Portrait de Christian de Portzamparc |
Nous avons rencontré Christian de Portzamparc qui vient de terminer deux projets importants, l’U Arena de Nanterre et la place du Grand-Ouest à Massy, réalisés avec Elizabeth de Portzamparc et dont nous reparlerons dans un prochain numéro. Une occasion de revenir avec lui sur son parcours et sur la radicalité de sa démarche. |
d’a :
Qu’est-ce que l’architecture ?
L’architecture, c’est tout ce qui touche à la transformation de la surface de la terre par l’homme. C’est donc un champ très vaste qui concerne des domaines où il n’est pas communément admis qu’il s’agit d’architecture. Parce que ce n’est pas seulement la construction des logements ou des équipements publics mais c’est aussi celle des routes, des ponts, des tunnels, des canaux, des ports et même des exploitations agricoles et des parcs… Des domaines qui ne sont pas le fait des architectes, mais des architectures de fait ! Comme vous le voyez, la question de l’architecture est donc organiquement liée à celle de la ville et de l’aménagement du territoire, de l’écologie.
d’a :
Quelles sont pour vous les notions fondamentales de cette transformation, le
parcours, le volume, la lumière ?
Les fondamentaux sont multiples, on
pourrait encore rajouter la masse, la légèreté, l’habitabilité, la capacité Ã
améliorer un site sous tous ses aspects, l’ouverture à de futurs
usages… Mais surtout, selon les problèmes posés, selon les projets, l’une
de ces notions peut s’imposer et devenir dominante.
d’a :
Comment envisagez-vous le contexte et le programme ?
Ce sont deux notions qui peuvent
être opposées. Permettez-moi de les placer dans une perspective historique. La
suprématie du programme a été l’un des axes majeurs de la pensée moderne pour
balayer la question du style et cet axe s’est développé au début du XXe siècle
au détriment de la question du site. Le Corbusier avait donné à son
projet de Ville contemporaine de trois millions d’habitants le
sous-titre Sans lieu. Comme s’il opposait explicitement le
programme – la population à loger – à toute forme de contexte. C’est
un peu caricatural : tous les modernes n’ont pas été comme ça, mais ça
permet de voir que la fabrication de la ville a pu être assimilée à une production
industrielle d’objets. Réalisant le programme de Descartes : « se
rendre maître et possesseur de la nature ».
Tandis que le contexte apparaît avec
l’après-modernisme. Et s’amplifie avec la montée du mouvement écologique, de
l’éthique du durable et du sentiment de responsabilité, voire de culpabilité
par rapport à la terre. Pour moi, le contexte représente la conscience que
l’architecture et l’urbanisme ont un rapport au temps, existent dans le temps.
La conscience que l’homme d’aujourd’hui habite une planète qui l’a été avant
lui et le sera après lui.
d’a :
La matière a-t-elle un rôle important dans votre démarche ?
Oui, mais je ne m’en suis pas
préoccupé tout de suite. L’intérêt pour les matériaux et les couleurs est venu
peu à peu. Quand j’ai conçu la rue des Hautes-Formes, par exemple, j’étais
surtout intéressé par les volumes. Je voulais des blocs blancs pour que l’on
puisse bien percevoir qu’ils se détachaient les uns des autres pour générer des
interstices, des entre-deux, et comment ils se réarticulaient ensuite entre eux
pour composer une totalité.
Puis à partir du Café Beaubourg,
j’ai introduit la texture et la couleur dès la conception de l’espace, de
manière d’abord très picturale pour jouer avec la profondeur spatiale, comme
Kurt Schwitters le faisait avec ses collages.
La matière entretient des relations
directes avec le corps. Outre ses caractéristiques techniques, elle est
tactile, acoustique. Pour l’ambassade de France à Berlin – une clairière
composée d’une forêt de murs –, j’ai utilisé un maximum de matières. Je me
souviens avoir fait visiter le bâtiment à des architectes allemands qui
trouvaient qu’il manquait d’unité et qui ne comprenaient pas pourquoi je
n’avais pas tout réalisé en pierre ou en béton. Mais les parois qui possédaient
chacune leur texture et leur coloration voyaient leur singularité et leur
autonomie renforcées, ce qui donnait l’impression qu’elles étaient plus
éloignées les unes des autres et donnait un sentiment de profondeur à ce cœur
d’îlot enclavé et étouffé par de hautes héberges.
