Un coup de dé Concours Bruneseau

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 13/05/2019

Nouvel R - Vue depuis la Seine, Ivry

Article paru dans d'A n°271

Que penser du concours Bruneseau, dont les quatre propositions en concurrence sont présentées dans le cadre de l’exposition Seine Rive Gauche au Pavillon de l’Arsenal ?

Le secteur Bruneseau est l’une des dernières zones libres de la ZAC Seine Rive Gauche. Situé à la limite de Paris, il est coupé par le boulevard périphérique qui a été réaménagé par Yves Lion et Marc Mimram pour faciliter sa future intégration à la ville : le remblai qui supportait les voies a été remplacé par des ponts sous lesquels un nouvel axe est venu se glisser, pour permettre à l’université Paris Diderot d’être directement connectée à Ivry-sur-Seine (Valde-Marne), tandis que les bretelles d’accès ont été resserrées pour occuper le moins d’espace possible. Ces opérations préalables ont été exécutées pour servir de base au développement de projets urbains capables d’assurer une continuité organique entre la capitale et sa proche banlieue. Suturer, effacer, pourquoi pas? Mais on pourrait se demander pourquoi, quelques mètres plus loin, les tours de Nouvel, les faisceaux de voies ferrées et les silos réhabilités jouent impunément la carte de la poésie de l’infrastructure. Et encore plus loin, porte des Lilas, un autre tronçon du périphérique est recouvert cette fois par la ville. Peu de cohérence dans le traitement de cet ouvrage d’art emblématique de toute une époque, à l’image du réaménagement des voies du chemin de fer de petite ceinture, envisagé au cas par cas…

INFRAVISIBLE

 La vision d’une ville unitaire, comme pouvait la rêver le préfet Haussmann à la fin du XIXe siècle, semble bien dépassée sur un site où l’on a préféré, dans les années 1980, se lancer dans l’hasardeuse couverture des voies ferrées plutôt que dans le déplacement et l’articulation de la gare d’Austerlitz au boulevard annulaire. Une décision qui peut apparaître aujourd’hui comme l’acte originel de notre nouvelle ère. Sans jamais prétendre à abolir le hasard, la plupart des grands projets urbains se déterminent maintenant comme autant de coups de dés lancés dans le vide. Reprenant les nouvelles procédures d’accès aux marchés publics instaurées par les Réinventer Paris, les quatre équipes en compétition ont d’abord été constituées par des banques et des promoteurs immobiliers. Ces derniers, mandataires, ont contacté des architectes et des paysagistes pour être plusieurs fois entendus par la SEMAPA et par la ville au fil de l’évolution des projets. Pas de budget ni de programme : il était simplement demandé aux équipes d’apporter les fonds nécessaires au financement de leurs aménagements et de proposer des lieux d’hébergement, des équipements annexes et des locaux d’activités avec les opérateurs capables de les gérer comme avec les entreprises susceptibles de s’y installer dès la fin des travaux. Comme si les édiles cherchaient désormais, en s’impliquant le moins possible, à réceptionner une ville en fonctionnement, à l’image des joueurs de Sim City. Chaque équipe devait aussi s’entourer de spécialistes pour fournir des analyses quasiment médicales prouvant que leurs propositions étaient écologiquement correctes : bilan carbone, isolation thermique, absorption de l’eau, etc. Une demande infravisible bizarrement pondérée par des castings très dissonants. Chaque équipe ayant choisi d’exhiber une star étrangère caractérisée par une production plus proche du design que de l’architecture urbaine. Notamment les Britanniques Thomas Heatherwick et David Adjaye, habitués à livrer des objets sans doute intéressants mais totalement autistiques, tout comme le Chinois Yansong Ma et, dans une moindre mesure, le Danois Bjarke Ingels.

CHIRURGIE ESTHÉTIQUE

Nouvel R [Lauréat]

Les Nouveaux Constructeurs / AG Real Estate France / Icade / Nexity / Frey – Hardel Le Bihan Architectes / Youssef Tohme Architects & Associates / David Adjaye Associates – Buzzo & Spinelli Architecture – Bassinet Turquin Pays

