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Philippe Panerai vient de publier, seul, Paris métropole. Formes et échelles du Grand-Paris. Chef de file d’une tendance typo-morpho, il est persuadé que l’urbanisme ne se réduit pas à « l’action de disposer les hommes et les choses dans l’espace avec ordre », mais qu’il intègre une dimension historique, symbolique et tout bonnement citoyenne. Formé aux Beaux-Arts dans les années soixante (atelier Arretche), Philippe Panerai déploie depuis quatre décennies une triple activité : architecte « tourné vers l’urbanisme », enseignant à Versailles, puis à Paris, chercheur. Il a participé à une trentaine de concours, marchés de définition, études et projets en Région parisienne, qu’il connaît sûrement mieux que quiconque. Il a écrit en collaboration une série d’ouvrages qui ont fait date : Formes urbaines : de l’îlot à la barre, avec J. Castex et J.-C. Depaule ; Versailles : lecture d’une ville, avec J. Castex et P. Céleste ; Éléments d’analyse urbaine, avec J.-C. Depaule et M. Demorgon ; Projets urbains avec D. Mangin. |
D’A : Au départ Paris Métropole apparaît comme une explication claire de l’agglomération parisienne s’organisant en plusieurs thématiques telles la géographie ou la densité, puis, progressivement, émergent des propositions. En êtes-vous conscient ?
Philippe Panerai : J’ai conscience d’être sur « le fil du rasoir » entre ce qui appartient aux décisions politiques et le fait d’avoir un point de vue sur cette question. Si j’ai bâti mon plan de cette manière, ce n’était pas prémédité. Mais peut-être n’était-ce pas totalement inconscient. Les premiers chapitres fixent les bases en rappelant quelques notions essentielles : densités, limites, etc. Ces questions mises en relief me permettent de mener le lecteur vers une vision plus synthétique et je peux alors commencer à donner mon point de vue.
D’A : Au moment de la consultation sur le Grand-Paris, que vouliez-vous montrer avec cet ouvrage ?
P.P. : L’idée du Grand-Paris commence, ou plutôt revient, avec la révision du schéma directeur, les débats publics qu’il a suscités et les travaux de Paul Chemetov et Pierre Mansat sur la « zone dense ». Et l’évidence pour moi que la ville – Paris – ne se réduit pas à une zone dense au centre de la région et que la région ne définit pas la ville. Une grande région agricole au centre de laquelle se trouve une capitale prise dans une
compétition économique assez dure à l’échelle mondiale. Ma volonté d’approfondir la question apparaît à cette époque, en 2005. Mais tout s’est précipité avec l’annonce du président de la République en 2007.
D’abord, préciser quelques notions mais surtout prendre en compte le territoire. Savoir de quel territoire nous parlions, éviter de produire des schémas abstraits géométriques comme les schémas de villes idéales de la Renaissance ou ceux d’Howard, dans lesquels les traces du « territoire habité » sont oubliées.
D’A : Vous vous montrez relativement sévère envers ce schéma directeur.
P.P. : Il est terriblement en retrait par rapport aux positions exprimées initialement par la vice-présidente de la Région qui a mené les premiers débats avec des propositions très audacieuses sur la nécessaire densité, la vie urbaine, les transports… Il n’en reste pas grand-chose, sans doute a-t-il fallu plaire à tout le monde. Rien n’est réellement mauvais mais ce
schéma ressemble au précédent.
D’A : Et le sous-tire : « Formes et échelles du Grand-Paris » ?
P.P. : Avant ce travail, j’étais à peu près capable de dessiner la forme de Paris intra-muros avec la Seine et l’enceinte de Tiers ; quelques études m’avaient permis de me représenter les méandres de la Marne et de la Seine. Cependant, je demeurais incapable de donner une forme à la métropole parisienne, excepté celle radio-concentrique : Paris au centre. Voilà , c’est un essai sur la forme de la grande ville. Comment la saisir,
comment s’y retrouver, quelles sont ses limites ? Bien sûr, il y a les grands repères historiques : Saint-Denis ou Versailles, mais les autres ? La Défense, les 3 M des années soixante, les villes nouvelles…
D’A : La question de la forme est-elle encore pertinente aujourd’hui, face à la désincarnation des flux d’information avec Internet, par exemple ? Ou bien est-ce sa représentation qui a évolué ?
P.P. : J’ai envie de retourner la question. Je suis conscient de l’importance des flux, matérialisés ou pas. Mais nous nous apercevons que ces flux soi-disant immatériels s’appuient sur des équipements matériels, des objets techniques qui produisent de la forme, des limites, des concentrations et, à côté, des enclos presque vides. Je crois que la forme est toujours pertinente mais à condition d’emboîter les échelles. Jusqu’en 1915, Paris pouvait encore être traversé à pied et offrait des vues sur la campagne. Aujourd’hui, notre regard sur la ville a changé. Il ne supprime pas l’intérêt des outils antérieurs mais nécessite d’en inventer de nouveaux. Le processus d’accumulation d’outils intellectuels qui s’opère est semblable à celui de la formation de la ville. La limite administrative d’une ville n’est pas arbitraire. Elle finit par avoir des effets sur le territoire et la vie quotidienne des gens.
D’A : Au-delà d’une certaine échelle, nous ne sentons plus la dimension de la ville. Vous dites que pour avoir conscience de la ville, il faut la voir à travers des points de vue. Cette manière d’aborder Paris semble avoir été oubliée.