Mais je peux aussi m’intéresser au
détournement de certains matériaux qui n’ont pas été conçus pour la
construction. Comme la résine, habituellement utilisée dans la fabrication des
coques de voiliers, un matériau doux et sensuel au toucher que j’ai employé
pour les pétales du flagship Dior à Séoul.
d’a : À
propos de parois, vous semblez plus Semper que Viollet-le-Duc, plus enveloppe
que structure…
C’est une opposition très lumineuse
et complexe. En mettant l’accent sur la structure, les architectes modernes
eux-mêmes ont libéré l’enveloppe de toute fonction porteuse et lui ont accordé
une certaine autonomie. Aujourd’hui, c’est vrai – pour de multiples
raisons, notamment les questions énergétiques et thermiques –, elle fait
retour et prend de plus en plus d’importance, permettant, comme en couture,
l’emploi de toutes sortes de textures.
d’a :
Vous venez de terminer un édifice, un stade de rugby couvert le long d’une
vaste esplanade publique en milieu urbain dense : l’U Arena de
Nanterre. En quels termes avez-vous posé le problème de cet immeuble totalement
atypique ?
Quand j’ai commencé à réfléchir sur
le projet, le site semblait beaucoup moins déterminant que le programme, qui
était très complexe : nombre de places à atteindre pour que l’opération
soit rentable, gestion des flux, visibilité de chaque spectateur – même
les plus éloignés du terrain ou de la scène –, problème d’isolation
acoustique dû à la proximité d’immeubles de logements… Pour toutes ces
questions, nous restions cependant dans le registre des études techniques. Donc
dans l’ordre du calcul, ce qui est toujours très rassurant parce qu’il n’y
a qu’une seule bonne réponse possible… Mais c’est dans la présence de cette
grande masse le long de cet axe – qui prolonge l’esplanade de la Défense,
l’avenue de la Grande-Armée et les Champs-Élysées – que gisait l’énigme
dont il fallait trouver la clé.
Dans chaque projet, il faut parvenir
à exprimer ce que le futur bâtiment peut apporter de plus que la simple réponse
à un programme. Exprimer ce qui outrepasse le programme.
Ce problème à résoudre, cette énigme
dont il fallait trouver la clé : c’était ici la combinaison d’un stade et
d’un immeuble de bureaux et c’était surtout l’opposition que l’on ressentirait
entre une enveloppe urbaine et douce, lumineuse et arrondie, et un paysage
intérieur immense et sombre…
d’a :
Vous faites cependant de plus en plus de très grands bâtiments : des tours
à New York, un centre culturel à Suzhou en Chine, la Cité de la musique de
Rio, le Grand Théâtre de Casablanca… Les grands bâtiments ne doivent-ils pas
être considérés à part, comme le suggère Rem Koolhaas quand il théorise
la bigness ?
Je ne suis pas dans la bigness,
qui est pour Rem Koolhaas le seuil critique à partir duquel le bâtiment devient
nécessairement son propre contexte. Je cherche au contraire, même lorsqu’il
faut manipuler de grandes dimensions, Ã conserver une relation, je dirais
« animale », entre l’homme et son lieu.
Les gros objets, les grandes
emprises, les enclaves sont le propre de nos périphéries. Et à dessein, je ne
dis pas des « métropoles », car ce mot a aussitôt une connotation progressiste
et positive, mais des paysages périphériques. Des sites labyrinthiques
rassemblant des objets hostiles et sans liens où il est difficile de se situer.
Où l’on se sent a priori exproprié, comme dans une nature sauvage composée
de fleuves et de falaises infranchissables.
L’architecture peut remédier à cet
état de fait. Il suffit d’appliquer la formule d’Eisenstein pour le
cinéma : il compare le film à un accordéon qui se serre et s’étire, un
film qui parvient à faire durer quelques secondes très longtemps, et au
contraire à condenser des années, des siècles en quelques secondes.
