L’architecture n’est pas une fin Entretien avec Nicola Delon (Encore Heureux), le 27 août 2024

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 07/10/2024

Article paru dans d'A n°320

5, rue Curial, 11 h. Le Centquatre est encore fermé, j’interpelle un vigile à travers la grille et lui demande s’il peut prévenir l’agence Encore Heureux, avec laquelle j’ai rendez-vous. Il me fait entrer dans la cour arrière, d’où je peux apercevoir de loin la perspective de la longue halle vidée de ses danseurs et de ses artistes de rue.
Je longe le bâtiment des résidents et Nicola Delon vient me chercher. Nous montons au deuxième étage. Une porte s’ouvre et je bascule dans un monde où chaque meuble, chaque plinthe, chaque élément de lambris a une identité et une trajectoire propre, comme un personnage de roman…

D’a : Qui êtes-vous, Nicola Delon ?
Je suis né en Algérie et j’ai grandi en Aveyron à Villefranche-de-Rouergue, une petite ville de 12 000 habitants, la France rurale périphérique. Arrivé en terminale, je ne savais pas vraiment quoi faire et j’hésitais entre plusieurs possibilités : faire médecine comme mes parents, entrer dans une école pour être vétérinaire et rester à côté des chevaux avec lesquels je vivais, faire sciences po parce que je sentais que les choses se jouaient à cet endroit-là… Je n’arrivais pas à me décider et je suis allé voir une conseillère d’orientation qui m’a posé plein de questions et qui m’a dit à la fin de l’entretien : « Il y a un métier qui correspond parfaitement à tout ce que vous me racontez, c’est architecte ! »
Ce mot, je le connaissais mais je n’avais strictement aucune idée de ce à quoi il pouvait bien correspondre. Je n’avais jamais imaginé que des gens pouvaient dessiner des villes et des bâtiments. C’était l’inconnu, mais les études m’ont fait basculer parce que je ne voulais pas me spécialiser, j’adorais les maths, la philo, l’histoire : des matières qui étaient enseignées dans ce cursus.
J’ai donc fait confiance à cette conseillère d’orientation et me suis inscrit à l’ENSA de Toulouse. À peine entré en première année, j’ai pris une claque énorme ! C’était en 1995, au moment des grèves contre le transfert de l’architecture alors dépendante de l’équipement vers la culture. Avec mes camarades, nous avons commencé nos études en manifestant dans la rue et en occupant notre école : nous y débattions à longueur de journées et nous y dormions les nuits. Je ne savais pas dessiner, j’avais le sentiment d’être rentré par effraction dans cette discipline mais, dans ce contexte électrique, je me suis tout de suite senti chez moi ! J’ai rencontré des gens hallucinants, notamment Patrick Pérez, un prof malheureusement décédé il y a quelques années. Architecte, informaticien, anthropologue, il m’a fait découvrir l’Amazonie de Claude Lévi-Strauss, les hétérotopies de Michel Foucault… Il m’a parlé de cosmologie, de cosmogonie pour m’expliquer qu’on se raconte le monde avant de l’habiter. J’avais 18 ans et j’ai découvert tout ça avec Julien Choppin, en première année lui aussi, avec lequel je m’entendais déjà très bien.

D’a : Comment se sont déroulées vos études ?
Nous étions dans un bâtiment construit par Candilis, qui ne nous laissait pas indifférents. Nous cherchions à comprendre comment il avait été pensé. Il nous interrogeait en permanence. Parfois nous le trouvions triste et laid, parfois au contraire vraiment juste et beau. Et sa réhabilitation catastrophique des années 1990 nous posait aussi beaucoup de questions. Le quartier du Mirail complétait cet environnement : une utopie inaboutie et en partie détruite ; un objet urbain étrange qui ne fonctionne pas mais dont ne peut pas dire non plus qu’il est sans intérêt.
Ensuite, j’ai senti qu’il fallait que j’aille ailleurs et je suis parti en quatrième année à Montréal dans le cadre d’un échange. Encore un choc ! Je tombe par hasard dans le studio de Jim Poirier, un prof invité complètement génial – architecte mais aussi inventeur, il avait créé un modèle de motoneige – qui nous répétait à longueur de journée : votre métier, c’est autant d’être des concepteurs que des entrepreneurs !  Il nous a demandé de faire comme si nous étions une agence : nous avons imprimé des cartes de visite à nos noms et nous sommes partis à la recherche de vrais projets. Moi, il m’avait confié le rôle de directeur technique. Je n’y connaissais rien, mais il m’a dit : « Ce n’est pas grave, maintenant prends des rendez-vous avec des élus, des investisseurs, des maîtres d’ouvrage, des entreprises, et tâche de faire bonne figure… » Et nous avons tous travaillé en prise directe avec le monde réel sur un projet de construction hors site en bois.

D’a : Comment s’est passé votre retour en France ?
Avant de rentrer, j’appelle Patrick Pérez qui me dit : « Si tu reviens à Toulouse, tu vas t’ennuyer. Inscris-toi plutôt à Barcelone ou monte à Paris. » C’était en 2000, les Catalans étaient au bord de la sécession et je me suis replié à la Villette. Là, je rencontre Jacques Boulet – le troisième prof qui m’a marqué – et je propose à Julien qui termine ses études à Clermont-Ferrand de me rejoindre pour que nous passions ensemble notre diplôme avec lui. Nous avons travaillé sur une salle de spectacle itinérante, « Wagon-scène ». Un équipement qui se déplace sur le réseau ferré secondaire et qui va vers (...)

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