Ici, maintenant mais d'ailleurs
Parmi les poncifs préférés des éditorialistes, l’éloge des bienfaits de la rencontre des cultures du monde est un des plus éculés. En guise de réaction, s’impose ensuite celui des menaces de la globalisation, instrument du nivellement des identités nationales. Reconnaissons qu’en architecture, il est de plus en plus difficile de déceler l’origine géographique des auteurs, les architectes semblant puiser dans le creuset d’une production médiatisée qui ne connaît plus de frontières.
C’est pourquoi la découverte du nouveau Louvre a été pour nous une heureuse surprise. À Lens, il fallait parvenir à mettre en scène un bâtiment digne de l’une des plus prestigieuses institutions muséales, mais sans écraser sous l’emphase le modeste et beau paysage de cité-jardin qui l’accueillait. Or dans le mouvement même avec lequel il s’offre à notre perception, le nouveau musée parvient à révéler et sublimer le paysage post-minier dans lequel il s’introduit. En s’effaçant comme objet architectural, il intensifie l’architecture d’un musée-paysage.
Nous avons fait l’hypothèse que l’art avec lequel le Louvre se dévoile ainsi sous le ciel de l’Artois s’apparente à une manière japonaise d’appréhender l’espace et que c’est justement cette qualité qui lui permet de magnifier un lieu qui lui était pourtant étranger. Rien cependant n’évoque littéralement une quelconque architecture nippone. Point de fusion ou de mélange multiculturel ici. À Lens, le projet des architectes relève davantage d’une pensée radicante (est radicante une plante qui fait pousser ses racines à mesure qu’elle avance), une attitude où la référence à la culture de l’origine s’efface devant la question de la destination – « où aller ?* »–, non pour oublier l’histoire mais pour échapper à un déterminisme fondé sur les oppositions binaires : passé/présent, étranger/local.
Si le Louvre veut échapper au modèle universaliste qui a été le sien depuis sa fondation et s’inscrire pleinement dans le XXIe siècle, l’architecture de SANAA pourrait bien lui montrer la voie sous les belles lumières de Lens.
Emmanuel Caille
* < darchitectures.com >.