Velaines n’est pas une destination, mais c’est un village-rue touché par la dépopulation. Chaque jour, 6 000 véhicules, dont 2 000 poids lourds, empruntent la RN135 qui coupe le bourg en deux. Dans le rétroviseur, on aperçoit une structure vitrée, peut-être un magasin de meubles ou un concessionnaire automobile. En revenant, on distingue à travers le pare-brise un totem blanc, similaire à ceux indiquant les prix des carburants. Il n’affiche qu’un cadran digital, conçu en 1944 par Hans Hilfiker pour les Chemins de fer fédéraux suisses. L’absence d’enseigne lumineuse intrigue. Un auvent cylindrique, paré d’une guirlande d’ampoules, abrite sans le toucher un vestibule vitré en forme de serre. Une place publique, trop minérale et évoquant les dessins de Superstudio, s’étend entre la boîte et la route. L’ensemble paraît étranger, mais appartient subtilement au lieu. On n’est pas dans un rêve virgilien.

Guillaume Eckly et Mathias Roustang, architectes de l’agence Gens, nous accueillent en compagnie de la responsable de la médiathèque et d’un conseiller municipal. Leur concept initial n’était pas un magasin, mais une station-service. Ici, la station-service culturelle, ouverte sept jours sur sept, permettra aux habitants de remplir leurs esprits de culture et d’activités, tandis que leurs voitures électriques se rechargent sur le parking.

La proximité de la route nationale a imposé une isolation totale, rendant la structure hermétique. L’accès principal est acoustiquement isolé par un sas. À l’intérieur, des espaces modulables, avec des baies coulissantes et des meubles sur roulettes, permettent une grande flexibilité. Le projet est en symbiose avec l’école située à l’arrière, intégrant un nouveau préau et un accès indépendant pour que les espaces de la médiathèque soient utilisés par l’établissement scolaire.

Le plan évoque un dessin d’Oskar Schlemmer ou une réinterprétation de Palladio par un architecte du New York Five. La médiathèque, un carré structuré par une trame isomorphique de seize piliers métalliques, divise la base en neuf carrés égaux. Le plan reste libre grâce à l’indépendance des piliers et des cloisonnements en verre ou diagonaux. À l’arrière, un préau circulaire, dont le diamètre correspond à la longueur du carré, avec son centre positionné sur le coin de la médiathèque, partage quatre piliers avec la structure et en ajoute cinq, répartis à l’intérieur du cercle selon la même trame. Sur la façade avant, l’auvent déjà évoqué, de forme circulaire et tangent au bâtiment, mesure un tiers du diamètre du préau. Le mur diagonal de la cuisine relie de manière imaginaire le centre des deux cercles. L’ensemble compose une géométrie « maniaque », mais fonctionnelle et ouverte.

La rigueur géométrique est adoucie par des éléments inspirés de Venturi et Scott Brown, comme l’auvent et sa guirlande lumineuse. Tous les meubles, y compris la kitchenette, sont sur roulettes, facilitant la transformation des espaces. Les détails intérieurs, comme les carreaux espacés et les revêtements en caoutchouc en relief en forme de cercles, ainsi qu’une horloge à affichage à sept segments intégrés dans la vitre, évoquent le style du Groupe Memphis. La gaine de ventilation garde la même dimension autour de la façade, sans rétrécir en s’éloignant de l’unité de traitement d’air. Elle fait office de moulure d’architrave machiniste, rappelant les travaux d’architectes français contemporains. Trois plaques métalliques en demi-cercle sur la façade du préau, à interpréter comme une sorte de triglyphe moderne, apportent, selon les architectes, une « générosité de la présence ». La nuit, la blancheur et l’éclairage transforment cet espace en un aquarium de lumière, exposant ses intérieurs animés, tandis que le haut, couvert de tôle ondulée, veille en silence.

Les « idées simples » de l’agence GENS, comme celle de la station-service, mais aussi des halles, du bunker ou du cloître, dans d’autres projets ruraux, rappellent les typologies d’Aldo Rossi. Ici, il ne s’agit pas de « faits urbains », mais de « faits non urbains », ou, comme l’expliquent Guillaume et Mathias, d’une « architecture de la rusticité ». Pour eux, la rusticité ne renvoie pas seulement à l’environnement rural, mais aussi à la robustesse et à la durabilité. La métaphore et l’archétype n’ont pas de prétention théorique, mais visent simplement à communiquer clairement avec le client. Les habitants, perplexes face à l’austérité des finitions, sont finalement satisfaits.

Maniériste par ses références à l’histoire architecturale récente, la médiathèque de Velaines se distingue par sa qualité de construction et son efficacité. Tout fonctionne à merveille : isolation acoustique, rideaux mécaniques, baies coulissantes. C’est à la fois le decorated shed et le duck des théoriciens de Las Vegas. C’est nickel. Ou plutôt blanc. L’absence de ventilation naturelle et l’utilisation de matériaux comme le béton, l’acier et le verre renforcent cette impression de solidité, mais ancrent également le bâtiment dans le XXe siècle plus que dans le XXIe.

La déviation de la RN135, prévue pour 2027, rendra l’isolation acoustique du bâtiment moins cruciale. Cependant, cette insonorisation reste un atout, et le bâtiment pourrait parfaitement être reconverti, que ce soit en abri contre la canicule pour les personnes âgées, ou en une nouvelle « idée simple » : une boîte de nuit. Grâce à sa capacité à contenir les nuisances sonores, il serait idéal pour une telle transformation. Tout dépendra du développement démographique de la région.

[ Maîtrise d’ouvrage : commune de Velaines

Maîtrise d’œuvre : GENS ; BET TCE, BET2C

Signalétique : Bizzarri-Rodriguez

Surface : 295 m2 SP

Coût : 1,1 million d’euros HT

Calendrier : début des études 2020 / livré en 2024 ]