Faire plus avec moins - Entretien avec l’architecte Frédéric Druot

Rédigé par Stéphane BERTHIER
Publié le 01/05/2021

Réhabilitation du Grand Parc à Bordeaux

Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER
Dossier publié dans le d'A n°289

Frédéric Druot a débuté sa carrière au sein de l’agence bordelaise Épinard Bleu de 1987 à 1991 avant de fonder son agence d’architecture à Paris. En 2007 il présente, en association avec l’agence Lacaton & Vassal, l’étude PLUS conçue comme une recherche sur l’actualisation de la question du logement par la transformation du patrimoine des Trente Glorieuses. Depuis les intérieurs de chaque logement, par addition de surfaces, par l’apport de lumière naturelle, par l’ajout des jardins d’hiver et de balcons, l’habitabilité de chaque logement est augmentée, les performances thermiques des bâtiments améliorées. Il s’agit de ne jamais démolir pour reconstruire, de faire plus avec moins. Seules trois réalisations sont issues de cette étude : les immeubles de la Chesnay à Saint-Nazaire, la réhabilitation de la tour Bois-le-Prêtre à Paris puis la réhabilitation selon le même principe de 530 logements à la cité du Grand Parc à Bordeaux, qui sera récompensée par le prix Mies van der Rohe 2019.

D’a : Malgré la grande fortune critique de l’étude PLUS, on s’étonne que seuls deux projets aient été réalisés. Comment l’expliquez-vous ?

L’attention aux immeubles existants nécessite un investissement particulier et certainement beaucoup plus intense que dans le cas de projets neufs, non seulement parce qu’il importe d’apporter à des bénéfices d’habitabilité déjà là de nouveaux bénéfices en matière de lumière de surface, de facilités, de performances thermiques, mais aussi et c’est peut-être la raison première parce qu’ils sont occupés. Ce travail est exigeant, précis, implique des collaborations plus fortes de tous les acteurs du projet. C’est donc très souvent devant ce besoin d’investissement fort et qui va au-delà des modes de conception et de réalisation traditionnels que les bras se baissent et qu’une forme de « paresse Â» intellectuelle s’installe et condamne les grands projets de transformation de ces patrimoines. Ce sont des opportunités perdues de plaisir d’habiter. Malheureusement largement mis en évidence dans la période de confinement que nous vivons actuellement. Celui-ci nous rappelle pourtant l’importance de cette question d’habiter : les gens ne peuvent pas vivre dans des logements exigus, mal fichus, sans extension extérieure. Or, on considère aujourd’hui au mieux ces constructions du XXe siècle sous l’angle patrimonial, historique, et par des approches sectorielles et spécialisées, qu’elles soient écologiques ou thermiques, mais pas dans un sens global qui concernerait la question du plaisir d’habiter un logement.


D’a : Pensez-vous que la motivation politique actuelle pour la rénovation de ce patrimoine moderne offre de nouvelles opportunités à saisir ?

Non, cela ne changera probablement rien. L’approche écologique y est considérée sous l’angle énergétique uniquement. Ce qu’il faut, c’est une écosophie du logement. Le concept d’écosophie renvoie aux trois écologies de Félix Guattari : en plus de l’écologie ordinaire, il doit y avoir l’attention à l’économie sociale générale et le souci de penser à chacun, d’entendre la « clameur de l’être Â». L’approche écologique contemporaine est apolitique et donc superficielle. Si on exclut le logement de son champ de réflexion, alors on ne parle pas d’écologie.

D’a : Après PLUS, vous avez travaillé en 2016 sur une seconde recherche intitulée PLUS Paris. Quels étaient ses objectifs ?

Nous avons conduit cette étude avec Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, dans le prolongement de l’opération de la tour Bois-le-Prêtre. Nous avons étudié 1 648 situations urbaines existantes, dans Paris et sa première couronne, pour voir de quoi elles étaient capables si nous les actualisions comme nous l’avions fait avec la tour Bois-le-Prêtre. Cette étude montre que nous pouvions augmenter de 20 % le nombre de logements. Ces 1 648 situations urbaines accueillent aujourd’hui 450 000 logements et nous pouvions en créer 135 000 de plus, dans les règles d’urbanisme, sans démolir, sans créer de nouveaux réseaux ou infrastructures, en gardant les arbres, et les gens dans leurs logements. Le plan-masse de Paris ne bouge pas, nul besoin de lancer des ZAC sur des friches. Cette étude montre qu’on peut répondre largement aux besoins d’aujourd’hui en réparant, augmentant, actualisant le patrimoine existant. Mais il faut poser un regard attentif et détaillé sur chaque situation particulière, l’analyser finement pour en déduire la capacité d’évolution. Cette approche demande énormément de travail, c’est en ce sens que je parlais de flemme généralisée des acteurs.


