Résidence « Les blés d’or » au Blanc-Mesnil, André Lurçat architecte |
Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER Un récent rapport parlementaire dresse un constat très critique de l’efficacité des politiques de rénovation énergétique menées depuis quinze ans. Il nous fait prendre la mesure d’un enjeu gigantesque et voir l’échec flagrant du modèle technocratique qui devait y répondre. Tandis que les méthodes du projet d’architecture appliquées à la réhabilitation semblent être les seules à même de produire des résultats satisfaisants, les architectes risquent de rater le train de ce marché de maîtrise d’œuvre qui dominera le secteur du bâtiment pendant au moins une génération. |
Il est des situations vis-à -vis desquelles il faut être très optimiste pour ne pas désespérer. La réhabilitation écologique des constructions existantes est de celles-ci. Pour rappel, le secteur du bâtiment est responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre que nous nous sommes collectivement engagés à diviser par quatre à l’horizon 2050. Le levier de la construction neuve qui représente un taux de renouvellement du parc bâti de moins de 1 % par an ne saurait à lui seul répondre à l’enjeu. En revanche, nous habitons des millions de mètres carrés très énergivores sur lesquels il convient d’agir en priorité. De plus, d’un point de vue énergétique, il est préférable de rénover que de démolir pour reconstruire, car la démarche consomme beaucoup moins d’énergie grise. Enfin, pour être tout à fait honnête, la croissance du nombre de logements en France relève plus de l’augmentation de nos désirs de confort et de la mauvaise répartition générationnelle des surfaces disponibles que d’un réel besoin démographique. Il est donc inutile de continuer à artificialiser le territoire avec de nouvelles ZAC, fussent-elles des écoquartiers, quand l’actualisation du patrimoine domestique associée à une attitude un peu plus frugale pourraient suffire à relever le défi. Mais notre société de marché a désespérément besoin de fabriquer de la croissance – désormais verte – pour lutter contre l’érosion de sa rentabilité économique.
Cette prise de conscience de l’urgence écologique de la rénovation des constructions existantes revient régulièrement à l’agenda politique, comme un marronnier. Chaque nouvelle séquence feint l’amnésie pour affirmer qu’enfin le problème est pris à bras-le-corps et sera réglé en une génération. La période actuelle est de celle-ci, oubliant un peu vite que les mêmes propos étaient déjà tenus lors du Grenelle de l’environnement, au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy en 2007, soit une quinzaine d’années plus tôt, et repris il y a six ans lors de la COP 21. Une nouvelle fois, le pouvoir roule des mécaniques et nous promet une « task force », embarquant les mêmes équipes ayant échoué précédemment. Mais cette fois, c’est promis, le volontarisme du capitaine changera la donne, dès demain.
Un constat sans appel
Malheureusement, il est permis d’en douter. Un compte rendu1 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) daté du 12 juillet 2018 s’alarmait que les milliards d’euros investis depuis plus de dix ans dans la transition énergétique de l’existant aient été dépensés en vain puisque la diminution globale de la facture énergétique sur la période considérée n’était que de 1 %, soit moins que la marge d’erreur de l’étude. Nous disposons enfin, depuis février 2021, d’un rapport parlementaire2 complet sur le sujet, qui présente l’avantage de faire sérieusement le tour de la question et de synthétiser un certain nombre d’indicateurs clés. Dire que ses conclusions sont accablantes est un euphémisme. Les parlementaires font le constat de l’urgence de rénover avant 2025 4,8 millions de logements dits « passoires thermiques » qui, avant de compromettre l’avenir de la planète, sont responsables d’une grande précarité énergétique dans le pays, dégradent la qualité de vie des habitants et parfois leur santé. Aujourd’hui, seul 6,6 % des logements ont une étiquette DPE A ou B et 12 % des ménages sont en situation de grande précarité énergétique. Cette étape s’inscrit dans une trajectoire visant à rénover à un niveau BBC 27 millions de logements pour atteindre la neutralité carbone en 2050, soit un rythme de 500 000 logements par an sur les vingt-neuf prochaines années. Le rapport du Parlement pointe ainsi le retard conséquent pris ces quinze dernières années et les moyens financiers très insuffisants alloués à l’objectif. À raison d’un coût de 35 000 euros par logement, le budget nécessaire à cette ambition est d’environ 20 milliards par an, contre les 5 milliards actuellement investis périodiquement.
