Le Corbusier et Lucien Hervé en 1955 dans le bâtiment de la Haute Cour à Chandigarh |
Par sa capacité à rendre spécifiquement compte de l'espace, la photographie est sans doute la compa-gne la plus intime de l'architecture. Et son point de vue n'est pas dénué de subjectivité. L'ouvrage Le Corbusier, Lucien Hervé, contacts révèle avec brio la manière dont Lucien Hervé se saisit d'une gageure : photographier l'œuvre de Le Corbusier. En 1949, le hasard conduit Lucien Hervé à réaliser un reportage sur le chantier de l'unité d'habitation de Marseille, alors qu'il ignore tout de l'architecture contemporaine. C'est pour lui l'opportunité de découvrir une œuvre et l'occasion d'une révélation. La singularité de son regard n'échappe pas au maître : « Monsieur, vous avez l'âme d'un architecte », lui écrit Le Corbusier, après avoir pris connaissance des six cent cinquante clichés exécutés en une seule journée. La réaction immédiatement enthousiaste de ce dernier, pourtant réputé pour sa froideur, montre la convergence de leurs regards. Lucien Hervé devient dès lors son photographe. Loin de se limiter au documentaire, ses prises de vue exaltent véritablement la dimension plastique et spatiale des édifices. |
Constitué de planches contacts, fruits d'un travail commun, le présent livre Le Corbusier, Lucien Hervé, contacts dévoile leur démarche respective à l'œuvre. À la demande du premier, le second photographie la production réalisée depuis leur rencontre, laquelle arrive, pour ainsi dire, à point nommé. La commande de l'État pour une première unité d'habitation confère à Le Corbusier la reconnaissance publique tant espérée. Les prises de vue d'Hervé constituent alors une précieuse banque d'images, devenant le fer de lance d'une stratégie de diffusion des projets, réalisés ou non, de l'architecte.
Entre 1949 et 1965, Hervé a la priorité sur les reportages. Deux des huit volumes des Œuvres complètes sont ainsi uniquement composés de ses clichés. Hervé photographie les maquettes, chantiers, bâtiments – vues intérieures et extérieures –, aussi bien que les plans, dessins, peintures ou carnets de voyages. Par son entreprise, il devient le gardien de la mémoire de Le Corbusier. Mais pas seulement. Son regard est interprétatif. Avant d'être transmis, les contacts 6x6 sont recadrés aux ciseaux, son outil de prédilection. Les documents sont ensuite rassemblés par l'architecte sur des feuilles de format 21 x 32 cm selon la numérotation du photographe (douze contacts par feuille). Bien que sélectives, les planches ainsi recomposées suivent un ordre chronologique et deviennent dès lors un précieux témoignage du work in progress d'Hervé, de la façon dont il opère sur place.
Parmi les mille deux cents documents conservés à la Fondation Le Corbusier, l'ouvrage expose quelques centaines de planches, à l'échelle, dont de nombreuses vues inédites des unités d'habitation de Marseille et de Nantes, de l'usine de Saint-Dié, de la chapelle de Ronchamp, des maisons Jaoul, des réalisations d'Ahmedabad et de Chandigarh, du Pavillon suisse et de la Maison du Brésil à Paris, du couvent de la Tourette, du pavillon Philips. Il laisse entrevoir la qualité de la relation, à la fois professionnelle et amicale, qui lie Hervé à Le Corbusier, les deux hommes se rejoignant par leur pratique picturale. Comme pour en souligner la teneur, le livre présente des portraits intimes de l'architecte pris dans ses lieux de vie, l'appartement-atelier de la rue Nungesser-et-Coli à Paris ou l'espace minimal du cabanon de Cap-Martin.
À l'instar de ces portraits d'homme, les édifices sont saisis à travers des cadrages serrés. Le photographe livre à chaque fois peu de vues d'ensemble, les bâtiments étant davantage suggérés par leurs détails architectoniques. Ses vues dévoilent la nature de ses références, davantage en relation avec le domaine de la peinture qu'avec celui de la photographie, à l'exception peut-être de Moholy-Nagy. Chacun des clichés forme un tableau, le plus souvent abstrait. Hervé joue du cadrage, parfois avec humour, des angles de champ, des contrastes d'ombre et de lumière, des effets de perspective, des plongées et contre-plongées, des volumes, des géométries et des matières. Il met en scène, l'espace corbuséen devenant son décor. La succession des vues retrace ici le fil du processus en mouvement du photographe d'origine hongroise. Ainsi, lorsque des personnages surgissent, ouvriers au travail ou enfants jouant, l'image devient plan, rappelant les films de Dziga Vertov. Le contenu de cet ouvrage révèle un Hervé à l'œuvre dans l'œuvre…
Dum Dum, Lukasz Wojciechowski, éditions çà & là 21 x 15 cm, 272 p., 25 euros [...] |
La couleur des choses, Martin Panchaud, Éditions çà et là , 17 x 23 cm, 236 p., 24 euros [...] |
Que notre joie demeure, Kevin Lambert, éditions Le Nouvel Attila20 x 14 cm, 368 p., 19,50 euros. [...] |
Tentatives périlleuses, Treize tragédies architecturales, Charlotte van den Broeck, Héloïse d’… [...] |
La Grande révolution domestique, Dolores Hayden, Éditions B4214 x 22 cm, 376 p., 29 euros. [...] |
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