L’architecte a le pouvoir de nuancer, de moduler. Ainsi les grands bâtiments
inhospitaliers peuvent-ils être rapetissés et, au contraire, une petite
construction peut-elle s’affirmer dans toute sa monumentalité…
d’a :
Pouvez-vous développer la notion d’échelle, qui semble très importante aussi
dans le projet urbain pour la place du Grand-Ouest à Massy que vous
avez réalisé avec Elizabeth, votre épouse ? Un quartier dans lequel vous
avez conçu un palais des congrès qui se fragmente pour apparaître moins grand
qu’il n’est réellement. Vous êtes-vous donné des règles pour y parvenir ?
L’échelle appartient au jargon de
l’Architecte. Viollet-le-Duc et Philippe Boudon ont su chacun la développer
dans des directions très différentes. Je n’aime finalement pas trop ce mot. Je
me souviens à l’École des beaux-arts de la remarque d’un enseignant qui me
disait que la niche doit être à l’échelle du chien. Je crois que tout ce que
j’ai pu faire par la suite conteste cette affirmation péremptoire. Je préfère
parler de cette faculté de l’architecture à transformer les perceptions des
dimensions dont nous venons de discuter.
En ce qui concerne le palais des
congrès, je ne voulais surtout pas d’un objet héroïque qui écrase le reste de
l’opération. J’ai voulu un bâtiment qui se subordonne à l’ordre de la rue.
Quant au quartier, il a été conçu avec Elizabeth et c’est ensemble que nous en
parlerons. Nous ne voulions pas de règles, simplement des workshops et un
dialogue permanent avec l’ensemble des intervenants – Julie Howard, Badia
Berger –, une composition à huit mains.
d’a :
La notion de sédimentation – d’épaisseur historique même – paraît
essentielle dans l’ensemble de vos projets urbains, sans jamais être traitée de
manière anecdotique…
Oui, j’ai toujours en tête de donner
la sensation du temps et de la stratification dans mes projets. Dans mon
travail d’urbaniste, je demande aux architectes de la créativité. J’ai tendance
à prendre leurs projets commedes objets trouvés que j’essaie par la suite de
tempérer et d’assembler. Comme dans ce projet pour Nice – qui ne sera pas
réalisé –, où j’ai assemblé des approches différentes : la mienne,
celle de Aires Mateus, MAD, Combarel et d’autres. Certains trouveront peut-être
que j’exagère, mais cette position tente d’apprivoiser l’inévitable capharnaüm
que nous connaissons depuis que notre système de production et nos aspirations
individualistes ne savent plus faire l’harmonie par la ressemblance et l’homogénéité.
Nous devons penser l’harmonie autrement. C’était le sens de ma phrase de
1989 : « La ville de demain tiendra plus du zoo avec chien, chat,
girafe, tigre… Elle sera bariolée. » Je préfère voir la ville en train de
se faire de cette manière – comme un montage surréaliste, qui intègre des
parapluies et des machines à coudre – que, comme dans certaines zones
récemment construites, un retour paroxystique à l’homogénéité prenant la forme
d’une répétition ennuyeuse de boîtes et de murs-rideaux.
d’a : L’îlot
ouvert – en gestation rue des Hautes-Formes, théorisé pour le projet
abandonné d’Atlanpole de Nantes et enfin mis en pratique dans la ZAC Masséna, Ã
Montpellier, à Chambéry, à Grenoble – semble s’adapter à des situations
très différentes. A-t-il évolué ? Si oui, comment ? Dans quelles
directions ? Il semble repris par d’autres urbanistes et s’imposer,
voyez-vous des alternatives à cette stratégie urbaine ?
Il a donné lieu à de multiples variations dans mon travail. C’est une sorte de méthode, d’outil qui a une pertinence d’époque. L’îlot ouvert est une manière de bâtir entre les rues en donnant à plusieurs programmes leurs autonomies, leurs jours, leurs adresses, sans les accoler en mitoyen. C’est une expression forte de la ville comme espace public. Il assemble la pluralité des individus, les bâtiments hétérogènes, singuliers. Il est ouvert à l’aléatoire. Les immeubles ne sont pas mitoyens, ils sont donc autonomes. Ils ont leur volume propre, leurs matériaux, leur hauteur. Pourtant la rue les assemble, par des portions de façades alignées. L’îlot ouvert se prête, si on le veut, à jouer avec des architectures diverses, devenant dans ce cas une méthode d’intégration qui transforme l’hétérogène en richesse.
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