L’îlot paramétrique des queyries sur la piste numérique avec MVRDV

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 14/05/2019

ÃŽlot Queyries, Bordeaux

Dossier réalisé par Olivier NAMIAS
Dossier publié dans le d'A n°271

Engagée depuis une douzaine d’années dans une transformation urbaine tous azimuts, Bordeaux semblait avoir tout vu en matière d’architecture. C’était sans compter sur l’îlot des Queyries, nouvelle intervention du bouillonnant Winy Maas, le « M » de MVRDV, dans le secteur de la rive droite. Provocation innovante ou ineptie urbaine ? Un projet qui soulève de nombreuses questions, à regarder à la loupe d’autant qu’il préfigure une partie de la future ZAC Bastide Niel, également pilotée par MVRDV.


Étonnement, réprobation et moqueries bruissaient dans l’auditorium d’Arc en rêve, le 13 mars dernier, alors que Winy Maas présentait son projet pour l’îlot des Queyries, en construction à quelques centaines de mètres. Les images du chantier défilant sur l’écran ne contribuaient pas à adoucir les commentaires. Face à un public au mieux dubitatif, l’iconoclaste associé vedette de MVRDV aurait-il pu prendre cette quasi-hostilité comme la validation d’une audace incomprise? Version bordelaise d’une architectureurbanisme recourant volontiers à la provocation, variant d’échelle selon qu’elle s’érige en Chine ou en Europe, le projet d’îlot des Queyries est à sa manière contextuel, ou le devient par la volonté de tempérance des aménageurs ou du PLU. Pas de gratte-ciel de cent mètres imitant la skyline de Dubai ou New York, mais un immeuble de trois étages carrés, coiffé d’un toit en pente atteignant trois niveaux dans le cas le plus extrême. Alain Juppé lui-même aurait refusé que Winy monte dans les tours avec un projet prenant la ville de haut : les blocs du secteur Bastide Niel sont redescendus à des niveaux plus compatibles avec Bordeaux.

Les Queyries ne sont pas la Bastide

Il y a une ambiguïté dans l’îlot des Queyries, qui tient à sa proximité avec la ZAC Bastide Niel. Ce nouveau secteur de projet s’inscrit dans les stratégies d’aménagement de la rive droite bordelaise, zone industrielle sous-densifiée dont la reconquête a débuté par la création de la ZAC Cœur de Bastide, au débouché du pont de pierre, en 1999 (DPA et Alain Charrier/BMA urbanistes). Suivirent la ZAC Bastide Niel en 2009, puis, dans le prolongement immédiat au nord, le quartier Brazza en 2012 (Youssef Tohmé et Michel Desvigne, urbanistes). Des pièces importantes dans le changement d’échelle d’une métropole visant le million d’habitants. En 2010, MVRDV a remporté le concours de définition des 35 hectares de Bastide Niel. La proposition de l’agence rotterdamoise bouscule une urbanisation façonnée par l’ennui tranquille de l’aménagement à la française. En s’appuyant sur la trame des rails, MVRDV a fabriqué une ville faite d’immeubles bizarroïdes, tous dotés d’une toiture en double pente surmontée aléatoirement d’excroissances étranges. Difficile, pour l’œil non averti et peu au fait de la répartition des programmes au sein de la ZAC, de faire la différence entre les bâtiments de ce secteur et l’îlot des Queyries, juste à sa bordure. « L’îlot des Queyries n’est pas le prototype de Bastide Niel », se défend pourtant Winy Maas, sans vraiment donner les clés permettant de différencier l’opération en chantier du secteur en devenir. La différence la plus notable est d’ordre foncier : l’îlot des Queyries est construit en limite de la ZAC, sur un terrain réservé à l’édification d’une caserne de gendarmerie, projet abandonné suite au regroupement de cette force armée avec la police nationale par Nicolas Sarkozy en 2009. Entre deux ZAC plutôt qu’entre deux mers, il a été rétrocédé à Kaufman et Broad, chargé d’y bâtir un programme de 587 logements avec commerces et services. BMA (Bordeaux Métropole Aménagement), aménageur des secteurs Bastide Niel et Cœur de Bastide, n’interviendra que sur l’aménagement de la sente publique reliant à travers l’îlot la ZAC au reste de la ville une fois l’opération réalisée.

