Primo campo # 4 (Premier champ), 2001 Coll. Donata Pizzi, Milan |
Récemment présentés
au Point du Jour à Cherbourg, avec un art consommé de l’accrochage par
JeanFrançois Chevrier et Élia Pijollet, les travaux de Marina Ballo Charmet
déconcertent, tant par leur nature que par leur diversité. C’est bien là leur
qualité : en déplaçant le regard à la marge, « au coin de l’œil », ils
restituent l’expérience de la présence. |
Ce sont des images qui dérangent : on ne sait pas trop
comment les aborder, ni où les classer, ni avec quoi les ranger, tant elles
sont singulières. Des images sans sujet, sans récit, sans rien de ce qui énonce
ou de ce qu’énonce a priori la photographie. Pourtant elles captivent et il est
difficile de s’en détacher. Une fois que l’on s’en est détourné, elles restent
comme imprimées dans un coin de l’œil, avec l’intensité d’un souvenir ou la
sensation que le souvenir échappe sitôt que l’on s’efforce de le fixer.
Sentiment fugace de « l’entrevu », insistance d’un « déjà vu ». À quoi cela
tient-il ? Pour certaines, à un basculement qui couche à l’horizontale ce qui
se dresse à la verticale. Pour d’autres, à un rapprochement si fort que
s’efface la mise au point. Pour d’autres encore, au fait qu’elles sont à ras de
terre, ou de trottoir. Quand elles ne semblent pas fixer obstinément un point
de l’espace ou un objet dans le champ visuel, avec simultanément une extrême
concentration de l’attention et une distraction, une divagation de l’œil et de
l’esprit, fasciné par quelque chose qu’il ne peut plus nommer ni saisir,
simultanément présent et absent. Ou bien le champ visuel envahit toute l’image
et le regard s’y noie.
UN ETAT DU REGARD
Voilà, ce que montrent ces photographies, c’est un regard.
Ou plutôt un état du regard, comme lavé de la connaissance et de l’habitude. Un
regard délesté, dépouillé du poids de tout ce qui le conditionne et le formate.
Fraîcheur et innocence retrouvées, reconquises à la suite d’un formidable
effort de libération, tant le regard s’est affranchi des codes de la
représentation pour saisir – et montrer – ce que cela induit d’être quelque
part face à quelque chose. Ce qui se joue avec ce regard relève de la
sidération. Celle de l’animal, cette forme de vie qui nous est si proche et si
radicalement autre. « Il arrive qu’un animal, muet, lève les yeux, nous
traversant de son calme regard », écrit Rainer Maria Rilke dans Les Élégies de
Duino, comme le cite Jean-Christophe Bailly dans Le Versant animal. Il écrit à
propos de ce regard calme : « Devant ce qui n’est et ne peut être pour nous ni
question ni réponse, nous éprouvons le sentiment d’être en face d’une force
inconnue […]. C’est comme si nous étions devant une autre forme de pensée, une
pensée qui n’aurait devant elle et de façon éperdue que la “voie pensive”. »
Cette voie pensive, au seuil du regard, est celle à laquelle invite Marina
Ballo Charmet. Elle instruit, par-delà le langage, que la connaissance ne
suffit pas et que l’expérience de la présence est indispensable pour saisir et
se saisir de la réalité. Pareille expérience est corporelle. Ce qui détermine
les points de vue qu’elle choisit relève de la nécessité de le rappeler. C’est
parce que le regard est porté par un corps que surgit la corporalité de ce qui
est regardé : le cou d’une femme saisi d’en dessous comme la pointe d’un balcon
d’immeuble, l’un et l’autre de même âge dirait-on, l’un et l’autre matière –
chair ou pierre – façonnée d’ombres par la lumière.
LA VOIE MUSICALE
Les images qu’avance Marina Ballo Charmet ont une très
grande force plastique. Elles s’organisent en séquence ou instaurent entre
elles des échos formels, des homomorphies, par lesquelles elles débordent et
créent des vides, comme un cadrage souligne un hors-cadre. Elles installent des
rythmes, une musique ou, pour paraphraser Jean-Christophe Bailly, « une voie
musicale ». Elles donnent continuité à leur discontinuité en instaurant une
durée, celle de notre regard à son tour lavé, calme, revigoré. Il est alors
possible de percevoir, non plus par la seule raison ou par la seule
connaissance, la force et la singularité de ce qui nous entoure. Comment
serait-il possible d’y parvenir sans la conjugaison de ces modes
d’appréhension? Ainsi s’explique la persistance des images de Marina Ballo
Charmet. Ses vues au bord de la vue ouvrent une vacance, des intervalles, des
possibles. Elles invitent à appréhender l’espace autrement : pensivement,
musicalement. Ce n’est pas leur moindre mérite que d’ouvrir à cette liberté
grande.
« La recherche sur les
parcs publics a commencé en 2006 et s’est conclue en 2010. Encore une fois, il
s’agit de marges et de confins. Plus j’ai marché dans les parcs, plus je me
suis rendu compte qu’ils pouvaient se transformer en lieux de rencontres, en
lieux de réception d’expériences de vie… Celles-ci sont ouvertes à l’imprévu, à
l’incertain. Le parc, plus qu’un espace, est un lieu public qui met en relation
le dedans et le dehors, le privé et le public, un lieu où l’on peut retrouver
l’idée de jeu et réconcilier l’urbanité avec le monde de l’enfance ».
Marina Ballo Charmet
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