Le siège d'Allianz à Paris |
Dossier réalisé par Olivier NAMIAS Devant l'indifférence, pour ne pas dire l'hostilité, du grand public à l'égard de l'architecture moderne, les architectes se retrouvent en première ligne dès qu'il s'agit de voler au secours d'un bâtiment que la destruction menace. Le lancement d'une pétition via Internet est une première étape, généralement franchie avec succès. Vient ensuite le temps plus long des procédures et des recours administratifs, qui voit la troupe des indignés d'hier se réduire à la portion congrue. Défendre un bâtiment en péril prend du temps : d'a vous propose une liste de combats en cours ou à venir, autant d'occasions d'investir à bon escient son énergie salvatrice. Faut-il préciser que la liste n'est pas exhaustive ? |
Internet sauvera-t-il l'architecture du xxe siècle en péril ? Pour Jean-François Cabestan, architecte et historien à l'Inha (Institut national de l'histoire de l'art), la Toile est un auxiliaire précieux pour lancer des pétitions et avertir des menaces pesant à un moment ou à un autre sur un bâtiment. Le cas de l'hôtel Lambert avait montré combien le Web pouvait être un outil utile et nécessaire. Mais jamais suffisant : souvent suscitées par l'annonce d'une démolition proche, les manifestations déclenchées dans le monde virtuel durent souvent le temps d'un feu de paille, observe Michel Huet, avocat spécialisé dans l'architecture et l'urbanisme. Le cas des Robin Hood Gardens à Londres, emblématique ensemble des Smithson, illustre malheureusement cette remarque. Soutenue par des personnalités éminentes du monde de l'architecture, appuyée par un journal d'architecture britannique, la campagne anti-démolition a perdu de son énergie et de sa visibilité, et il est aujourd'hui presque impossible de savoir si le bâtiment est détruit ou encore sur pied.
Après le feu de l'alerte, vient le temps d'un travail plus laborieux de suivi des dossiers et des procédures longues et coûteuses. La défense de l'hôtel Lambert aura coûté 25 000 euros à l'association qui l'avait prise en charge, rappelle Jean-François Cabestan. De plus, l'annonce d'une démolition est souvent bien tardive pour la mise en route de recours administratifs légaux, remarque encore Michel Huet. Si l'État avait pu classer d'office le bâtiment de la CAF de Paris (Holley et Lopez architectes, 1958) – mesure cassée en appel, qui démontrait un engagement de la puissance publique –, il se garde aujourd'hui d'intervenir, préférant ne pas interférer sur des sujets où la protection pourrait constituer une entrave économique. Plutôt que d'intervenir en catastrophe, la solution ne serait-elle pas de garder un œil vigilant sur les bâtiments dont on peut suspecter, pour une raison ou une autre, qu'ils seront menacés à terme, se demande Bernard Toulier, conservateur du patrimoine en charge du XXe siècle au ministère de la Culture. Une veille permettrait également aux défenseurs potentiels de se reconnaître et de se regrouper. Car il est rare que la destruction d'un bâtiment suscite un tollé unanime : en matière de patrimoine, les architectes partagent des sensibilités diverses et ne tombent pas forcément d'accord sur les objets à conserver ou à supprimer.
Le siège social et les laboratoires de la société Novartis (ex-Sandoz), Rueil-Malmaison
Le cadre idyllique du siège français de la société Sandoz, aujourd'hui Novartis, aurait de quoi faire rêver plus d'un investisseur de bureaux. Les 12 000 mètres carrés de locaux de l'entreprise pharmaceutique sont implantés dans le périmètre historique du domaine de la Malmaison, au sein de l'ancien parc de Richelieu. Le site était en principe inconstructible. L'implication de Zehrfuss, architecte en chef des Bâtiments civils et des Palais nationaux, fut décisive pour l'obtention des autorisations administratives nécessaires à la réalisation de cet ensemble que la Datar et le Comité de développement de la Région parisienne souhaitaient voir implanter en province.
Le projet fut conçu par une équipe franco-suisse, Zehrfuss en France et Martin Burckhardt à Bâle. Charlotte Perriand dessina l'auditorium en entier, quelques pièces du mobilier et participa à la conception du restaurant ; Jean Prouvé se chargea du dessin des façades et mis en œuvre avec la société CIMT un procédé initialement destiné à des wagons de chemin de fer.
Le bâtiment reflète à la fois les conceptions architecturales de la firme Sandoz – entreprise appartenant à une famille comptant aussi bien des industriels que des sculpteurs et qui avait l'habitude de faire travailler des architectes modernes comme Jean Tschumi – et les réflexions les plus avancées sur le programme tertiaire. Tout est absolument innovant : aussi bien les matériaux que les mises en œuvre de façade, les doubles vitrages maintenus par des joints en néoprène que le système de cloisonnement des bureaux. Le temps a apporté quelques changements à cet ensemble immobilier : une grille sépare désormais l'édifice et son parc de la rue, le mobilier Perriand a été démonté en grande partie. Mais des morceaux de bravoure subsistent, comme l'escalier d'honneur hélicoïdal, et les façades sont en bon état. Le bâtiment a eu la chance d'être bien entretenu. Ses extensions ont été réalisées par Werner Stutz, qui avait participé à la conception du projet initial en tant que membre de l'équipe de Burckhardt, en 1962.
Bien conservé, original et innovant, ainsi que l'a démontré une étude très documentée de Christine Desmoulins, spécialiste de l'œuvre de Zehrfuss, l'ensemble mériterait d'être conservé. Il figure d'ailleurs sur la liste des monuments historiques et protégés de la Ville de Rueil et ne pourrait être transformé ou démoli sans l'aval de l'architecte des Bâtiments de France. Il n'a cependant pas été inscrit par la Ville dans les PLU au titre de l'article 123-1-7 du code de l'urbanisme, qui le mettrait à l'abri de toute démolition.
Or aujourd'hui, Novartis souhaite regrouper ses activités sur un seul site et veut remplacer l'existant par une construction plus dense. L'intérêt de la firme pour l'architecture n'a pas disparu : Novartis a confié la réalisation de son campus de Bâle à l'agence Herzog et de Meuron. Il s'est déplacé de l'ancien vers le nouveau : le projet de futur siège est développé par Patrick Berger. Côté Ville de Rueil, la défense du patrimoine est mise en balance avec celle de l'emploi. La municipalité veut à tout prix maintenir l'entreprise sur son territoire, « garder à Rueil des fleurons de l'économie locale, comme Vinci et Novartis. […] enjeu majeur pour l'image de la ville, pour la vitalité de l'emploi et, bien entendu, pour la fiscalité locale. Si ces grands contributeurs aux impôts locaux nous quittent, le report se fera forcément sur les ménages rueillois, ce que nous ne pouvons pas accepter*. » Faute de pouvoir réaliser son projet, l'entreprise envisagerait son transfert hors de la commune. En temps de crise, l'argument économique porte. Visionner Domicile conjugal de François Truffaut, ou d'autres films qui ont utilisé le siège de Novartis comme décor, sera-t-il alors le seul moyen d'avoir un aperçu de cet ensemble emblématique ?
* Rueil Info, janvier 2011, n° 283.
Article paru dans le dossier d'a 215 : "Le patrimoine du XXe siècle au troisième millénaire"
Lisez la suite de cet article dans :
N° 215 - Mars 2013
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