventionnels ?

Les isolants biosourcés gèrent généralement mieux les phénomènes de migration de vapeur d’eau dans la paroi. Ils permettent également de réduire l’énergie grise investie dans les travaux de rénovation.


D’a : Les dispositifs de ventilation naturelle vous paraissent-ils intéressants du point de vue de l’efficacité énergétique ?

C’est une piste attractive mais aujourd’hui personne n’a fait de campagne d’évaluation de ces dispositifs de ventilation naturelle, il n’y a aucun retour d’expérience. Voyez le quartier BedZED en Angleterre qui fut précurseur en la matière : personne ne peut nous dire aujourd’hui si cela marche, si les logements sont correctement ventilés, si le système présente une économie énergétique. Il faut comprendre que les systèmes de ventilation naturelle qui reposent souvent sur le principe du tirage thermique (quelques dizaines de pascal) sont fragiles et peuvent vite être contrariés par les effets du vent (plus de 50 pascals).


D’a : La question de la frugalité est aujourd’hui en débat parmi les architectes. Est-ce que cette idée de modération vous paraît intéressante ?

Je suis heureux que le débat soit ouvert et je suis les discussions du groupe de la Frugalité heureuse et créative créé par Philippe Madec et Dominique Gauzin-Müller. Chez Enertech, nous avons pu constater sur le terrain que le high-tech ne marche souvent pas, que tous les systèmes domotiques de régulation, les gestions techniques centralisées, les bâtiments connectés avec des capteurs partout sont trop complexes et échappent au contrôle humain. Après il faut s’entendre sur le terme de « frugalité Â», c’est un mot polyphonique. Du point de vue des matériaux, les matériaux bio et géosourcés sont intéressants car ils réduisent notre dépendance aux matériaux très énergivores. Nous pensons également qu’il faut systématiquement privilégier une approche passive (isolation et ventilation performante) à des systèmes techniques (chauffage complexe, climatisation, GTC, etc.).


D’a : Est-ce que le fait de baisser la température de consigne ne serait pas le premier geste frugal ?

La température de consigne est toujours basée sur 19 Â°C dans les calculs réglementaires, or les gens se chauffent plutôt autour de 22 Â°C. Nous avons été accusés de défendre ces 19 Â°C, on nous a dit qu’on ne peut pas agir sur ce levier, on nous demande de trouver des solutions techniques qui ne changent pas les habitudes des gens, ni leur niveau de confort. Chez négaWatt, nous sommes convaincus que le premier levier de la transition écologique est la sobriété. Si les normes sociales évoluent et qu’on vise 19 Â°C dans les logements, voire 17 Â°C dans les chambres, alors ça simplifie tout ! Les exigences BBC seront plus facilement atteintes dans la réalité. La sobriété devrait être le premier geste fondamental de la transition écologique.


1. www.ademe.fr/renovation-performante-etapes1

2. www.ekoconception.eu/fr/renovationreconstruction-du-parc-de-logements-collectifs-dapres-guerre/

3. www.enertech.fr/rubrique/rubrique-240/

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