Invention, réaction, enfumage
Difficile de ne pas subir l’injonction permanente à innover, inventer, renouveler. Loin de la foi positiviste dans le progrès qui portait autrefois aux nues tout ce qui paraissait d’avant-garde, c’est davantage aujourd’hui la société de consommation et l’hyper-compétitivité qui en découle qui instaurent cette dictature : qui n’avance pas s’exclut du monde des gagnants. Dans un environ- nement en forte mutation, il n’est certes plus possible de se satisfaire de réponses nées dans un univers révolu. Mais l’injonction est parfois si oppressante que ceux en peine d’inventivité en viennent à produire des simulacres de nouveauté. La presse – et d’a n’y échappe pas – a sa part de responsabilité dans cette dérive lorsqu’elle tente de répondre à l’avidité des lecteurs en conte- nus innovants ou stimulants pour leur imagination. Ce qu’il faut bien appeler les foires d’architecture, et tout particulièrement la Biennale de Venise, sont le lieu privilégié de ce théâtre des apparences. N’existe que celui qui paraît marquer un coup d’avance sur les autres. Mais les idées neuves étant rares, s’est développé un art permettant de réinventer la poudre sans en avoir l’air. On recycle les vieilles idées, on emballe des banalités dans une rhétorique pseudo-savante.
Le temps de l’architecture n’est pourtant pas celui des événements culturels et la manifestation vénitienne confiée cette année à David Chipperfield, tout en opérant dans un contexte de crise mondiale un retour assumé à de sages valeurs universelles, n’échappe pas toujours à ces dérives. Cela n’a pas empêché les critiques, déplorant le manque d’imagination du commissaire britannique. Perdure en effet cette idée sotte que l’imagination se jauge à l’aune de la complexité des formes et qu’à ce titre, par exemple, l’architecture de Lacaton & Vassal serait moins inventive que celle de Zaha Hadid.
En se penchant sur les modes de production de l’immobilier tertiaire comme nous le faisons ce mois-ci dans notre dossier, on voit bien que le déterminisme économique et financier est devenu si prégnant sur l’architecture que les questions formelles sont reléguées à l’arrière-plan de la conception. Or, si l’architecte veut jouer un rôle qui ne le limite pas au façadisme, il doit comprendre que ce qu’il envisage justement comme un lieu habitable n’est souvent plus qu’un produit financier et qu’il lui appartient désormais de déjouer ces mécanismes complexes des conditions de production.
Emmanuel Caille