Pavillon gonflable de Hans-Walter Müller au jardin botanique. |
Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN Depuis la petite édition « bricolée » en 2004, Agora a bien grandi et a trouvé sa place dans l’échiquier des biennales d’architecture et d’urbanisme, qui essaiment en France comme à l’étranger. Son identité à elle, ce sont les questionnements sur la ville, et le lien particulier qu’elle a su nouer avec son public. |
À l’origine de sa création, Michèle Laruë-Charlus, directeur général de l’aménagement de Bordeaux métropole et délégué général d’Agora, revient sur ses fondements, sur son impact dans les processus de décision liés à l’aménagement de la métropole bordelaise, et sur l’édition 2017 consacrée au thème du paysage.
D’a : Par les nombreux débats organisés lors de chaque édition, Agora se présente comme une plateforme de réflexion sur le développement des villes, et de Bordeaux en particulier. À quels besoins cette biennale voulait-elle répondre ?
Michèle Laruë-Charlus : Agora a été créée en 2004, au moment où la ville de Bordeaux était en plein chantier. La première ligne de tramway venait d’être livrée après quatre années de travaux permanents, et nous en étions au début de nos réflexions sur tous les sujets. Les débats publics qui ont nourri cette première biennale ont nettement infléchi notre façon de voir notre ville. L’aménagement des Bassins à flot, par exemple, lancé à cette époque, a été remis en cause suite aux contre-projets des étudiants de l’École d’architecture de Bordeaux et aux échanges avec les habitants, venus nombreux.
On a tous besoin de sortir du contexte politico-administratif qui nous enferme, et Agora y participe, en offrant une tribune aux citoyens en dehors des formes habituelles comme la concertation. Il y a une forme de sagesse populaire ; ce qui n’est pas important est évacué et les situations de blocage se dénouent. Je pense aux trémies de parking de la place Bacalan, dont les auvents avaient suscité une grande colère, ou encore à la querelle entre l’administration et l’Unesco autour du pont Chaban-Delmas. Des sujets de crispation dont Agora nous a aidés à sortir. Ce sont des exemples locaux, mais la mobilisation des maires et décideurs pour participer à notre biennale confirme que ces échanges féconds ont un impact sur toutes les villes.
D’a : Le fait est qu’Agora rencontre un grand succès auprès du public, de tous les publics. Quelle est selon vous la clef de cette réussite ?
La croissance de cette biennale au fil des éditions donne effectivement le sentiment que, sur l’urbanisme – un sujet réputé abscons –, le public est présent et participe dès qu’on veut bien cesser de jargonner. La plupart des biennales d’architecture et d’urbanisme sont élitistes ; tant dans leurs contenus que dans leurs formats, elles s’adressent aux universitaires. Je crois que ce qui caractérise la nôtre, c’est sa grande simplicité de fonctionnement, une façon détournée de parler de sujets complexes, par le biais du cinéma, de la photo, de la vidéo, du théâtre, en invitant aussi les habitants à s’exprimer, et en organisant des visites dans les quartiers en cours d’aménagement pour donner à comprendre leur développement. Chacun pioche dans le programme et en retire ce qu’il veut. Dans tous les cas, il y a à apprendre quelque chose. Cette idée ne nous a jamais lâchés. Agora devrait s’intituler « Biennale de la vie urbaine », car on y aborde aussi des questions sociologiques, anthropologiques. Notre approche se veut heuristique. Sans doute est-ce là une différence fondamentale avec les autres biennales : on ne demande pas aux architectes de montrer leur production.
D’a : On peut cependant découvrir à chaque édition des maquettes de projets bordelais…
75 % du budget d’Agora vient du mécénat. La contrepartie, c’est que nous demandons aux promoteurs et aux bailleurs sociaux de choisir l’un de leurs projets pour l’exposer. Une cinquantaine de maquettes sont présentées, mais ce n’est pas Batimat. Pour faire une ville, il faut nouer des partenariats avec le privé, l’essentiel est de créer les bonnes conditions de son développement.
