C’est une architecture épurée : sobre, neutre, d’un minimalisme distingué, où seule la lumière s’autorise une certaine emphase. À quel bâtiment pensez-vous ? Une fondation pour l’art contemporain en Suisse ? Un musée de David Chipperfield ? Une maison de Tadao Ando ? Un gymnase de Livio Vacchini ? Un flagship store de John Pawson ? Erreur. Vous regardez des crématoriums récemment construits par d’éminentes figures de la profession : RCR, Souto de Moura ou Kees Kaan. De là à penser que les qualités aujourd’hui revendiquées par les hérauts d’une intransigeante modernité n’atteignent leur perfection que pour des édifices consacrés à la mort, il n’y a qu’un pas que l’on s’autorise narquoisement à franchir. Il est vrai que l’on pourrait tout autant se demander si la fascination de nombreux architectes pour la radicalité brute et minimaliste appliquée à tout type de projet ne cache pas inversement un goût pour le sépulcral. À moins que cette manière d’imposer tant d’austérité dans des programmes plus triviaux que ceux dédiés aux funérailles ne soit une tentative désespérée pour réintroduire un peu de sacralité dans un milieu où le consumérisme le plus débridé règne implacablement ?
Toujours est-il qu’à l’heure où notre attitude face à la mort et aux rites, sacrés ou laïcs, qui l’accompagnent est à l’aube de subir de profonds bouleversements, l’architecture devrait avoir un rôle déterminant à jouer. En France, les communes ne semblent pas encore avoir véritablement pris conscience des enjeux symboliques d’une telle mutation et, de même que les cimetières sont traités avec désinvolture, les budgets alloués aux crématoriums sont à peine supérieurs à ceux consacrés aux salles des fêtes… Il faut aller à l’est et au nord, notamment en Belgique, pour découvrir combien l’architecture est investie d’une place essentielle dans l’avènement de ces nouveaux rites laïcs.
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