Il aura fallu qu’elle brûle pour que Notre-Dame ressuscite dans le cœur des architectes et que l’on parle (un peu) d’architecture dans les médias. En janvier 2017, dans l’indifférence générale, un projet – ou, pardon, une « mission d’étude » – assumait la transformation définitive de l’île de la Cité en centre commercial. Notre vieille cathédrale, popularisée dans le monde entier par une comédie musicale et le jeu Assassin’s Creed Unity, en était l’attraction majeure, l’icône d’un parc à thème dévoué au tourisme de masse et à la consommation. Sous l’œil bienveillant d’Unibail et du groupe Auchan, Dominique Perrault, l’architecte de cette « mission d’étude », transformait le parvis, devenu toiture du centre commercial, en un miroir géant réfléchissant les deux tours de Quasimodo. Cet « effet waouh », ce spot à selfies qui ne faisait pas dans la dentelle gothique devait-il être dénoncé comme une manifestation du cynisme mercantile? Ou davantage comme une réaction lucide et de résignation face à une destruction commencée il y a plus d’un siècle? Car dans le concert de lamentations qui a suivi l’incendie, personne ne semble avoir remarqué que Notre-Dame avait été depuis longtemps réduite à l’état de bibelot posé sur le socle de l’île comme une relique dans un musée, un souvenir sous sa bulle de neige. La destruction des constructions autour de la cathédrale et de l’Hôtel-Dieu sous Haussmann a été bien plus dommageable que l’incendie de la toiture et de la flèche. Le XIXe siècle de Viollet-le-Duc, tout en sauvant l’édifice, impose une vision idéalisée de l’architecture gothique qui perdure jusqu’à aujourd’hui. En dégageant des perspectives, il dénie toute la complexité et les subtilités géométriques qui unissaient en un continuum spatial la ville et sa cathédrale. Depuis les bords de Seine, Notre-Dame émergeait par-delà les toitures de l’île de la Cité, elle se découvrait dans l’enfilade des rues qui y menaient. Ceux qui se gaussent d’authenticité et de « respect » du patrimoine devraient donc d’abord s’intéresser à la reconstruction des parcelles qui ont disparu autour et devant la cathédrale. Comme il est heureusement difficilement envisageable de reconstruire sous forme de pastiche, il y aurait là l’opportunité de construire une architecture d’aujourd’hui dans un dialogue fécond avec l’histoire du lieu – sans parler de la manne foncière. Quant à décider s’il faut ou non reconstruire la « forêt » de la charpente et la flèche à l’identique, querelle appelée à un vif succès, prions Notre-Dame que le débat soit expurgé de son caractère idéologique qui voudrait que « l’identité chrétienne de l’Occident » soit en jeu dans cette question qui ne doit relever que de l’architecture et de l’ingénierie. Lorsque des personnalités politiques, avec l’aplomb des ignorants, veulent « reconstruire à l’identique », ils ne réalisent pas que, par une telle reconstitution, ils ôtent précisément toute valeur patrimoniale au monument. Ils ne comprennent pas que ce qui fait l’essence du patrimoine – et le distingue d’une relique –, c’est justement qu’il s’inscrit dans une histoire multiple et vivante.
[d'a change d'imprimeur ! Exceptionnellement, ce mois-ci, le magazine est visible en ligne avant d'arriver en kiosque lundi 20]
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |