Projet des lauréats : noAarchitecten |
Nous revenons ce mois-ci sur un
concours dont les résultats ont été rendus publics l’année dernière. Il avait
provoqué un certain émoi dans l’Hexagone : malgré la forte implication du
Centre Pompidou, pratiquement aucune équipe française n’avait été retenue pour
participer à la consultation.
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La région bruxelloise a décidé de doter la capitale belge d’un grand musée d’Art moderne et contemporain – incluant l’architecture – et semblable au MoMA ou au Centre Pompidou. Un équipement qui fait défaut à cette grande métropole culturelle pour répondre aux exigences du tourisme international comme pour fédérer les différentes populations qui composent la ville. Les édiles ont rapidement trouvé le terrain nécessaire à l’opération : une friche industrielle située sur l’un des boulevards de la petite ceinture, à la jonction du centre et des faubourgs nord.
Jusque-lÃ
les choses sont simples et l’on aurait pu avoir, comme d’habitude, une
consultation rassemblant des architectes internationaux supposés capables de
répondre à ce type de grande infrastructure culturelle. Un tournoi au cours
duquel se seraient affrontés les héros des différents pays : les Perrault,
Coop Himmelb(l)au, Sejima & Nishizawa, Snøhetta, Holl, Aires Mateus, Foster
et même une Zaha Hadid ressuscitée pour l’occasion… Arrivés en fanfare pour
déposer leur dossier de candidature, ils n’ont cependant pas été retenus pour concourir,
parce que les choses, en vérité, étaient beaucoup plus compliquées…
Destins croisés
Plus qu’au schéma classique définissant des entités claires – un maître d’ouvrage, un programme et un site –, c’est à des histoires croisées et entrecroisées que les postulants ont été confrontés. D’abord l’histoire de la maîtrise d’ouvrage qui, ne possédant pas les collections nécessaires à la constitution d’un fond, a dû faire appel comme dans une fable de La Fontaine au puissant Centre Pompidou, qui mène depuis Metz et Malaga une politique expansionniste. Ainsi la région a dû passer avec lui un contrat de dix ans pour qu’il l’aide à organiser le concours et à monter les premières expositions tout en s’engageant à prêter ses collections. Une immixtion qui n’a pas été forcément du goût des élites bruxelloises, qui ont vu dans cet accord l’ingérence d’un prétentieux pays voisin dans leurs affaires culturelles.
L’histoire du programme qui vient ensuite est elle aussi très complexe. Elle commence par la décision de créer un musée d’Art moderne et contemporain. Passe par l’intégration du CIVA – le Centre international pour la ville, l’architecture et le paysage, un organisme existant consacré à la conservation d’archives ainsi qu’au montage d’expositions et d’événements – tout en cherchant à promouvoir une culture plus conviviale portée en Belgique par des réseaux associatifs extrêmement actifs.
Enfin la longue histoire du site. Elle commence par un bastion défendant l’enceinte du XIVe siècle, qui, après avoir été détruit intégrera le port fluvial relié à Anvers par le canal de Willebroek. Une fois les bassins comblés après la Grande Guerre, le terrain accueillera un Luna Park avant que l’entreprise Citroën n’y implante son garage au début des années 1930, le plus important d’Europe. Un véritable hôpital conçu pour protéger, entretenir, réparer les automobiles de la marque aux chevrons et présenter ses derniers modèles. Un monument moderne doté notamment d’un faisceau lumineux sortant du toit de sa rotonde vitrée pour, comme un phare, indiquer la nuit son emplacement aux automobilistes. Ce centre de maintenance a su se transformer en fonction de la place grandissante de l’automobile dans la société tout en répondant aux mutations urbaines. Mais sa nef de verre de 21 mètres de haut reste l’un des repères importants du boulevard et devait expressément être réhabilitée. Elle semble toujours hantée par la légende d’André Citroën, un chef d’entreprise hors normes qui loin de flatter ses actionnaires a poussé son entreprise à la faillite en voulant construire des prototypes aussi performants que bon marché tout en respectant ses employés, à des années-lumière de Xavier Niel et des grands patrons d’aujourd’hui…
Ces histoires qui se répondent en écho ont défini les limites de l’intervention : arbitrer les relations entre une culture institutionnelle et une autre plus libertaire ; ajouter de nouvelles constructions dans le garage existant pour rendre compte de sa nouvelle affectation ou retirer au contraire certains de ses éléments pour maximaliser sa fluidité et l’affirmer comme un espace capable.
La plupart des candidatures retenues ne correspondent pas à des individus isolés mais à des associations provisoires qui alignent des acronymes parfois inconnus. Elles forment de subtils dosages d’équipes de nationalités différentes et semblent elles aussi porteuses d’histoires compatibles avec celles qui sont à l’origine de l’opération.