La rénovation énergétique n’est pas attractive pour les propriétaires
Le portrait de la situation s’attache aussi à la diversité du parc résidentiel et souligne que trois logements sur cinq sont des maisons individuelles très majoritairement médiocres sur le plan énergétique et sur lesquelles il est difficile d’agir. Les immeubles collectifs présentent un meilleur coefficient de forme qui rend leurs consommations moins mauvaises que celles des maisons. Dans cette catégorie du collectif, à peu rien n’a été fait dans les copropriétés. En revanche les bailleurs sociaux s’en sortent plutôt mieux avec un parc public relativement bien entretenu et actualisé, en comparaison du parc privé. Seuls 4 % des logements sociaux sont classés dans la catégorie des passoires thermiques.
Il semble que les politiques d’incitation à la rénovation énergétique n’aient pas convaincu les propriétaires privés, pour la raison assez simple que les mensualités de remboursement des travaux d’isolation thermique sont toujours très supérieures aux gains qu’ils offrent sur la facture d’énergie. Ainsi ces mensualités sont 50 % supérieures aux gains pour les ménages les plus modestes et 20 % pour les ménages les plus aisés. Comme le soulignent justement Denis Eliet et Laurent Lehmann, il est très difficile de convaincre de la pertinence d’engager des travaux de rénovation sur le seul argument énergétique et il est urgent de raisonner plus largement pour que ces actions soient attractives en termes de qualité de vie et proposent une réelle revalorisation du patrimoine.
Pour expliquer l’échec des quinze dernières années, les parlementaires pointent des politiques enlisées dans un maquis technocratique d’organismes, d’officines et de guichets divers et variés devenu complètement illisible même pour les spécialistes, au point que le Parlement reconnaît ne pas être en mesure d’en donner une cartographie cohérente. Idem pour les performances réelles des rénovations après travaux : très peu de retours d’expérience sont disponibles et cette absence d’évaluation ne permet pas de tirer des conclusions sur les méthodes engagées. Pire encore est la méconnaissance des consommations du secteur tertiaire, qui représente près d’un milliard de mètres carrés et dont il semble que les émissions de GES tendent à augmenter régulièrement en raison de la climatisation de plus en plus fréquente des bureaux.
Des rénovations partielles, sans projet
Le constat est aussi dressé que les aides diverses et peu structurées ont généré des rénovations partielles au gré des opportunités de subventions ciblées sur tel ou tel travaux, sans réflexion globale. La fameuse rénovation par « gestes » au fil de multiples étapes de travaux ne produit pas les résultats escomptés et revient à jeter l’argent par les fenêtres au grand bénéfice d’entreprises peu scrupuleuses ayant flairé le filon et monté des offres aux limites de l’arnaque (isolation des combles à 1 euro, etc.). Sur la période 2012-2016, seuls 0,2 % des rénovations satisfont aux performances basse consommation. Mais ces rénovations partielles peu attentives aux caractéristiques des bâtiments existants génèrent de nouvelles pathologies de la construction. Par exemple, le seul remplacement de fenêtres rend le logement beaucoup plus étanche à l’air et devrait donc être couplé à une amélioration de la ventilation sanitaire, faute de quoi l’habitation ne parvient plus à évacuer l’humidité, et génère des moisissures. L’air malsain pousse les habitants à diminuer l’humidité relative de l’air en augmentant la température et en ouvrant les fenêtres. De même des efforts d’isolation thermique qui ne prennent pas en compte l’amélioration de la protection solaire entraînent un inconfort d’été qui conduit les gens à installer en urgence des climatiseurs bon marché et très énergivores.
Un manque de compétences des acteurs
Le rapport met aussi en exergue le problème de la formation des acteurs. Moins de 20 % des entreprises de bâtiment sont certifiées RGE et ce chiffre tend à baisser d’année en année, alors qu’il suffit pourtant d’un seul technicien formé dans l’entreprise pour qu’elle soit certifiée. Marc Benard de l’agence Equateur fait remarquer que la qualité des rénovations BBC tend aussi à baisser depuis quelques années. À l’origine, les acteurs pionniers étaient portés par leur motivation et leur engagement écologique. Aujourd’hui, le dispositif de guichets et de subventions pousse de nombreuses personnes à faire juste le minimum requis pour capter la subvention sans intérêt pour le résultat final, dans une sorte de tartufferie cupide. La conséquence est que les rares contrôles montrent que 36 % des travaux de rénovation globale vérifiés sont défaillants. Ici encore, il y a urgence à former correctement les acteurs car il faudrait plusieurs centaines de milliers de professionnels compétents pour faire face à l’enjeu. Si ces futurs emplois présentent l’intérêt de ne pas être délocalisables, ils souffrent toutefois d’une faible attractivité auprès des jeunes. Du côté des cols blancs, la misère est la même et les actions de recherche et développement pourtant nécessaires à la mise au point de dispositifs et de méthodes efficaces sont pénalisées par le très faible financement du secteur, dont le budget recherche est de l’ordre de 0,2 % du chiffre d’affaires du bâtiment, tandis qu’il est de près de 2 % dans les autres domaines industriels. Ce chiffre doit aussi être rapproché des 3 % du PIB qu’un pays comme l’Allemagne consacre à la recherche.
