C’est en zone périurbaine, à quelque 25 km au nord de Toulouse, que l’agence BAST a livré en début d’année la maison Garipuy. Cette réhabilitation montre une nouvelle fois leur plaisir d’expérimenter avec les matériaux de construction et leur méthodologie de conception toute personnelle.
Commune à l’habitat dispersé à environ quarante minutes de route du centre-ville de Toulouse, Montjoire en est suffisamment éloignée pour profiter de la qualité de vie rurale, mais en assez proche pour tirer parti des opportunités d’emploi de la région métropolitaine. Elle abrite à la fois des ingénieurs, des techniciens et des administratifs travaillant chez Airbus ou dans l’une des nombreuses fermes photovoltaïques en plein essor dans la région, ainsi que des ouvriers agricoles œuvrant dans les plantations environnantes, et qui bénéficient également du grand marché qu’est la Ville rose. Parmi celles-ci, les Serres de Bessières, une exploitation hydroponique de tomates de 4 hectares qui fonctionne toute l’année grâce à la chaleur récupérée de l’incinérateur de déchets voisin. Comme on peut le percevoir, il ne s’agit pas d’une commune défavorisée, mais d’un territoire qui se distingue par une synergie entre urbanisation, ruralité, technologie et agriculture pleinement exploitée.
Le bourg est perché sur une colline qui sépare les vallées de la Garonne et du Tarn. Cette position stratégique en a fait un important bastion des cathares, une secte qui peuplait le Languedoc au Moyen Âge et qui considérait le monde matériel comme une création maléfique, opposée à la pureté spirituelle. Sur la place du village, située au centre du bourg, seule la mairie se distingue du reste du bâti, avec quelques subtils éléments d’architecture civile, tels qu’un corps de logis à trois travées, articulé par de fins pilastres doriques. Les autres façades, bien que présentant un peu plus de modénature que dans le reste du village, appartiennent à des maisons bourgeoises qui bordent la place. L’une de celles-ci, adjacente à la mairie, n’a cependant plus de volets et exhibe des vitres à effet miroir, avec une façade récemment enduite. Il s’agit de la maison Garipuy, récemment réhabilitée comme maison des associations par l’agence d’architecture BAST (Bureau Architectures Sans Titre).
L’intérieur se décrit avec simplicité. L’accès se fait par l’ancien corridor, qui, avec l’escalier, garde sa fonction. Pour accueillir le nouveau programme, les espaces de cette maison bourgeoise ont été réorganisés à la manière de cellules dans un tableau Excel. La salle polyvalente est le résultat de la fusion de plusieurs chambres du rez-de-chaussée, tandis que la bibliothèque réunit deux pièces superposées, désormais intégrées en un seul volume. Cette réorganisation a permis d’éviter la construction d’une extension, initialement prévue dans le cahier des charges. Visibles uniquement depuis l’arrière, quelques ouvertures sur la façade et le toit permettent d’éclairer et de ventiler naturellement la salle polyvalente. Cependant, l’agence BAST ne pouvait se contenter de simples ajustements sans y laisser sa marque, et sans cela, il est probable que je n’aurais pas matière à écrire sur ce projet.
Des gestes puissants
BAST, le collectif d’architectes à l’origine du projet – qui depuis ses débuts, il y a une dizaine d’années, gravite autour de Laurent Didier, Louis Léger et Mathieu Le Ny –, affirme ne pas avoir d’esthétique singulière. Néanmoins, ils partagent une sensibilité commune : le plaisir d’expérimenter avec les matériaux de construction et une méthodologie de conception particulière. Contrairement à de nombreux jeunes architectes qui privilégient les concours, leur passion pour la construction et le bricolage les a conduits sur les chantiers bien avant de se soumettre à tout jury. Leurs références sont visuelles plutôt que théoriques, puisant à la fois dans la grande architecture, l’architecture vernaculaire moderne et les images de leurs propres bâtiments en cours de construction. Leurs projets, souvent des adaptations ou des interventions au sein de structures vernaculaires, comme celui-ci, peuvent ne pas s’harmoniser esthétiquement avec les bâtiments d’origine, mais ils révèlent un fil conducteur commun : un processus ancré dans une réflexion simple et intelligente, affinée au fil du temps, et exposée dans toute sa logique élégante. À l’instar des bâtisseurs du bas Moyen Âge qui reprenaient parfois les travaux des cathédrales gothiques sans plans, élévations ou détails techniques laissés par leurs prédécesseurs, BAST intervient dans l’existant en parlant le même langage, mais avec leurs accents, leurs expressions, leurs traces. Mais ce qui caractérise surtout l’agence, c’est sa capacité à distiller l’intervention architecturale en quelques gestes puissants, convaincus que ces éléments seuls peuvent répondre aux questions fondamentales du projet.