Sûrement le projet qui a le mieux su faire disparaître le caractère infrastructurel de l’autoroute urbaine pour l’intégrer à la ville en la transformant en simple avenue parisienne. Il était d’ailleurs de - mandé aux équipes en compétition de prévoir des entrées au niveau de cette voie afin de permettre son ouverture aux piétons dans un futur proche. La tour de Hardel Le Bihan et Youssef Tohme se dresse ainsi comme une simple extrusion de sa parcelle et renvoie au très urbain Flatiron building de Daniel Burnham à New York. Mais elle s’étage au Nord en gradins pour éviter toute confrontation avec les hauts objets massifs et sculpturaux de Jean Nouvel. David Adjaye trouve naturellement sa place sur la berge de la Seine, où il s’immisce habilement dans la cité Kagan pour tricoter une savante texture dont il a le secret. Tandis que les autres parcelles, même les plus ingrates, frêles prisonnières des bretelles d’accès et des voies express, sont systématiquement loties. Comme si le désir de suturer et d’effacer comme autant de vilaines cicatrices les vides interstitiels oubliés par l’infrastructure était ici poussé à son comble. Mais la proposition apparaît vite assez vaine, comme une accumulation d’interventions de chirurgie esthétique tentant de faire entrer de force un corps puissant et viril dans les canons d’une beauté plus féminine.

RETOUR VERS LE FUTUR

IP Factory - [Finaliste]

Unibail-Rodamco-Westfield / Kaufman & Broad / Sogeprom / L e Grand Réservoir – Heatherwick Studio et Arte Charpentier / Brénac & Gonzalez et HEMA Architectes / DVV D / Lina Ghotmeh Architecture / Atelier d’Architecture Emmanuel Nebout – Base

Très proche de la précédente par sa stratégie urbaine, cette proposition s’en distingue cependant par sa silhouette. Les deux tours polygonales seventies de Thomas Heatherwick renvoient involontairement à celles du pont de Sèvres et semblent déjà réclamer la nouvelle enveloppe métallique plus seyante dessinée par Dominique Perrault. Une plongée dans le passé récent qu’accompagne intelligemment l’audacieux porte-à-faux de DVVD. Ailleurs, les interventions de Lina Ghotmeh dans les interstices routiers et celle de Brénac et Gonzalez face à la Seine restent dans l’air du temps et apportent une sédimentation temporelle bienvenue pour renforcer, à travers le collage cher à Colin Rowe, « l’effet ville » que les deux équipes finalistes ont cherché fébrilement à promouvoir.

PAYSAGE D’INFRASTRUCTURES

Nouvel Air

Bouygues Immobilier / Novaxia – LAN / BIG / NP2F – Topotek 1

Plastiquement le projet le plus percutant, mais éliminé rapidement par le jury, sans doute parce qu’il ne jouait pas le jeu de la continuité urbaine et de la ville clé en main, pour lui préférer la poésie plus âpre et plus contemporaine du paysage d’infrastructures. Refusant de se coller au périphérique, Nouvel Air a préféré le scander de hauts blocs totémiques trouvant leur justification en eux-mêmes. La tour de Bjarke Ingels serpente ainsi vers le ciel pour tutoyer impoliment celles de Jean Nouvel. Tandis que LAN vient recouvrir de manière blasphématoire une partie de la cité Michel-Kagan pour pouvoir projeter une construction conséquente en relation à sa position sur les berges de Seine. Cette architecture babylonienne rappelle les centrales électriques londoniennes qui ponctuent le cours de la Tamise. Sans doute la proposition la plus enthousiasmante de cette triste consultation.

SÉDIMENTATION VERTICALE

 Ville Augmentée

 BNP Paribas / Vinci Immobilier / Emerige / Compagnie de Phalsbourg – 2Portzamparc / XTU Architects / MAD Architects / Gianni Ranaulo Design / CALQ / Carlo Ratti Associati – Florence Mercier Pays

Refusant les greffes lamelles de tissu urbain entre les voies surélevées des rampes d’accès au périphérique, pouvant être sujettes de cruels rejets de la part du puissant organisme infrastructurel, le niveau du sol est laissé libre pour être épisodiquement occupé par des équipements nomades. La continuité, la sédimentation, le collage, la ville sont projetés sur un plan vertical. La tour d’Elizabeth et Christian de Portzamparc s’apparente ainsi à une accumulation de blocs séparés par des jardins suspendus, un pro - cédé repris plus bas par XTU et MAD en bordure de Seine. Cette proposition est à la fois radicale et pertinente, mais elle ne parvient pas à s’incarner dans une image prégnante comme avaient su le faire précédemment les tours favelas, leur très poétique proposition pour la consultation B3A remportée par Jean Nouvel. Ici, le principe donne lieu à une surenchère formelle un peu épuisante.

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