D’a : Vous êtes d’ailleurs maintenant invitée de Bogotá à Saint-Pétersbourg en passant par Paris et Rabat pour parler de l’expérience Agora. Représente-t-elle un modèle pour les villes qui songent à créer leur propre biennale ?
Les pays participants viennent à Agora pour comprendre nos pratiques françaises, notre façon de faire le projet urbain. Chacun n’en retire pas la même chose. L’idée bien sûr n’est pas de reproduire Agora, mais de s’en inspirer pour trouver son bon positionnement et son public. Rabat aura sa biennale au printemps prochain. Le Havre et l’Île-de-France y songent aussi. Ce n’est pas difficile de créer une biennale : ce qui est difficile, c’est de la maintenir et de la faire grandir. On n’y arrive que si l’on a trouvé la tonalité juste.
D’a : Pourquoi la thématique du paysage cette année ?
Le choix de « paysages » paraissait assez naturel après les thèmes précédemment développés pour les autres biennales : la maison individuelle en 2006 avec Jacques Ferrier, le développement durable en 2008 avec Nicolas Michelin, les métropoles millionnaires en 2010 avec Djamel Klouche, le patrimoine en 2012 avec Marc Barani, l’espace public en 2014 avec Youssef Tohmé.
Ce qui est intéressant, lorsqu’on prend un mot polysémique, est de voir ce que chacun en fait. En l’occurrence, le paysagiste Bas Smets le traite sous l’angle de la soutenabilité, les cinéastes Bêka & Lemoine voient davantage le côté anthropologique quand Christian Barani lit le paysage de façon plus politique. Mon approche est plus philosophique, mais vous pouvez croiser à Agora des visions naturalistes, esthétiques, scientifiques… Ce qui est intéressant est que, de la multiplicité des regards et des expériences, et souvent grâce aux débats, finissent par émerger quelques idées simples, qui se révèlent souvent comme des vade-mecum pour l’action.
D’a : Quelles sont justement les idées « simples » qui se sont dégagées lors de cette édition ?
La première n’en est pas une : c’est un constat. Le public est là , participe, s’amuse mais s’intéresse aussi. Et il est de plus en plus nombreux. C’est notre premier sujet de satisfaction.
La deuxième idée n’en est pas une non plus : c’est une annonce. Celle, par Alain Juppé, de la mise en chantier d’un projet métropolitain qui devra voir loin (comment vivra-t-on en 2050 et quels sont les grands projets stratégiques à engager pour vivre le mieux possible à cette date-là ?), mais qui devra savoir viser court aussi (il s’agit de tenir compte et de mettre en œuvre une « métropole de la demande »).
Quant aux idées, elles apparaîtront progressivement avec le travail d’acculturation qui suit toujours Agora. Mais on peut imaginer d’ores et déjà une forme de renversement épistémologique : et si demain la ville constituée, les cœurs de ville, les centres historiques avaient besoin de ce qu’on appelle le périurbain ? Et si demain la valeur immatérielle des paysages entrait en compétition avec la valeur des actifs de nos villes de pierre ?
D’a : Bogotá, Singapour, Rabat, Hyderabad… Qu’est-ce qui légitimait la présence de ces villes au regard de la thématique choisie ?
Toutes ces villes partagent les mêmes problématiques : les changements climatiques, la raréfaction des surfaces naturelles, la métropolisation à deux vitesses, avec un cœur de ville riche et dense et des territoires périurbains à la traîne. Elles ont aussi en commun de s’inscrire dans une géographie très prégnante. Certaines ont pris conscience de sa valeur, à l’instar de Bogotá, ville qui connaît une croissance exponentielle et qui doit se renouveler sur elle-même pour préserver ses montagnes. Pendant des décennies, nous avons bravé ou ignoré cette géographie. Aujourd’hui on la regarde autrement, c’est notre bien commun. À Bordeaux, notre bien commun, c’est la Garonne. Certaines villes aujourd’hui sont à un moment de bascule, où le paysage commence à être intégré à leur développement et s’avère un outil précieux.