Une purge
À Montjoire, ils ont purgé le bâtiment existant en démolissant tout le second œuvre et les éléments jugés accessoires. Le sablage des surfaces a révélé l’hétérogénéité des matériaux : murs en adobe, terre cuite sur chape à la chaux, colombages… des traces des différentes phases de construction auxquelles ils ont ajouté une nouvelle étape.
La reprise structurelle des murs de refend, indispensable pour l’usage public de ce bâtiment autrefois résidentiel, est rendue visible. Deux poutres en béton apparentes se croisent au centre de la salle polyvalente, laissant deviner leur poids imposant, avec une armature d’acier qui, à elle seule, dépasse les 600 kg. Un mur de façade a été découpé en chanfrein à la tronçonneuse pour laisser entrer la lumière. Le vide laissé par cette intervention, ainsi qu’une ancienne fenêtre et une grande porte à l’arrière donnant sur le jardin, ont été fermés avec deux fenêtres coulissantes surdimensionnées à cadre en aluminium, appliquées directement sur la façade. Ces fenêtres sont si larges qu’elles dépassent le bord du bâtiment lorsqu’elles sont entièrement ouvertes. Il ne s’agit pas de menuiseries de luxe, et certains villageois, notamment des retraités, se plaignent même de leur lourdeur lors de la manœuvre. Une nouvelle toiture shed en fermettes de bois Douglas, recouverte de bac ondulé pour alléger la structure, protège l’ancienne extension de plain-pied. La fermeture se réalise ici avec des vitrages collés et des ventelles. Un chéneau fabriqué sur place déborde de 1 mètre en porte-à -faux pour évacuer l’eau de pluie vers un anneau de béton rempli de gravier. Dans la bibliothèque, où les anciennes poutres du plancher sont laissées apparentes, des étagères en acier inoxydable habillent les murs, créant une cohérence dans cet espace aux matériaux variés. Les installations électriques et de plomberie sont apparentes dans tout le bâtiment. Seul l’enduit du mur courbe de l’escalier, un plâtre sur lattis en bois, a été conservé en raison de sa fragilité. L’effet global est celui d’un bâtiment qui révèle sa matérialité et sa manufacture. L’hérésie des cathares contre la matière semble enfin exorcisée.
De l’ornement comme affirmation morale
La maxime « Nous ne connaissons pas de formes, mais seulement des problèmes de construction » pourrait être attribuée à BAST, si Mies ne l’avait pas déjà énoncée en 1923. À l’époque, la légitimation de l’esthétique par la construction était influencée par la fascination de l’architecte moderne pour l’industrialisation allemande d’avant-guerre et américaine d’après-guerre. Le contexte actuel est bien différent, et l’on peut se demander si la légitimation d’une esthétique issue de la construction, présente dans les œuvres de BAST, même s’ils affirment ne pas en avoir, est influencée par le contexte de frugalité que traverse aujourd’hui l’Europe. La supposée « vérité constructive » qu’ils revendiquent se confronte à la réalité, car il aurait probablement été plus économique – et assurément plus simple – de tout enduire et de cacher les installations électriques, hydrauliques et de climatisation derrière des plaques de Placo. Ce dont il est question ici, c’est de l’ornement. Mais dans le sens que lui donnait John Ruskin, pour qui l’ornement était une affirmation morale, un moyen pour l’artisan (et dans ce cas-là , aussi pour l’architecte) de laisser une trace personnelle et honnête dans l’œuvre, parce qu’il aime ce qu’il fait.
[ Maîtrise d’ouvrage : BAST, architecte mandataire
Maîtrise d’œuvre : commune de Montjoire
BET structure : IS
Surface : 200 m2
Coût : 375 000 euros
Calendrier : 2020-2023 ]