Les réponses ont aussi un air de parenté, qui se concrétise notamment dans l’homogénéité des rendus. Pas de vues illusionnistes ou photographiques, mais des perspectives semblant avoir été dessinées à la main avec des points de fuite latéraux très éloignés pour éviter tout effet d’immersion. Leurs graphismes sont proches de la bande dessinée pour rendre compte des usages favorisés par les espaces rénovés. De même, les références sont récurrentes – la mosquée de Cordoue, le Luna Park, le Crystal Palace, le plan de Nolli pour Rome… – et les protocoles de conception présentent eux aussi de nombreuses similitudes.
En ce qui concerne les différences, ces propositions oscillent entre deux positions extrêmes : délimiter clairement les institutions ou au contraire fragmenter leur programme – les galeries d’exposition, les centres de documentation, les auditoriums… – de manière à créer une pépinière d’équipements pouvant tous prétendre à une autonomie radicale.
MESURE
Architectes : noAarchitecten (Bruxelles) – EM2N (Zurich) – Sergison Bates (Londres, Zurich)
BET : BuroHappold (Londres)
Lauréats
Cette équipe formée de Belges, de Suisses et d’Anglais – ces derniers plutôt reconnus pour la qualité de leurs logements – témoigne de rapprochements culturels symptomatiques de ce qui sépare fondamentalement la France de la Belgique.
Leur proposition, très consensuelle, réactive les axes de circulation majeurs du garage : la galerie nord-sud, qui reliait le showroom à l’entrée arrière par laquelle s’effectuaient les livraisons, et la nef est-ouest, un passage carrossable, connectant les jardins au canal, qui protégeait la station-service.
Ce cardo et ce decumanus déterminent maintenant l’organisation générale de l’espace uniformément tramé dans lequel viennent s’inscrire trois constructions nouvelles à la manière de la cathédrale et des églises édifiées par les chrétiens dans la mosquée de Cordoue. Ainsi le bloc du CIVA vient-il remplacer l’immeuble de bureaux existant, tandis qu’ailleurs se développent les constructions correspondant au musée d’art et aux espaces mutualisés. Ces éléments institutionnels sont clairement définis et laissent ouvert le reste de l’espace à toutes formes d’appropriation.
Le showroom de verre dépouillé des planchers rajoutés dans les années 1950 retrouve son lustre d’antan pour servir désormais d’entrée principale. Tandis que les façades sont unifiées par un attique homogène sur lequel viennent s’afficher en lettres lumineuses les activités du centre, à la manière des projets de Nouvel ou d’Herzog et de Meuron des années 1990.
ATOMISATION
Architectes : 51N4E (Bruxelles) – Caruso St John (Londres) – l’AUC (Paris) – Artiste : Thomas Demand (Munich)
BET : Ove Arup & Partners International (Newcastle)
Alors que 51N4E a assuré le suivi du projet et a apporté sa connaissance de la scène bruxelloise, que l’AUC a amené sa stratégie, on doit à Caruso St John le traitement des espaces emblématiques. Le projet est plus centrifuge que le précédent et voit ses activités déborder sur la ville, notamment sous la forme d’un musée mobile flottant sur les eaux du canal. À l’intérieur, une multiplicité de générateurs d’activité très dessinés fait complètement éclater le programme. Ainsi la nef est-ouest – qui, à l’origine, accueillait la station-service et coupait le bâtiment en deux – devient-elle l’entrée principale. Loin de rester nue comme cela est la règle depuis le Palais de Tokyo, elle s’habille de coques en fibrociment qui déterminent un espace très architecturé pouvant accueillir exposition, performance et grandes réceptions. Ailleurs, un cylindre de verre vient s’immiscer sous les fermes métalliques restaurées pour proposer une galerie autonome. Tandis que l’ancien immeuble de bureaux est détruit au profit des locaux du CIVA sur lesquels se hisse un centre de documentation qui offre des vues panoramiques sur la ville et rayonne comme une bibliothèque à part entière. Sans aucun doute l’un des projets les plus intéressants, cependant rapidement éliminé par le jury car sa fragmentation tendant à l’atomisation mettait les institutions en crise.
ANAMNÈSE
Architectes : OMA, Rem Koolhaas (Rotterdam)
Le seul architecte international appartenant au Gotha de l’architecture à avoir été retenu. Sans doute parce que OMA + Rem Koolhaas, c’est déjà un récit en phase avec celui du site : une entreprise hollandaise soucieuse de sa gestion ayant comme principal associé un André Citroën encore plus halluciné et jusqu’au-boutiste.
Ici le projet se promet de retirer plutôt que d’ajouter. Ainsi les planchers construits dans la nef ont-ils été déposés et l’appendice contenant leurs rampes d’accès démoli pour qu’à sa place vienne maintenant s’immiscer l’entrée.
Sous les fermes industrielles restaurées peut maintenant s’étendre un vaste espace amniotique dont la fonction matricielle est encore augmentée par un appareillage de prothèses et d’équipements scénographiques. Notamment ces multiples grues mobiles qui, comme dans un port, permettent d’accélérer le renouvellement perpétuel des manifestations. Dans cette couveuse flottent les institutions : au nord, le musée et, à l’est, le CIVA, dans l’immeuble de bureaux préservé dont seule la façade des années 1970 est retirée pour laisser apparaître celle des années 1930 qui persistait derrière elle.