P.P. : Le sentiment d’être d’une ville s’appuie sur une idée un peu narcissique selon laquelle une belle ville se donne à voir à elle-même. L’un des problèmes de l’aménagement est de favoriser ce qui permet d’avoir conscience de la grande échelle de la ville, de l’appartenance à la métropole. Cela pourrait être la question des tours, qui peuvent servir à conforter des points visibles, mais qui, sauf exception, ne règlent pas les problèmes de densité. Roland Barthes disait à propos de la tour Eiffel : reconnaître les lieux depuis un point de vue est un plaisir. Appréhender la ville, c’est commencer par comprendre sa forme et sa géographie.
D’A : Vous écrivez que les possibilités d’invention dont la banlieue
a été le théâtre depuis longtemps devraient être davantage prises
en compte. À quoi pensez-vous ?
P.P. : La banlieue est un territoire dans lequel les contraintes étaient plus légères que dans Paris-même, un territoire qui offrait une plus grande liberté. C’est vrai pour les architectes qui ont pu y réaliser des constructions intéressantes, c’est vrai pour la manière dont les habitants bricolent et transforment leurs pavillons et inventent des dispositions fantastiques. Il y a une vivacité que nous ne retrouvons pas dans Paris. Ce dynamisme comme la capacité d'invention des architectes ne doivent pas être figés par les règlements. Nous sommes aujourd’hui trop partisans de l’homogénéité, de la préservation, du statu quo.
D’A : Vous établissez une relation de colonisateur à colonisé entre Paris et sa banlieue. N’est-ce pas exagéré ?
P.P. : Cela a été pendant longtemps un rapport de domination. Paris, enfermé à l’intérieur de ses enceintes, a toujours manqué de place et le territoire alentour, la banlieue, a été le réceptacle naturel de ce que l’on ne veut pas en ville. Cela s’est aggravé au xixe siècle,
lorsqu’on a eu besoin de place pour les infrastructures de service, les équipements, la logistique, les gares de triage ou les champs d’épandage, qui ont été imposés – comme plus tard les grands ensembles – sans, voire même contre, l’avis des communes où ils étaient implantés. C’est ça, la politique coloniale : aménager des territoires non pour eux-mêmes mais en fonction du territoire dominant. Et puis il y a eu une sorte de domination culturelle, croisée avec des résistances.
Le livre d’Annie Fourcaut* exprime bien cette idée. Aujourd’hui, on ne peut plus continuer à tout penser à partir d’un centre unique et à idéaliser le modèle haussmannien. Il faut concilier des points de vue et des cultures divers. D’où l’idée de polycentrisme.
D’A : Qu’entendez-vous par modèle polycentrique hiérarchisé ?
P.P. : Tout d’abord, le modèle radioconcentrique ne signifie pas qu’il n’y a qu’un seul centre, même s’il y a un centre originel comme à Paris, Milan ou Moscou. J’utilise le mot polycentrique car à l’échelle de l’agglomération parisienne d’aujourd’hui, il existe, en dehors du centre principal déjà composé, une constellation de centres de tailles plus modestes mais avec lesquels il faut compter car ils structurent la vie quotidienne des habitants. Tout le monde n’habite pas forcément dans un centre mais il est important d’avoir une centralité près de chez soi. La grande ville se compose de plusieurs centres qui ont des histoires, des formes ou des sites différents et qui continuent à se développer. Ainsi nous ne sommes pas toujours obligés de tout penser à partir du centre principal et nous pouvons penser le centre principal à partir des autres centres. Bien sûr, nous ne pouvons pas supprimer deux mille ans d’histoire, le centre de Paris est là , indiscutable, et les autres centres ne sont pas tous équivalents. Voilà pourquoi je préfère parler de polycentrisme hiérarchisé.
D’A : Évoquant l’époque des villes nouvelles, vous avez l’air de dire qu’on a sous-estimé les potentiels des centres existants. Est-il trop tard ?
P.P. : Quand le schéma directeur de 1965 a parlé pour la première fois des villes nouvelles, les villes nouvelles anglaises existaient déjà depuis vingt ans. Et l’on n’a pas été attentif au fait que les Anglais commençaient déjà à douter de leur stratégie et débutaient un programme d’extension des villes existantes appelé extended town.
Mais aujourd’hui, les villes nouvelles françaises existent et la question me semble celle du développement de leur rôle de centre, leur donner des caractères indéniables de centres-villes. Les faire participer à ce polycentrime qu’elle étaient censées développer.
D’A : En quoi ce polycentrisme est-il « hiérarchisé » ?
P.P. : Tous les centres ne sont pas égaux. Certains pôles sont naturellement plus importants parce que leur dynamisme économique est plus grand, qu’ils sont davantage peuplés ou que leur histoire est plus
ancienne. Une préfecture rayonne sur son territoire, une université intéresse une population plus large que celle de la ville où elle est implantée…
D’A : Pour terminer sur le Grand-Paris, quels sont, selon vous, les écueils à éviter ?
P.P. : J’ai l’impression que nous avons déjà évité le principal obstacle, qui aurait été de réduire la réflexion sur le Grand-Paris à la production de quelques images ou projets séduisants éparpillés sur le territoire. D’une manière qui dépasse peut-être les prévisions ou le cahier des charges, les équipes se sont constituées avec de forts apports d’universitaires, de personnes issues du monde de l’économie… et avec une réelle connivence venant du parcours souvent similaire de leurs membres. Cela peut permettre d’éviter une compétition formelle acharnée et favoriser plutôt une complémentarité. Après tout, le territoire est suffisamment grand pour travailler côte à côte. Le risque serait de réduire la consultation à la production sur quelques points stratégiques d’images de Dubaï ou de Shanghai. Mais je suis plutôt optimiste quant à l’aboutissement de cette réflexion.
* Annie Fourcaut, Emmanuel Bélanger et Mathieu Flonneau, Paris Banlieues, conflits et solidarités, éditions Créaphis.
de Jean-Claude Garcias.
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