ÃŽlot Queyries, Bordeaux |
Dossier réalisé par Olivier NAMIAS Engagée depuis une
douzaine d’années dans une transformation urbaine tous azimuts, Bordeaux
semblait avoir tout vu en matière d’architecture. C’était sans compter sur
l’îlot des Queyries, nouvelle intervention du bouillonnant Winy Maas, le « M »
de MVRDV, dans le secteur de la rive droite. Provocation innovante ou ineptie
urbaine ? Un projet qui soulève de nombreuses questions, à regarder à la loupe
d’autant qu’il préfigure une partie de la future ZAC Bastide Niel, également
pilotée par MVRDV. |
Étonnement, réprobation et moqueries bruissaient dans
l’auditorium d’Arc en rêve, le 13 mars dernier, alors que Winy Maas présentait
son projet pour l’îlot des Queyries, en construction à quelques centaines de
mètres. Les images du chantier défilant sur l’écran ne contribuaient pas à adoucir les commentaires. Face à un public au mieux dubitatif, l’iconoclaste
associé vedette de MVRDV aurait-il pu prendre cette quasi-hostilité comme la
validation d’une audace incomprise? Version bordelaise d’une
architectureurbanisme recourant volontiers à la provocation, variant d’échelle
selon qu’elle s’érige en Chine ou en Europe, le projet d’îlot des Queyries est
à sa manière contextuel, ou le devient par la volonté de tempérance des
aménageurs ou du PLU. Pas de gratte-ciel de cent mètres imitant la skyline de
Dubai ou New York, mais un immeuble de trois étages carrés, coiffé d’un toit en
pente atteignant trois niveaux dans le cas le plus extrême. Alain Juppé
lui-même aurait refusé que Winy monte dans les tours avec un projet prenant la
ville de haut : les blocs du secteur Bastide Niel sont redescendus à des
niveaux plus compatibles avec Bordeaux.
Les Queyries ne sont
pas la Bastide
Il y a une ambiguïté dans l’îlot des Queyries, qui tient Ã
sa proximité avec la ZAC Bastide Niel. Ce nouveau secteur de projet s’inscrit
dans les stratégies d’aménagement de la rive droite bordelaise, zone
industrielle sous-densifiée dont la reconquête a débuté par la création de la
ZAC Cœur de Bastide, au débouché du pont de pierre, en 1999 (DPA et Alain
Charrier/BMA urbanistes). Suivirent la ZAC Bastide Niel en 2009, puis, dans le
prolongement immédiat au nord, le quartier Brazza en 2012 (Youssef Tohmé et
Michel Desvigne, urbanistes). Des pièces importantes dans le changement
d’échelle d’une métropole visant le million d’habitants. En 2010, MVRDV a
remporté le concours de définition des 35 hectares de Bastide Niel. La
proposition de l’agence rotterdamoise bouscule une urbanisation façonnée par
l’ennui tranquille de l’aménagement à la française. En s’appuyant sur la trame
des rails, MVRDV a fabriqué une ville faite d’immeubles bizarroïdes, tous dotés
d’une toiture en double pente surmontée aléatoirement d’excroissances étranges.
Difficile, pour l’œil non averti et peu au fait de la répartition des
programmes au sein de la ZAC, de faire la différence entre les bâtiments de ce
secteur et l’îlot des Queyries, juste à sa bordure. « L’îlot des Queyries n’est
pas le prototype de Bastide Niel », se défend pourtant Winy Maas, sans vraiment
donner les clés permettant de différencier l’opération en chantier du secteur
en devenir. La différence la plus notable est d’ordre foncier : l’îlot des
Queyries est construit en limite de la ZAC, sur un terrain réservé Ã
l’édification d’une caserne de gendarmerie, projet abandonné suite au
regroupement de cette force armée avec la police nationale par Nicolas Sarkozy
en 2009. Entre deux ZAC plutôt qu’entre deux mers, il a été rétrocédé à Kaufman
et Broad, chargé d’y bâtir un programme de 587 logements avec commerces et
services. BMA (Bordeaux Métropole Aménagement), aménageur des secteurs Bastide
Niel et Cœur de Bastide, n’interviendra que sur l’aménagement de la sente
publique reliant à travers l’îlot la ZAC au reste de la ville une fois
l’opération réalisée.