Autre élément emblématique : le parking, qui ne vient pas pudiquement se glisser en sous-sol comme dans les autres propositions mais qui s’étend sous la canopée de verre et d’acier à proximité immédiate de la grande nef, transformée en jardin d’hiver. Un parking qui peut aussi bien accueillir temporairement les marchés de la ville que recevoir des expositions parmi ses voitures.
Un projet très questionnant qui, tout en intervenant de manière minimale, a su faire remonter à la surface toutes les strates mémorielles enfouies dans le site – le port, le Luna Park, le garage – pour mieux les réconcilier avec la ville d’aujourd’hui et de demain.
PHYTO-PURIFICATION
Architectes : OFFICE Kersten Geers David Van Severen (Bruxelles) – Christ & Gantenbein (Bâle)
Paysagiste : Bureau Bas Smets (Bruxelles)
BET : Bollinger + Grohmann (Bruxelles)
Une candidature réunissant des équipes d’architectes belges et suisses à la production comparable en de multiples points et toujours symptomatique de l’axe Bruxelles-Bâle. Les concepteurs et leur paysagiste sont d’abord partis d’une analyse des espaces plantés du contexte, de manière à dessiner un « archipel climatique » dont le garage Citroën réhabilité serait l’une des pièces maîtresse. Le projet débute ainsi par l’introduction sous les verrières existantes de plantes utilisées par la NASA pour purifier l’air des stations orbitales.
Dans cette ville sous cloche peuvent ensuite se développer les constructions neuves abritant les institutions. Deux constructions assez wrigthiennes s’élancent ainsi vers le ciel : un cube aux ouvertures triangulaires pour le musée, et un cylindre dont le sommet est découpé par des fenêtres semi-circulaires rappelant des festons pour le CIVA. Tandis que le Kaaitheater ouvert sur le boulevard qui grève une partie de la parcelle se retourne vers ce paysage intérieur. Une exégèse élégante du Crystal Palace, à la fois serre, espace d’exposition et galerie des machines…
MOBILITÉS
Architectes : Diller Scofidio + Renfro (New York) – JDS Julien De Smedt (Bruxelles, Copenhague, Shanghai)
BET : SETEC (Paris)
Diller & Scofidio, sans doute les architectes les plus en vogue aux États-Unis actuellement, ont entraîné l’ambitieux Julien De Smedt dans leur sillage pour revenir sur leurs préoccupations. Le nouveau pôle culturel est ainsi conçu pour des corps en déplacement et ce sont ces mouvements plus que les espaces statiques qui servent de base à sa conception. Escaliers, rampes, galeries, mezzanines, passerelles se succèdent pour traverser de part en part l’édifice existant jusqu’à en coloniser la toiture. Ce parcours en apesanteur nous promet une odyssée à travers les différentes disciplines artistiques – cinéma, danse, théâtre, musique, arts plastiques, architecture… – tout en nous rappelant l’itinérance qu’a tentée de mettre en œuvre Bernard Tschumi au Fresnoy.
Le projet sait intelligemment s’ancrer dans le passé du site – notamment les chaînes de montage du garage prévues pour la réparation des moteurs – et s’ouvre sur la ville des mobilités du XXIe siècle. Mais, contrairement à celui de Koolhaas, il affirme une position et même une posture sans se préoccuper de formuler véritablement une proposition crédible.
ANALOGIE
Architectes : ADVVT Architecten De Vylder Vinck Taillieu (Gand) – 6a architects (Londres) – AgwA (Bruxelles)
Des acronymes recouvrent trois jeunes équipes, une anglaise et deux belges, qui présentent un rendu très soigné. Mais d’emblée le rappel du motif des chevrons stigmatise leur proposition, même si ce rappel n’est pas de même nature que celui très littéral qu’avait proposé Manuelle Gautrand pour le showroom Citroën des Champs-Élysées.
La construction proposée pour abriter le CIVA n’est pas inintéressante – un cylindre dont les montants obliques des ouvertures triangulaires contiennent les volées d’escalier –, mais elle reste hyperformaliste. Quant à la paroi enveloppant le musée – visible derrière la façade vitrée des années 1930 –, elle se compose d’un colombage métallique rempli de brique qui rappelle l’usine Menier et qui semble avoir été exécutée au XIXe siècle…
CASTING
Architectes : Lhoas & Lhoas (Bruxelles) – Architekturbüro Ortner & Ortner BAUKUNST (Berlin)
Un effet de casting rassemblant une (jeune) équipe belge à l’un des survivants de Haus-Rucker-Co, l’une des formations emblématiques de la scène radicale des années 1970, proche des actionnistes viennois.
Pas de performance d’Otto Muehl au programme, il se repose au cimetière, mais des principes du genre : on n’invente rien, on touche à rien, et on laisse le vide prendre place pour planter des fleurs. Après avoir exposé ces intentions lénifiantes, les architectes proposent de poser un énorme parallélépipède blanc (le musée) sur la nappe existante en prenant le MASP de Lina Bo Bardi comme référence…
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