Le temple du soleil
Tout architecte se doit de connaître la célèbre phrase de Le Corbusier : « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. » Cinquante ans plus tard, Louis I. Kahn, un peu plus abscons mais non moins exalté, déclare : « Je perçois la Lumière comme la source de toute présence, et le matériau comme de la lumière dépensée. […] Lumière vers le Silence, Silence vers la lumière se retrouvent dans le sanctuaire de l’art. Son trésor ne connaît aucune préférence, aucun style. Vérité et communion, absolu de la loi y sont les offrandes.* » Alléluia !
Pour les hérauts de la modernité, le soleil aura fait l’objet d’un véritable culte. Au péché de fonctionnalisme radical, la domestication de la lumière a pu faire office de rédemption. En la domptant, l’architecte se fait thaumaturge (celui qui accomplit des miracles). S’il refrène son ego et sa tentation démiurgique, il peut au moins faire des miracles ! Et gare à celui que n’habite pas cette foi incandescente : le cercle des grands maîtres d’œuvre lui restera fermé. Loin de cette vénération, les rayons de la fée Électricité n’ont pas cette aura. D’ailleurs, sa vulgarité ne s’accommode-t-elle pas sans complexe de l’architecture commerciale ou industrielle ? Kahn nous mettait bien en garde : « L’ampoule électrique combat le soleil. Pensez-y. »
Ce n’est que dans les années quatre-vingt-dix, en collaborant volontairement ou non avec les concepteurs lumière, que les architectes apprendront à maîtriser l’éclairage artificiel. Mais aujourd’hui, à l’aune de la dématérialisation, des écrans et des LEDs, l’opposition naturel/artificiel est profondément remise en cause. Si l’espace se définit moins par le jeu de la matière et de la lumière, si l’opacité devient transparence par une simple pulsion électrique, sur quoi peut-on fonder de nouvelles significations ?
C’est pourquoi, commençant en octobre par l’éclairage artificiel avant de revenir à la lumière naturelle en novembre, nous avons décidé de consacrer deux dossiers à ces questions.
Emmanuel Caille
* Silence et Lumière, Louis I. Kahn, pp. 214-216, éditions du Linteau, pour un texte paru originellement en 1970.