D’a : Cette recherche n’a pas trouvé d’écho auprès des politiques ?

Très peu, rien au-delà d’un enthousiasme de façade. Le sujet du logement est aujourd’hui abordé sous l’angle financier et esthétique. C’est un produit économique, une image marchande seulement. Les lobbies ont intérêt à construire des ZAC sur des tabula rasa. Mais cela coûte 60 % plus cher de démolir et reconstruire plutôt que de réparer. Et on ne compte pas l’énergie qu’il faut pour détruire, rebâtir, créer de nouveaux réseaux, etc. Il faut aborder la question du logement comme un prolongement de nous-mêmes. J’écoutais l’autre jour une émission de France Culture dans laquelle une auditrice disait qu’un logement sans balcon est un logement mutilé. Mais il n’y a pas réellement d’ambition politique du logement à Paris et dans beaucoup d’autres grandes villes de France, sinon quantitative. Le confinement l’a bien montré. On ne peut pas vraiment vivre dans des petits logements. Notre proposition s’inscrit pourtant parfaitement dans l’objectif de zéro artificialisation nette, sans consommation de territoire ni gens déplacés. Ce qui se passe actuellement sur le plateau de Saclay m’épouvante. On artificialise des milliers d’hectares pour y faire la nouvelle France intelligente, la Silicon Valley quarante ans après !


D’a : Au regard des performances thermiques d’aujourd’hui, ce dispositif de couronne de jardins d’hiver est-il toujours pertinent ?

Oui, ces jardins d’hiver ont une performance supérieure aux ITE et je ne sais pas habiter dans 20 cm de laine de verre ! On ne peut pas placer la question de l’énergie en dehors ou au-delà de la question du logement. Nos retours d’expérience montrent que nos opérations à Paris et à Bordeaux font baisser de 60 à 65 % les consommations d’énergie. Par ailleurs les performances des constructions BBC conventionnelles sont toujours surestimées. En réalité, leurs consommations sont supérieures aux prévisions faites dans les études.


D’a : Mais les performances des jardins d’hiver supposent qu’ils restent fermés en période de chauffe ?

Nous pensons qu’il faut rendre la performance aux gens qui habitent. On régule l’énergie comme on régule nos corps, avec des vêtements que l’on met ou que l’on retire. On leur donne la capacité d’habiter différemment selon les saisons. Mais même si on utilisait le jardin d’hiver en période de chauffe, on ne perdrait pas beaucoup plus qu’en ouvrant les fenêtres d’un immeuble BBC conventionnel. Il ne faut pas perdre le plaisir d’habiter, les gens ne vivent pas comme des cloportes. Aujourd’hui en architecture, on fait de la forme, on gesticule, mais les logements produits ne sont pas généreux. C’est dû en partie à l’indexation des loyers sur les surfaces. Pourquoi les loyers ne seraient pas indexés sur le coût des travaux plutôt que sur les mètres carrés ? Si on parvient à construire plus grand pour le même prix, pourquoi les loyers seraient-ils plus élevés ?


D’a : Votre approche est aussi très multiscalaire.

En effet, la tour Bois-le-Prêtre était une opération à l’échelle de l’architecture. À Bordeaux, nous sommes presque à l’échelle de l’urbanisme. On ne peut pas diviser les professions d’architecte et d’urbanisme. Je parle d’archibanisme ou d’urbatecture. Il faut réfléchir autrement, plus largement, en ouvrant le champ de l’architecture à celui de la ville sans discontinuité, sans limite, réfléchir de la fourchette posée sur la table au paysage infini de la ville que l’on doit voir depuis son balcon. Espérons que le Pritzker Prize qui vient d’être remis à Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal permettra aux acteurs du bâtiment et de la ville un regard nouveau sur la question du logement et de son patrimoine existant.

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