Le gros lot

Le dit du paramètre La remarque vaut pour l’îlot des Queyries, où l’application de critères aussi objectifs que l’ensoleillement ou la ventilation produit une architecture parfaitement MVRDVesque. Le goût du pittoresque, la mise en tension de l’architecture par la collision des masses, la recherche d’une sensation d’intensité urbaine par la superposition ou l’accident et l’énergie hystérique de la concentration sont autant de traits de l’îlot des Queyries que l’on retrouve dans l’architecture de l’agence. Rien n’est fortuit dans ce monde paramétrique, et Winy Maas impose ses directives autant que les abaques solaires. Il suffit de regarder les toitures pour s’en convaincre. L’utilisation de gradins et d’étages en retraits n’aurait rien eu de choquante : elle se serait accordée parfaitement à la contrainte héliotropique en ménageant des terrasses intéressantes pour l’usager. Elle est pourtant interdite sur l’opération, où doivent régner les toitures en pentes – une volonté d’établir une continuité de surface entre façade et couverture. Des panneaux solaires sont prévus sur les pans de toiture les mieux orientés même si, en contrepartie, les espaces extérieurs des logements doivent s’inscrire dans des loggias creusées dans la toiture. Derrière le dispositif environnemental, on retrouve le goût de Winy Maas et MVRDV pour l’archétype de la maison. Une figure iconique qu’il a mainte fois réinterprétée, quitte à la refaire en verre, à l’instar de la bibliothèque de Spijkenisse2 dont on trouve la copie en toiture, toujours sur l’immeuble de tête, là où un restaurant est programmé. Globalement, un îlot reflétant l’idée d’un immeuble qui soit « mignon », pour reprendre les mots de Winy Maas en VF. Au-delà de ses aspects volumétriques, l’îlot rétablit une cour commune devenue rare, pour ne pas dire inexistante, dans les opérations d’aménagement. On parle ici d’un véritable espace commun, inséré dans un réseau de sentes le reliant à d’autres cours ou suscitant des parcours. Le revêtement de façade en terre cuite rouge délimite et accentue l’espace de la cour, paraissant d’autant plus fort qu’il contraste avec le revêtement extérieur de l’îlot, resté clair pour se conformer aux tonalités pierre prescrites par Bruno Fortier, architecte-conseil de la ville depuis 2001. Couleurs vives, fenêtres vers la Garonne et volumes pittoresques font de cet intérieur d’îlot un spectacle en soi, dont on espère qu’il n’épuisera pas, à la longue, ni ses visiteurs ni les habitants de Rivéo, le nom que le promoteur a donné à l’opération. Souhaitait-il d’abord attirer les acquéreurs potentiels par la proximité du fleuve plutôt que par l’architecture elle-même?

Le paramètre des contraintes

Associé à MVRDV, l’agence Flint a parmi ses missions la difficile tâche de faire rentrer des logements devant obéir aux normes françaises dans une volumétrie tracée, comme on l’a vu, par des paramètres. À cette difficulté, il leur faut également ajouter le jeu avec les contraintes d’inondabilité et de surfaces de plancher minimales. Les rez-de-chaussée sont élevés de 90 cm pour rester hors d’eau, après l’abandon d’un système de réservoir sur dalle sans doute trop coûteux pour pouvoir être rentable. Il a fallu épaissir le bloc pour garder sous toitures des surfaces commercialisables réduites par la loi Carrez. « L’épaisseur du bâtiment atteint dans certains endroits 18,50 mètres, ce qui une fois croisé avec la réglementation handicap réduit la possibilité de faire des logements traversants. Ces derniers ont en outre l’inconvénient de multiplier les circulations verticales, puisqu’il va falloir une cage d’escalier pour desservir deux logements, ce qui n’est pas rentable », résume Christophe Gautié, de Flint. Après les traversant, la pente pose problème « aux endroits où les pentes se croisent. Il y a beaucoup de surface sous la ligne des 1,80 mètres de hauteur sous plafond. Il devient donc assez compliqué de faire des salles de bains, des cuisines conformes à la règlementation handicap. La complexité de l’opération tient à ce que l’on doit adapter des formats standards français très serrés à une volumétrie réclamant de plus grands logements, comme cela semble le cas en Hollande », note encore Christophe Gautié. « La démarche se heurte à des contraintes qui la dégradent, constate Véronique Tastet, associée de Flint. L’insertion des logements

aurait été plus fluide si la largeur des blocs ne dépassait pas les 14 mètres et que nous avions obtenu plus de souplesse dans les niveaux hauts. » La volumétrie à la serpe voulue par Winy Maas soulève des difficultés inattendues. « Nous considérons la toiture comme une façade inclinée, ce que réfutent les pompiers pour qui une façade est verticale. Considérant l’ouvrage non accessible à leurs échelles, ils nous ont obligés à mettre en place des dispositifs de désenfumage peu compatible avec la pente », explique Véronique Tastet. Les architectes se heurtent quotidiennement à ces obstacles réglementaires, ici exacerbés par l’aspect inhabituel de l’architecture. Porte-voix de ses confrères français qui le brocardent, Winy Maas demande que ces règles soient assouplies. On applaudirait l’abolition de certaines réglementations trop alambiquées, on frémit quand Winy suggère la suppression du seuil minimum de 9 mètres carrés par chambre. Comment trouver l’équilibre entre innovation spatiale et protection de l’habitant? L’opération des Queyries a le mérite de susciter ce genre de débat, et de bousculer une production du logement trop asservie à la mise en musique réglementaire pour avoir la liberté d’innover. Cependant, comme souvent avec MVRDV, elle inquiète autant qu’elle soulage. Il faudra l’observer en état parfait d’achèvement pour évaluer la capacité de la disruption à rendre un îlot vivable.

 

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