Bas Smet à Agora Bordeaux 2017. |
Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN Ingénieur-architecte, paysagiste – ou plutôt « architecte du paysage » préfère-t-il nuancer –, Bas Smets développe actuellement des projets dans douze pays. En Belgique, il achève un projet de paysage le long de l’A11 entre le port de Zeebrugge et celui d’Anvers, qui renforce ce paysage de polders. Il y a quelques mois, il remportait le concours, symbolique, d’un espace public pour le centre d’art Perelman, sur la dernière parcelle du World Trade Center, à New York. |
Son activité se répartit également aux quatre coins de l’Hexagone : création de nouvelles liaisons urbaines visant à connecter au sol le quartier sur dalle de La Défense, aménagement avec les urbanistes de l’AUC des quartiers Chapelle international à Paris et de Lyon Part-Dieu. À Arles, le grand parc du complexe culturel dessiné par Frank Gehry est en construction ; à Bordeaux, la plateforme ferroviaire de la Brazzaligne sera reconvertie en digue paysagère, avec des arbres qui ont fait étape, depuis leur pépinière, au Hangar 14 lors de la dernière Agora. Bas Smets y était d’ailleurs le commissaire de l’exposition « Paysages Augmentés » et le scénographe de l’exposition « Paysages en mouvement : le cas de Bordeaux Métropole ». Nous l’avons d’abord interrogé sur cette notion de paysage augmenté, avant de revenir sur son héritage culturel et sur les fondements de sa pratique.
D’a : Quel était le propos de l’exposition « Paysages augmentés » présentée au Hangar 14 ?
Bas Smets : Dans la suite logique des thèmes précédents d’Agora, cette édition sur le paysage devait nourrir, elle aussi, la réflexion sur la ville. La planète est habitée par 7,5 milliards d’humains, dont 50 % vivent dans les métropoles, un phénomène qui ne cesse de s’amplifier et qui s’accompagne des changements climatiques et de la diminution des surfaces naturelles. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur le rôle du paysage dans le développement des métropoles. Comment créer des paysages performants qui règlent les questions de stockage de l’eau, de production d’oxygène ou de captation des particules fines ? L’ambition du projet de paysage est à redéfinir.
D’a : Dans cette exposition, on pouvait visionner dix films, dix portraits de ville, de Bêka & Lemoine et de Christian Barani. Pourquoi avoir choisi ce format ?
Agora ne court que sur quelques jours et les films offrent, d’une certaine manière, la possibilité de prolonger l’exposition. Ces artistes-vidéastes ont su restituer, dans une approche très différente, les influences mutuelles de l’homme et du paysage ; Ila Bêka et Louise Lemoine s’attachent à montrer l’impact de la géographie et du climat sur le quotidien des habitants des métropoles. Dans une étroite collaboration avec Christian Barani, nous avons exploré la capacité de l’homme à transformer son territoire à partir d’une projection précise du paysage. Notre recherche cartographique présentée en parallèle mettait en évidence les figures paysagères qui émergent de ces villes, et qui peuvent être le point de départ pour des projets de paysages, augmentés de fonctions et services.
D’a : Comment cette notion s’exprime-t-elle à Bordeaux ?
Le territoire bordelais a la spécificité d’être traversé par les jalles et esteys, un système de drainage et d’irrigation naturelle qui s’est développé d’est en ouest et qui se déverse dans la Garonne. Dans le centre-ville, ces cours d’eau secondaires ont depuis longtemps été canalisés ou partiellement couverts. Lors de la consultation « 55 000 hectares pour la nature », nous avons proposé de réactiver ces affluents et les espaces naturels qu’ils traversent pour en faire le support de connexions douces entre le centre de Bordeaux et les Landes. Face à l’étalement urbain et au réchauffement climatique, ce réseau hydraulique peut être renforcé pour canaliser le vent dominant de l’ouest et produire des lignes de fraîcheur. Le paysage peut être une forme forte, structurante et polyfonctionnelle, qui rend la ville plus vivable.
D’a : Dans l’exposition, vous élargissez la question du paysage à l’échelle de la terre, avec la diffusion du documentaire Biosphère II que vous avez vous-même réalisé. On est loin des aménagements d’espaces publics ou de jardins, qui sont aussi une part importante de la pratique des paysagistes.
