Des pyramides au palais Bourbon en passant par le château de Versailles, l’architecture s’est toujours mise au service du pouvoir, qu’il soit d’ordre divin, démocratique ou despotique. Mais que sa nature soit tyrannique ou non, le pouvoir ne veut plus aujourd’hui se montrer coercitif ou arrogant. Au contraire, il cherche désormais à renvoyer davantage une image d’humilité ou de bienveillance. La Culture est devenue ce moyen privilégié par lequel les États peuvent moins brutalement exercer leur hégémonie. Depuis 1990, on parle de soft power pour qualifier ce jeu d’influence. Avec le Louvre du golfe Persique, la France et Abu Dhabi inaugurent un modèle de soft power partagé où chacun, malgré ses différences, devrait en principe y trouver son compte en matière de séduction géopolitique. Grâce au patrimoine et au savoir faire muséologique qu’elle exporte, la première se donne une stratégie pour faire rayonner sa prestigieuse culture quand l’autre offre au monde l’image d’un libéralisme culturel qui tranche intentionnellement avec l’autoritarisme de sa gouvernance, comme avec le sectarisme de son grand voisin wahhabite.
En tant qu’artiste reconnu, Jean Nouvel est un ambassadeur de la France. Il est à cet égard un soldat de son soft power. Manifestement conscient de ces enjeux, Jean Nouvel s’est montré particulièrement inspiré pour sa cité-musée. Sur l’île de Saadiyat, sans sombrer dans l’éclectisme, il a su puiser dans les archétypes occidentaux et orientaux un syncrétisme architectural susceptible de faire naître en chacun une impression de familiarité et un vent d’oecuménisme opportun. Mais sa force est d’être parvenu à proposer en même temps une forme suffisamment singulière et nouvelle pour offrir le monument icône que l’on attendait de lui.
Emmanuel Caille
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