Les architectes ont toujours cherché à ouvrir leur discipline à d’autres champs que le leur. Une ouverture nécessaire à qui prétend comprendre le monde pour et dans lequel il construit. Cette attention aura malheureusement été rarement payée en retour : la culture architecturale – que l’on étend ici également aux champs de l’urbanisme et du paysage –, avec son jargon, ses codes et ses valeurs esthétiques, demeure irrémédiablement obscure, si ce n’est suspecte, aux néophytes. Mais s’ils ne parlent pas le même langage, comment rendre possible un dialogue entre différents acteurs – professionnels, édiles, habitants – engagés autour d’un projet ? « Faute de modèles, nous ne savons pas voir esthétiquement », nous rappelle dans ces pages le philosophe Alain Roger.
Car l’idée que le public se fait du paysage idéal s’est progressivement construite à partir de modèles désormais complètement inopérants. Ceux notamment issus de la peinture de paysages et qui ont généré jusqu’à aujourd’hui cette vision pittoresque du monde. Un imaginaire dominant dont seule une faible partie du public a conscience de la relativité culturelle et de l’anachronisme. Comment alors, à partir de représentations mentales issues du XVIIIe siècle, penser pertinemment la transformation des territoires urbains et suburbains contemporains ? Bien sûr, depuis que nos paysages ont commencé à être profondément transformés, les artistes ont travaillé à renouveler ces modèles : Albert Renger-Patzsch dans les années 1930, Wim Wenders dans les années 1970, Christian Barani ou les photographes de l’exposition « Paysages français » actuellement à la BNF. À leur manière, ils contribuent à l’émergence d’un corpus d’images susceptibles de générer un lieu commun, un imaginaire collectif de références pour mieux voir villes et campagnes telles qu’elles sont, rêver leur devenir et faire partager ce rêve.
Au fil de ses éditions, Agora, la Biennale d’architecture de Bordeaux, s’est – entre autres choses – donné pour objectif de contribuer à promouvoir cette matière iconographique, à partir de son territoire d’abord puis en s’ouvrant au reste du monde depuis quelques années. Film, vidéo, photographie ou graphisme y expérimentent de nouvelles manières de regarder, de retranscrire et de faire partager les nouvelles logiques territoriales. Comme s’il s’agissait de bâtir virtuellement une agora où chacun pourrait puiser dans une boîte à outils de représentations communes et rendre enfin imaginable ce dialogue que chacun semble vainement appeler de ses vœux.
Emmanuel Caille
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