Le paysage n’est pas juste mignon, il est essentiel à l’équilibre de la planète et le service qu’il rend implique de bien le comprendre pour l’améliorer. Le programme Biosphère II, lancé par John Polk Allen dans le désert de l’Arizona entre 1984 et 1991, était une réplique de la terre dans un immense laboratoire hermétiquement fermé, avec la reconstitution d’un éventail de biomes terrestres et marins. Si les expériences menées n’ont pas duré aussi longtemps que prévu – au départ une période de cent ans –, elles ont cependant permis de mettre en évidence que la terre est un système écologique fermé dans lequel tous les milieux interagissent entre eux, et à quel point il est vital de prendre soin de son équilibre fragile.
D’a : Votre pratique vous amène à beaucoup voyager. La manière de concevoir le paysage est-elle spécifique d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre ?
J’observe qu’en Europe le paysage est monofonctionnel. Soit on sanctuarise la nature à travers des politiques protectionnistes, soit on la civilise par l’aménagement de parcs qu’on ouvre alors au public. Dans d’autres cultures, la nature peut devenir une alliée même si l’on sait qu’elle s’avère parfois dangereuse. Singapour en est un exemple. Cette ville-État, constituée d’un ensemble d’îles et qui n’a de fait aucune possibilité de s’étaler, s’est inspirée du modèle anglo-saxon des Garden Cities qu’a théorisé Ebenezer Howard pour se développer. En quarante ans, elle est parvenue à multiplier sa surface végétalisée par deux en combinant fonctions techniques et récréatives, à l’instar des bassins de retenue d’eau aménagés en parcs accessibles, qui sont fréquentés 90 % du temps par la population.
D’a : Vous êtes belge, avez étudié le paysage à l’université de Genève, commencé votre activité professionnelle chez Michel Desvigne à Paris, et installé votre agence à Bruxelles. De quelle culture vous réclamez-vous ?
Étant belge, ma culture de paysagiste se situe entre la Hollande et la France. La Hollande, qui a su dompter l’eau sur tout son territoire par des digues et des polders, ne peut mieux incarner cette idée de paysage augmenté. Aucune crainte d’artificialité, il y a cette croyance dans la capacité de l’homme à fabriquer un paysage de toutes pièces où l’on peut vivre bien. En France, on apprend à déchiffrer les territoires pour intervenir dans un juste équilibre. C’est une culture de la nuance, loin de la transformation radicale à la Hollandaise. Quant à la Belgique où je vis, elle est un formidable laboratoire de projets de paysages : ne possédant ni le paysage néerlandais fabriqué par l’homme, ni la topographie prononcée de la France ou de l’Allemagne, ce pays a une faible résistance face à l’étalement urbain, au développement des infrastructures et à l’intensification de l’agriculture. De ce fait, le projet de paysage reste peut-être le seul moyen à travers lequel on peut donner une forme forte à ce « pays sans paysage ».
D’a : Vous avez présenté dans une exposition et un catalogue votre méthode de travail, qui s’appuie sur une compréhension très fine des territoires et une grande maîtrise de la représentation graphique. Pouvez-vous en préciser les fondements ?
Le projet de paysage est toujours contenu dans une situation existante, il faut donc partir de la réalité physique d’un territoire, observer ses mécanismes pour en extraire la matière. Plus on en a une connaissance fine et précise et plus on agit en acupuncteur. Lorsque l’analyse se limite à une échelle intermédiaire, on commet inévitablement des erreurs d’appréciation. Ce qui m’intéresse, c’est la relation entre l’image et la réalité. La réalité physique d’un paysage produit des images qui changent en fonction de son développement, des saisons, de la croissance des végétaux. Nous essayons de comprendre la logique de la nature pour l’appliquer dans nos projets. Nous ne cherchons jamais à copier une image de la nature mais plutôt à appliquer sa logique, pour produire des images toujours changeantes, toujours en devenir.
D’a : Voyez-vous une singularité dans la commande française ?
Il y a une forte demande des villes pour comprendre leurs territoires. Les grandes consultations urbaines en sont une preuve manifeste. La métropole bordelaise est allée encore plus loin en initiant une vaste étude sur ses espaces de nature ; à ma connaissance, c’est une première en Europe. Le drame du projet de paysage, c’est que la durée de son installation n’est pas à l’échelle du cRéagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
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