Trois opérations urbaines à Lille, Nantes et Bordeaux - La preuve par l’eau à Lille, Écoquartier des rives de la Haute-Deûle

Rédigé par Soline NIVET
Publié le 14/05/2019

Jardin d'eau et l’usine Le Blan-Lafont, reconvertie en pépinière d’entreprises en 2008.

Dossier réalisé par Soline NIVET
Dossier publié dans le d'A n°271

Si la forme d’une ville change plus vite hélas que le cœur d’un mortel, il faut parfois savoir attendre avant d’en publier la moindre nouveauté. Comment et quand montrer la transformation d’un quartier lorsqu’elle est pensée et menée sur plusieurs décennies? La livraison récente de quatre bâtiments dans le quartier des rives de la Haute-Deûle nous a conduits à revisiter l’ensemble de ce secteur, en transformation depuis près de 20 ans.

Entre Lille et Lomme, l’ancien quartier de Canteleu s’implantait dans la plaine alluviale de la Deûle. À l’écart de la ville, ce vaste marais abritait une léproserie et ne comptait pratiquement aucun habitant jusqu’à ce que la rivière y soit canalisée, au XIXe siècle, et puisse servir d’infrastructure de transport. À partir des années 1850, les usines textiles s’y multiplient ainsi que des logements pour les ouvriers. La famille Le Blan, grande dynastie d’industriels du textile du Nord, y édifie en 1900 la plus grande de ses filatures : contiguë à l’usine Lafont construite quatre ans plus tôt, elle domine depuis, tel un haut château, le paysage alentour. À mesure que l’activité industrielle s’y développe, les marécages sont asséchés. Le quartier s’assainit et prospère, un second canal est aménagé pour permettre la desserte du site par des bateaux de plus grand gabarit. Progressivement lotis et habités, les quartiers adjacents sont tenus à distance les uns des autres par ces vastes emprises industrielles et n’entretiennent aucune relation avec les voies d’eau, dont le rôle est exclusivement logistique. Le démantèlement de cette activité textile depuis les années 1970 laisse progressivement ici une vaste friche, dominée par la silhouette imposante de l’usine Le Blan-Lafont, devenue emblématique de la puissance déchue de la région sur l’industrie internationale. À l’orée des années 2000, la métropole lilloise décide de reconvertir ce site pour en faire le troisième de ses pôles d’excellence. Après Euralille (quartier d’affaires aux abords de la gare TGV) et Eurasanté (vaste campus hospitalo-universitaire dédié à la biotechnologie et à la santé), il est décidé d’implanter ici Euratechnologie, un pôle dédié au numérique et aux nouvelles technologies.

La plausibilité d’un revirement économique

Comment retourner l’image de cette vaste emprise abandonnée pour lui faire incarner l’innovation et la création d’emplois? Édiles et aménageur – ici la Soreli, Société anonyme d’économie mixte de rénovation et de restauration de Lille – décident de financer la reconversion de l’usine Le BlanLafont en une vaste pépinière numérique. En parallèle de la reconversion de ce patrimoine exceptionnel et emblématique, les premières études urbaines sont lancées pour le secteur. Les agences Patrick Germe et Jam élaborent entre 2000 et 2004 une première étude de définition qui esquisse les grandes orientations : renouer avec les rives et les quais des canaux, mettre en valeur les plus belles pièces du patrimoine industriel en instaurant des reculs, telle la vaste esplanade entre l’usine Le Blan-Lafont et le canal. La directrice de la Soreli, Fabienne Duwez, qui pressent que le travail sur les espaces publics et le paysage sera ensuite primordial pour construire la plausibilité d’un revirement économique et attirer habitants et investisseurs, décide de lancer une nouvelle consultation en 2005. Anne-Sylvie Bruel et Christophe Delmar ont déjà montré à Saint-Jacques-de-laLande ou à Nantes leur capacité à fonder tout un projet de renouvellement urbain sur leur lecture attentive du paysage préexistant, et en particulier sur ses logiques hydrauliques. Lauréats de la consultation, les deux paysagistes découvrent ici, sous les vastes plateformes de béton des usines, le réseau d’anciennes rigoles de drainage, dont le tracé initial a naguère guidé les premiers redécoupages parcellaires. Extrêmement plat et très largement imperméabilisé depuis, le site recèle – à condition de savoir y regarder – de nombreuses traces de l’ancienne gestion du trop d’eau, que des frênes et des saules viennent appuyer là où on les a laissé pousser.

Allers-retours entre échelles micro et macro

Bruel et Delmar proposent d’inscrire le projet dans l’héritage de cette culture du drainage et d’en faire le support du nouveau découpage foncier et du tracé des voiries. L’idée? S’interdire toute canalisation ou pompe souterraines en retenant et en acheminant l’eau à ciel ouvert, via un réseau de rigoles qui s’écoulera ensuite dans un vaste jardin d’eau fonctionnant comme un bassin d’orage et assurant par ailleurs la phytoremédiation. La mise au point du projet s’effectuera par allers-retours entre échelles micro (réglage à la parcelle de la question hydraulique) et macro (régénération du grand paysage d’ensemble) pour ouvrir tout le quartier sur les voies d’eau tout en instaurant des relations transversales. La notion d’écoquartier n’existe pas encore au moment des études, mais quelques années plus tard, en 2009, le projet est labellisé d’emblée : « On cochait toutes les cases sans l’avoir cherché! », s’en amuse encore aujourd’hui Anne-Sylvie Bruel. Ils obtiennent dans la foulée le marché pour la maîtrise d’œuvre des espaces publics. La candidature de l’architecte-urbaniste JeanPierre Pranlas-Descours, avec lequel ils ont déjà travaillé à Saint-Jacques-de-la-Lande et à Nantes, est retenue pour la définition et la coordination des lots construction. L’architecte fonde la suite du projet sur deux principes simples : celui d’une mixité de programmes (tertiaire, logements, commerces) systématisée à l’échelle de l’îlot, qui invitera les différents intervenants à partager une culture de projet; et celui d’une conservation maximale de toutes les accroches existantes – murs, constructions, arbres. Par ailleurs, la morphologie du site induisant une nappe phréatique affleurante, aucun sous-sol ne sera possible, ce qui implique de doter tous les bâtiments d’un socle de parking en superstructure. Les formes urbaines sont simples, sans découpe sculpturale ou gabaritaire, et les matériaux sobres : préconisée en façade, la terre cuite fait, de bâtiment en bâtiment, l’objet de subtiles déclinaisons. Les architectes à mesure retenus pour construire ici partageant tous la même approche qui conjugue un rationalisme sobre à un grand soin dans le détail et la mise en œuvre des façades.

Respect et dialogue fécond

 Depuis 2009, le quartier continue ainsi de s’édifier et les espaces publics et leurs plantations ont déjà acquis une belle maturité : les paysagistes expliquent que leur présence au long cours leur a permis de construire ici un dialogue fécond avec les services municipaux qui en assurent désormais l’entretien. Jean-Pierre Pranlas Descours souligne quant à lui que les conditions de travail sont ici très favorables : promoteurs locaux et aménageur se connaissent bien et se respectent car ils savent qu’ils retravailleront ensemble. La pression foncière n’étant pas encore trop forte, elle autorise un haut niveau d’exigence, tant sur les études que sur les prestations. Récemment, les mêmes paysagistes et le même architecte coordinateur ont été à nouveau retenus pour travailler sur l’extension du périmètre de la ZAC au sud. La suite… dans 12 ans!

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