À l’aulne de ces constats accablants, les récentes mesures prises par le gouvernement menacent simplement d’interdire de louer des logements dont les consommations seraient supérieures à 330 kWh/m2/an, à partir de 2028 alors que le rapport pointe la nécessité de passer l’ensemble du parc existant à un niveau BBC-Rénovation (env. 80 kWh/m2/an) avant 2050. Autant dire que la courroie de transmission est rompue entre le constat du Parlement et la volonté politique de l’exécutif.
Les architectes, ces grands absents
Il faut, avant de conclure, souligner que les architectes sont les grands absents de ce rapport parlementaire. La profession y est citée trois fois dans un document de près de 200 pages. Une première fois pour décrire l’importance du rôle de nos confrères allemands dans la coordination de la complexité d’une opération de rénovation. Les deux autres citations sont marginales. Interrogé par les parlementaires, Olivier Sidler, ingénieur énergéticien, préfère proposer la création d’une nouvelle profession de « designer énergétique » dans une logique corporatiste de bureau d’études. Le président de l’Ordre des architectes ne semble pas avoir eu droit à une audition individuelle, comme ont pu en bénéficier par exemple le patron de Saint-Gobain et de multiples représentants d’officines et think tanks divers. Il a malgré tout été invité à une table ronde sur « l’accompagnement des territoires et des publics dans les projets de rénovation énergétique ». Soit un strapontin dans les débats.
Il faut dire que, d’un point de vue réglementaire, la rénovation thermique d’un immeuble, si elle ne crée pas de nouvelles surfaces, ne nécessite qu’une simple déclaration préalable et non un permis de construire, rendant facultatif le recours à l’architecte. Sans doute n’avons-nous pas su démontrer nos compétences en la matière. En dehors des situations d’obligation, le public ne comprend toujours pas très bien pourquoi il aurait intérêt à faire appel à notre profession. Pourtant tous les constats d’échec des politiques menées depuis quinze ans concourent à souligner l’absence de projet de rénovation, l’incapacité des acteurs à inscrire les améliorations recherchées dans la complexité d’un édifice. Tous les propos de ce rapport convergent pour dire que la seule rénovation énergétique n’est pas attractive pour les propriétaires si elle ne s’accompagne pas d’une amélioration des qualités d’habitabilité des logements, si elle ne revalorise pas leur patrimoine. Il échappe aussi au rapport, lorsqu’il souligne l’entretien correct du parc de logements sociaux, que c’est sur ce marché que les architectes interviennent encore.
Comment résoudre un problème avec les moyens qui l’ont créé ?
Dans le même temps, le lancement récent en France du programme européen Energie Sprong3 propose de nouvelles solutions toutes prêtes, industrialisées, qui consistent à plaquer sur les façades et les toitures de bâtiments existants des nouveaux panneaux préfabriqués aux qualités architecturales affligeantes. Soutenu par le gouvernement français, ce système initialement développé aux Pays-Bas promet aux propriétaires une performance zéro énergie grâce à la mise en place d’une excellente isolation et de panneaux solaires. Son modèle économique repose sur un montage financier qui fait en sorte que les habitants s’engagent pendant trente ans à régler des mensualités de travaux plutôt que des factures d’énergie.