Le gros lot
Le dit du paramètre La remarque vaut pour l’îlot des
Queyries, où l’application de critères aussi objectifs que l’ensoleillement ou
la ventilation produit une architecture parfaitement MVRDVesque. Le goût du
pittoresque, la mise en tension de l’architecture par la collision des masses,
la recherche d’une sensation d’intensité urbaine par la superposition ou
l’accident et l’énergie hystérique de la concentration sont autant de traits de
l’îlot des Queyries que l’on retrouve dans l’architecture de l’agence. Rien
n’est fortuit dans ce monde paramétrique, et Winy Maas impose ses directives
autant que les abaques solaires. Il suffit de regarder les toitures pour s’en
convaincre. L’utilisation de gradins et d’étages en retraits n’aurait rien eu
de choquante : elle se serait accordée parfaitement à la contrainte
héliotropique en ménageant des terrasses intéressantes pour l’usager. Elle est
pourtant interdite sur l’opération, où doivent régner les toitures en pentes –
une volonté d’établir une continuité de surface entre façade et couverture. Des
panneaux solaires sont prévus sur les pans de toiture les mieux orientés même
si, en contrepartie, les espaces extérieurs des logements doivent s’inscrire
dans des loggias creusées dans la toiture. Derrière le dispositif
environnemental, on retrouve le goût de Winy Maas et MVRDV pour l’archétype de
la maison. Une figure iconique qu’il a mainte fois réinterprétée, quitte à la
refaire en verre, à l’instar de la bibliothèque de Spijkenisse2 dont on trouve
la copie en toiture, toujours sur l’immeuble de tête, là où un restaurant est
programmé. Globalement, un îlot reflétant l’idée d’un immeuble qui soit «
mignon », pour reprendre les mots de Winy Maas en VF. Au-delà de ses aspects
volumétriques, l’îlot rétablit une cour commune devenue rare, pour ne pas dire
inexistante, dans les opérations d’aménagement. On parle ici d’un véritable
espace commun, inséré dans un réseau de sentes le reliant à d’autres cours ou
suscitant des parcours. Le revêtement de façade en terre cuite rouge délimite
et accentue l’espace de la cour, paraissant d’autant plus fort qu’il contraste
avec le revêtement extérieur de l’îlot, resté clair pour se conformer aux
tonalités pierre prescrites par Bruno Fortier, architecte-conseil de la ville
depuis 2001. Couleurs vives, fenêtres vers la Garonne et volumes pittoresques
font de cet intérieur d’îlot un spectacle en soi, dont on espère qu’il
n’épuisera pas, à la longue, ni ses visiteurs ni les habitants de Rivéo, le nom
que le promoteur a donné à l’opération. Souhaitait-il d’abord attirer les
acquéreurs potentiels par la proximité du fleuve plutôt que par l’architecture
elle-même?
Le paramètre des
contraintes
Associé à MVRDV, l’agence Flint a parmi ses missions la
difficile tâche de faire rentrer des logements devant obéir aux normes
françaises dans une volumétrie tracée, comme on l’a vu, par des paramètres. À
cette difficulté, il leur faut également ajouter le jeu avec les contraintes
d’inondabilité et de surfaces de plancher minimales. Les rez-de-chaussée sont
élevés de 90 cm pour rester hors d’eau, après l’abandon d’un système de
réservoir sur dalle sans doute trop coûteux pour pouvoir être rentable. Il a
fallu épaissir le bloc pour garder sous toitures des surfaces commercialisables
réduites par la loi Carrez. « L’épaisseur du bâtiment atteint dans certains
endroits 18,50 mètres, ce qui une fois croisé avec la réglementation handicap
réduit la possibilité de faire des logements traversants. Ces derniers ont en
outre l’inconvénient de multiplier les circulations verticales, puisqu’il va
falloir une cage d’escalier pour desservir deux logements, ce qui n’est pas
rentable », résume Christophe Gautié, de Flint. Après les traversant, la pente
pose problème « aux endroits où les pentes se croisent. Il y a beaucoup de
surface sous la ligne des 1,80 mètres de hauteur sous plafond. Il devient donc
assez compliqué de faire des salles de bains, des cuisines conformes à la
règlementation handicap. La complexité de l’opération tient à ce que l’on doit
adapter des formats standards français très serrés à une volumétrie réclamant
de plus grands logements, comme cela semble le cas en Hollande », note encore
Christophe Gautié. « La démarche se heurte à des contraintes qui la dégradent,
constate Véronique Tastet, associée de Flint. L’insertion des logements
aurait été plus fluide si la largeur des blocs ne dépassait
pas les 14 mètres et que nous avions obtenu plus de souplesse dans les niveaux
hauts. » La volumétrie à la serpe voulue par Winy Maas soulève des difficultés
inattendues. « Nous considérons la toiture comme une façade inclinée, ce que
réfutent les pompiers pour qui une façade est verticale. Considérant l’ouvrage
non accessible à leurs échelles, ils nous ont obligés à mettre en place des
dispositifs de désenfumage peu compatible avec la pente », explique Véronique
Tastet. Les architectes se heurtent quotidiennement à ces obstacles
réglementaires, ici exacerbés par l’aspect inhabituel de l’architecture. Porte-voix
de ses confrères français qui le brocardent, Winy Maas demande que ces règles
soient assouplies. On applaudirait l’abolition de certaines réglementations
trop alambiquées, on frémit quand Winy suggère la suppression du seuil minimum
de 9 mètres carrés par chambre. Comment trouver l’équilibre entre innovation
spatiale et protection de l’habitant? L’opération des Queyries a le mérite de
susciter ce genre de débat, et de bousculer une production du logement trop
asservie à la mise en musique réglementaire pour avoir la liberté d’innover.
Cependant, comme souvent avec MVRDV, elle inquiète autant qu’elle soulage. Il
faudra l’observer en état parfait d’achèvement pour évaluer la capacité de la
disruption à rendre un îlot vivable.
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