Crématorium Uitzicht, Courtrai, Belgique par Eduardo Souto de Moura |
Dossier réalisé par Marie-Anne DUCROCQ Architecte : Eduardo Souto de Moura Entre
deux zones pavillonnaires, le crématorium Uitzicht borde la ville de Courtrai,
située à la frontière franco-belge. Inauguré en 2011, il est le premier équipement
géré par l’association intercommunale Psilon, programme public qui supervise
les crématoriums de 22 communes du sud-ouest de la Flandre. L’architecte
portugais Eduardo Souto de Moura, qui remporte l’appel d’offres en 2005,
arrime une masse de béton horizontale et élancée aux pentes herbeuses
surplombant le cimetière de la ville. Oscillant entre rudesse et quiétude, le
bâtiment plonge le visiteur dans une troublante dualité.
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Quelques indices signalent la présence du crématorium, largement enterré dans le sol, quand on arrive par le nord : quelques panneaux indiquant « Uitzicht Crematorium » balisent le parking précédant le bâtiment, une large cheminée se dresse au sud, le toit se relève légèrement vers le cimetière de Courtrai et le paysage vallonné qui lui fait face, enfin, deux rampes descendent dans les profondeurs du sol, au nord pour les vivants qui l’empruntent à pied au sud pour les morts qui arrivent en corbillard. Les deux entrées sont reliées par un long garde-corps en béton brut qui se déroule le long de la voie. Ainsi enterré, le bâtiment laisse filer vers le paysage le regard des promeneurs qui déambulent le long de la route arborée qui le surplombe.
Il faut s’engouffrer dans le flanc de la pente pour parvenir à l’entrée du crématorium. Une longue rampe, bordée de murs de soutènement d’un béton laissé gris, strié verticalement par les marques des banches en bois, donne accès à une petite cour minérale, un carré légèrement déformé. Au milieu se dresse un arbre un peu maigre, entouré au sol d’un cercle pierreux. Une installation artistique, un mur de briques défoncées, squelettiques, marqué d’une longue traînée blanche, est installée contre le mur du fond, évocation franche du rougeoiement des flammes, du décharnement, des vapeurs de fumée. Les murs découpent un carré ton sur ton du ciel gris mais lourd de ce début d’après-midi de juillet. Le gazouillis d’un petit robinet installé dans le coin de la cour rafraîchit un peu l’atmosphère. En arrière-plan, la silhouette abstraite de la cheminée, détournée visuellement de sa fonction première pour devenir objet sculptural, se dresse pourtant avec emphase, tranchant avec l’horizontalité du bâtiment.
Espaces labyrinthiques
On pénètre dans le bâtiment latéralement, par une porte située sur la gauche et précédée d’un miroir. Cette attention permet aux visiteurs de se recoiffer furtivement avant les funérailles, comme elle annonce le caractère introspectif que revêt ce moment si particulier. L’entrée s’ouvre sur un grand espace aux murs uniformément blancs, ressemblant plus à une vaste salle d’attente – c’est d’ailleurs ainsi qu’elle est annoncée dans le plan – qu’à un hall d’accueil, avec ses chaises alignées, son écran plat accroché au mur du fond, ses néons au plafond. Seule ouverture de ce vaste espace, une fenêtre d’angle située à hauteur du regard, qui rase la prairie à l’extérieur. Il semble que l’on rentre dans une ambiance familière, un bâtiment somme toute assez banal. Avec ses murs en plaques de plâtre, ses éclairages laiteux et ses arbres en pots, le hall baigne dans l’atmosphère propre et soignée d’un cabinet médical ou d’une maison de retraite. Il n’y a pas de guichet d’accueil, personne pour nous guider, on avance à tâtons dans ces espaces un peu labyrinthiques où l’uniformité chromatique et la sinuosité des couloirs tendent à perdre le visiteur. Le mobilier un peu désordonné, les fleurs et feuilles disséminées çà et là laissent deviner qu’une cérémonie a eu lieu plus tôt dans la journée.
Un unique couloir part du hall et se faufile jusqu’aux fours, entre des salles aux dimensions variées. Il distribue à droite la petite salle de cérémonie, à gauche la grande. Toutes deux sont accompagnées de leurs petits parloirs familiaux où sont apprêtés chaises, tables, et de quoi partager une boisson chaude. Les deux salles de cérémonie sont organisées de la même manière, l’assemblée faisant face au cercueil. Les longs bancs en bois, alignés en rang de part et d’autre d’une allée centrale, rappellent ceux des églises, mais, sur le mur du fond, pas de crucifix ni d’icône, un mur blanc et gris, qui n’est perturbé que par l’écran de projection et le boîtier vert indiquant l’issue de secours. Devant, un assemblage de cubes en bois, dont la rusticité contredit l’espace net et poli de la salle, supportera le cercueil et les autres objets nécessaires à la cérémonie. Alors que la petite salle s’ouvre sur un patio, la grande est éclairée d’une lumière zénithale qui descendra sur le corps du défunt lors de la cérémonie. Un piano à queue trône sur le côté, se substituant lors de certaines funérailles à la sono installée dans le couloir adjacent.
Si les déambulations intérieures le laissent peu présumer, le plan du bâtiment forme en réalité un entonnoir, un triangle étroit qui va se rétrécissant vers la salle des fours, offrant la largeur de sa base, à l’ouest, aux espaces de réception des familles, et réservant l’étroitesse de son sommet, à l’est, aux espaces techniques et à la cour où arrivent les corbillards. Entre ces deux entités viennent se glisser les locaux des employés et de l’administration, répartis autour d’un second patio. Tandis que le côté du triangle situé au nord est totalement enterré, la façade sud est bordée sur la moitié de sa longueur d’une coursive dont le garde-corps arrive au ras du sol et s’ouvre sur la prairie étendue dans laquelle se succèdent les larges terrasses du cimetière dessiné par l’agence Secchi Viganò.
Une architecture silencieuse
Par ses espaces impeccables, aux doux halos lumineux, le bâtiment semble vouloir offrir le cadre rassurant d’un bâtiment ordinaire. Mais dans cette familiarité qui se veut réconfortante, il ne dit pas ce qu’il est. Une appréhension se creuse en effet, lors de la visite, celle qui naît lorsque l’on craint de tomber brusquement sur une chose que l’on sait cachée. Les évocations de la mort apparaissent soudainement, dans de petits détails souvent involontaires, d’autant plus saisissants qu’ils détonent dans le calme impassible : la porte laissée malencontreusement ouverte sur le couloir technique permet d’entrevoir les chariots métalliques qui patientent, en désordre, devant la salle des fours, vision un peu brutale dans l’ambiance ouatée des lieux ; les arbres en pots alignés, troncs décapités sans branches ni feuilles apparaissent dans un contraste assez glaçant avec l’innocente sérénité du couloir. La mort semble sournoisement tapie, on se surprend à craindre qu’elle apparaisse à l’improviste dans ces lieux trop paisibles, et nous prenne au dépourvu.
L’employé des fours, qui était en plein travail, arrive pour nous faire visiter la salle technique. Peau burinée, visage en sueur, il nous décrit avec entrain le processus de crémation dans tous ses détails. Le langage est sans détour, sans tabou, le processus est décrit d’une manière pragmatique. Le cercueil est introduit dans le four par la porte ménagée dans le mur de la « salle d’internement » que Souto de Moura a souhaité qualifier du nom plus poétique de « salle de donation ». Un ou deux proches sont généralement autorisés à assister à l’introduction du cercueil dans le four. Une petite pierre blanche et ronde, sur laquelle est inscrit un numéro identifiant le défunt, est posée sur le cercueil, elle constitue la garantie pour la famille que les cendres récupérées sont bien celle du corps de l’être cher. Les trois fours qui tournent en même temps sont relayés par un volumineux dispositif, constitué successivement de plusieurs refroidisseurs, ventilateurs et filtres permettant que la fumée qui sort soit inodore. Les cendres sont récoltées dans un casier métallique à l’aide d’un racloir, au bout d’une heure et demie. On récupère prothèses, métaux précieux, charnières métalliques du cercueil grâce à un aimant puis on broie les restes avant de les placer dans l’urne. La famille repart avec la petite pierre numérotée, soigneusement glissée dans un écrin gris, au nom du crématorium.
On nous présente les différents types d’urnes : il y a l’urne standard ou l’urne sophistiquée, l’urne écologique, l’urne pour la mer, ou de petites éprouvettes entre lesquelles sont réparties les cendres quand plusieurs personnes se les partagent. Un employé des pompes funèbres passe pendant notre visite, l’air grave, dans son costume noir impeccable, récupère une urne, qu’il retrouve grâce à son numéro, et repart aussitôt, emportant probablement les cendres pour une cérémonie extérieure. Il fait chaud, l’odeur est âcre, les fours sont bruyants, les filtres provoquant une détonation régulière. On ressort de la salle et l’air semble frais, le silence parfait. Le patio paisible, les lumières diffuses, l’ambiance feutrée, monochrome, inodore rend presque irréelle l’excursion dans le milieu chaud bruyant, odorant de la salle des fours. On est passé d’un extrême à l’autre par le simple franchissement d’une porte, retournant sans transition dans ces espaces où tout suggère le départ apaisé. L’espace technique est aussi complexe, lourd, bruyant, que l’architecture se veut simple, légère, silencieuse. Enveloppant ses espaces d’une quiétude cotonneuse, elle tente de compenser la rudesse des locaux techniques. Mais au lieu de l’apaiser, ne risque-t-elle pas de générer chez le visiteur une certaine désillusion ?
[ Maître d’ouvrage : Psilon-Crematorium Kortrijk
Maîtres d’œuvre : Souto Moura arquitectos : SÃlvia Alves, André Campos, Marta Pinho, Ana PatrÃcia Sobral ; SumProject : Paul Lievevrouw + Bernard Deconinck
Entreprises : AfaConsult, SumProject, Ingenium, Furnibo (Veurne)
Surface : 2 000 m2
Coût : 4 050 000 euros
Livraison : 2011 ]
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