Energie Sprong est développé en France par la start-up GreenFlex, qui agit comme un assistant à la maîtrise d’ouvrage se chargeant de tous les travaux et qui engrange les mensualités de remboursement. Il faut faire une petite enquête pour comprendre que cette « start-up » est en réalité une filiale de Total et que son modèle économique repose peut-être sur un transfert de rente entre fournisseurs d’énergie. Précisons que ces rénovations zéro énergie sont très onéreuses et engagent des remboursements captifs sur trente ans tandis que des études récentes ont pourtant montré que le bon équilibre entre énergie grise investie et énergie de consommation économisée était plutôt la rénovation BBC, soit aux alentours de 80 kWh/m2/an. Qui sait si les propriétaires déjà si souvent lésés par le mauvais rapport qualité-prix des maisons individuelles de constructeurs ne seront pas à nouveau les dindons de la farce de formules de réhabilitation plus mues par les sordides astuces du capitalisme financier que par le souci d’amélioration des conditions de vie ?
Et pourtant, l’architecture
Ce dossier présente, comme une alternative optimiste, les travaux des agences Eliet & Lehmann et Equateur qui toutes deux démontrent la pertinence des outils du projet pour produire des réhabilitations qui associent performance thermique et qualité architecturale. Ces architectes militent pour renouveler le regard porté sur un patrimoine qu’on qualifie un peu trop péjorativement de « passoire thermique » et qui présente en réalité de grandes qualités qui ne demandent souvent qu’à être améliorées. Ils nous disent aussi que les constructions des Trente Glorieuses étaient souvent intelligemment réalisées par des architectes qui savaient construire, et dans lesquelles la question énergétique, au sens large, était plutôt bien abordée, dans la limite des exigences de l’époque. Ils soulignent leurs qualités d’ensoleillement, de ventilation, d’inertie thermique. En termes de confort d’habitat, la production de cette époque était souvent plus qualitative que celle d’aujourd’hui et offrait régulièrement de grands logements spacieux, traversants et lumineux. Leurs formes urbaines, très décriées par les critiques de la période postmoderne, créaient pourtant des conditions de vues et paysages lointains inégalées.
Les travaux présentés dans ce dossier démontrent que les outils d’analyse et de conception des architectes sont en mesure de répondre à l’enjeu, dans les budgets conventionnels de la maîtrise d’ouvrage, en offrant plus qu’une performance thermique obtenue par emballage. Frédéric Druot revient sur l’étude PLUS Paris, menée avec Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, qui déploie une problématique similaire, à l’échelle urbaine. Paris n’a pas besoin de nouvelles ZAC mais plutôt d’une actualisation de son patrimoine moderne. Thierry Rieser, ingénieur énergéticien et gérant d’Enertech nous rappelle quelques points clés d’une bonne rénovation thermique et s’interroge sur l’inamovibilité des normes sociales de confort qui s’opposent à des approches frugales de la question, au bénéfice de la surenchère technologique. Raphaël Labrunye, architecte historien, revient sur la recherche Smart french, la résilience de la ville moderne 1945-1975, qui a mis en évidence des qualités architecturales et constructives récurrentes de cette période et ouvert des pistes de recherches prometteuses. Parmi celles-ci, le développement expérimental d’un dispositif de ventilation naturelle est actuellement engagé par l’ingénieur Laurent Mouly sur la tour de Renée Gailhoustet à Ivry.
Pour chacun d’entre eux, l’analyse et la compréhension de l’existant sont la clé de la réussite d’une opération de rénovation tandis que les « solutions clé en main » que nous appliquons depuis des lustres conduisent toutes au désastre que constate le Parlement. Pour ne pas paraître trop corporatiste, reconnaissons aussi que les compétences constructives absolument nécessaires à la réhabilitation ont été délaissées par les architectes depuis une trentaine d’années et que notre communauté a souvent regardé la question de l’existant avec très peu de considération, comme une activité moins glorieuse que la création neuve vers laquelle se tournent plus facilement les photographes, les critiques et les revues. Sans nul doute le projet est l’outil le plus pertinent pour aborder cette problématique désormais majeure à condition que nous nous engagions et nous formions. Craignons tout de même que, dans le sillage d’Energie Sprong, l’urgence de la situation n’offre de nouveaux arguments à des « task forces » cyniques constituées des grands industriels de la construction pour la mise en œuvre de leurs solutions génériques, sans égard pour les spécificités de chaque édifice, aux dépens de la qualité de vie. On nous opposera sans doute que la pensée du projet ferait perdre un temps précieux que nous n’avons plus et que l’heure est au sauvetage de la planète. Naomi Klein montrait déjà en 2007, dans La Stratégie du choc que le capitalisme financier sait parfaitement tirer parti des crises et des catastrophes – qu’il a provoquées – pour étendre son emprise.
1. www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180709/opecst.html#toc2
2. www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-dvp/l15b3871_rapport-information#
3. www.energiesprong.fr
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