D’a : Au programme de cette édition figurait aussi, pour la première fois depuis sa création, la présentation de projets de paysage de la métropole bordelaise. Pourquoi ?
Il y a de multiples raisons à cela. La première est que nous sommes devenus métropole au 1er janvier 2016. Et une métropole dont la moitié du territoire est non constructible et qui a fait l’objet d’une recherche en 2012 que l’on connaît sous le vocable de « 55 000 hectares pour la nature ».
La deuxième est que, au regard de la thématique retenue, Bordeaux et l’ancienne CUB (communauté urbaine de Bordeaux, ndlr) ont sans doute fait travailler plus de paysagistes que d’urbanistes en vingt ans. Les plus grands, de Michel Corajoud à Michel Desvigne, d’Alexandre Chemetoff à Pascal Cribier, d’Henri Bava à Catherine Mosbach, ont travaillé à Bordeaux.
La troisième est que, pour la rive droite notamment, et grâce à Michel Desvigne, on voit se dessiner une structuration de l’espace par le paysage et par les grandes voiries urbaines. Mais on voit aussi, à Bordeaux Nord, derrière le stade, se lire une lisière nette entre ville et campagne. Bref, Bordeaux peut se poser en modèle ou se proposer comme sujet d’étude… C’est pour cela que nous avons recueilli des témoignages de tous ceux qui ont participé à cette aventure.
D’a : La recherche « 55 000 hectares pour la nature », finalisée en 2014 sans connaître de suites opérationnelles, pourrait-elle être réactivée sous l’impulsion de cette dernière édition ?
Le projet des 55 000 hectares était très intelligent dans la démarche. Il est regrettable qu’aucune gouvernance ne se soit mise en place pour le transformer en projet métropolitain en action, mais peut-être n’est-il pas trop tard. Si Agora contribue à en faire prendre conscience, ce sera un grand sujet de fierté. L’erreur aura été peut-être de considérer que la nature et le paysage sont des sujets en soi, ou du moins de confondre nature et paysage. Le paysage est partout et il est par principe le résultat conscient ou non d’un dessin et d’un dessein. Il appartient de plain-pied à l’aménagement. Dès lors, cantonner l’aménagement à l’urbanisme et en séparer nature et paysage vouait le projet à l’échec. Mais rien n’est peut-être perdu. Le paysage n’est pas une variable d’ajustement ou ce qui reste quand on a tout bâti. Il est au contraire le fondement de tout : la géographie accueille l’histoire et le paysage naît de leurs relations complexes. Le paysage n’est pas beau, il est ce que nous en faisons et nous ne le voyons en général pas. C’est ce travail qu’il faut entreprendre et il est d’autant plus urgent qu’un milliard de personnes se déplacent chaque année dans le monde pour leurs loisirs, et sans doute deux milliards bientôt. Deux milliards d’individus vont s’inviter dans des paysages qui sont le plus souvent une négation de la campagne – elle-même une transformation radicale de la nature. Ce sont ces questions enchevêtrées qu’il importe de résoudre.
D’a : Quel est le sujet qui vous semble aujourd’hui important d’approfondir pour réussir le développement de la métropole bordelaise ?
Les territoires périurbains. Il faut apprendre à les regarder, à identifier leur valeur pour les intégrer dans la construction du projet métropolitain. Le périurbain n’est pas l’extension de la ville-centre. Comment construit-on dans ces territoires ? On ne pourra bien répondre à cette question que si l’on invente un récit dont le paysage sera le sujet central, partagé par les 28 communes qui constituent notre arrière-pays. L’idée n’est pas de plaquer une vision, mais bien d’amorcer ce travail de maturation intellectuelle de type bottom up pour fabriquer les politiques publiques. Le premier enjeu est donc celui du partage de représentations communes du territoire. Tout le monde a à y gagner. En ce sens, Agora est un excellent outil pour commencer ce récit commun et faire adhérer la population. Gageons que l’édition 2019 pourra traduire ces représentations et les illustrer par des projets.
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