Yves Marchand et Romain Meffre |
Ces deux « explorateurs urbains » traquent les espaces abandonnés dans
les aires industrielles ou dans les parcs des châteaux, réactualisant
une « esthétique de la ruine » autrefois chère aux architectes. Yves Marchand et Romain Meffre sont deux jeunes photographes formés à l'école de l'urbex ou exploration urbaine. Ce mouvement structuré par l'Internet1 regroupe une communauté
investissant les anfractuosités et les espaces vides de la ville : les
intérêts varient en fonction des différents protagonistes et peuvent
aller des carrières aux galeries techniques, en passant par les usines
abandonnées.
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Dans ces cercles, le rôle de la photographie est multiple : l'image sert à la fois de souvenir, de preuve – d'intrusion dans des lieux dont l'accès est réduit ou interdit – et enfin de document pur, sorte de recensement héroïque à la façon de la mission héliographique ou version empirique des campagnes photographiques du service de l'Inventaire des monuments historiques. L'aspect patrimonial prend ici une dimension plus ludique que scientifique : « Au départ, on prenait les bâtiments abandonnés comme un immense terrain de jeux, et nous nous rendions d'abord dans les bâtiments proches de chez nous », confient Yves Marchand et Romain Meffre. Le stock venant rapidement à s'amenuiser, ils étendent leurs investigations à l'ensemble de la Région parisienne : « l'île Seguin, le sanatorium d'Aincourt, mais aussi les châteaux abandonnés qui sont plus nombreux qu'on ne le pense en Île-de-France ». Au fur et à mesure des visites se dégage un projet photographique cohérent : « Nous trouvions que les photographies publiées sur les sites Internet dédiés à l'exploration urbaine faisaient trop catalogues : une pléthore de points de vue qui n'informaient pas forcément sur le bâtiment ; nous avons commencé à être beaucoup plus sélectifs, pour ne retenir que les images représentatives de l'ambiance du lieu. » Ils optent pour la photographie couleur, se reconnaissent des influences chez Robert Polidori mais aussi chez les Becher, « pour le côté inventaire et la révélation d'une beauté industrielle » bien que, à l'inverse du couple allemand, Marchand et Meffre montrent des intérieurs et n'utilisent pas que le noir et blanc.
Ces ruines, qui semblent immuables et intemporelles sur les photographies, ne sont qu'un état transitoire dans l'histoire d'un bâtiment : une phase que le boom de l'immobilier tend à raccourcir de plus en plus. Alors qu'ils sont engagés dans leur travail, ils voient disparaître nombre de bâtiments photographiés, happés par la spéculation (Seguin, les Grands Moulins de Pantin) ou le traitement réservé aux lieux portant la « souffrance du travail » (les usines sidérurgiques), détruits en France alors qu'en Allemagne ces sites sont promis à un avenir touristique radieux. « Il reste quelques sites magnifiques, mais pour combien de temps ? Seule une forte pollution préserve de la destruction la papeterie Darblay, créée au XIXe siècle à Corbeil. » Devant la raréfaction de leur matière première, ils élargissent leur cercle à la province et à l'étranger : la Wallonie, l'Italie et les États-Unis, « une terre de bâtiments industriels ». Ils réalisent actuellement un reportage sur le centre historique de Detroit, ancienne capitale de l'industrie automobile, vidée de plus de la moitié de ses habitants par la crise économique et l'étalement urbain.
Éloge de la ruine
La quête photographique du patrimoine n'est pas sans ambiguïté. Si Yves Marchand et Romain Meffre se félicitent de la sauvegarde des bâtiments qu'ils parcourent, ils admettent également qu'une fois réhabilités, les édifices perdent tout leur intérêt photographique. Le patrimoine abandonné sert surtout de prétexte à l'éloge de la ruine et à l'édification de celle-ci en objet esthétique, suivant la tradition picturale incarnée au XVIIIe siècle par Hubert Robert. Dans sa peinture, la ruine anticipait un futur de l'architecture, rappelait un âge d'or, suggérait des reconstitutions. Aux XXe et XXIe siècles, les continuateurs d'Hubert Robert ont troqué les pinceaux pour l'appareil photographique et la Rome antique pour des sites moins agrestes : Prypiat, ville abandonnée près de Tchernobyl (Robert Polidori), les égouts de Tokyo (Naoya Hatakeyama) ou de New York (Stanley Greenberg), pour ne citer que quelques exemples. Comme chez Yves Marchand et Romain Meffre, leur travail est une constante exposition de la ruine, un retour vers la ruine comme lieu des possibles. Une interrogation paradoxale du lieu aussi redondante chez les photographes qu'elle semble étrangère aux architectes d'aujourd'hui. À croire qu'au XXIe siècle, l'architecture ne vieillit jamais et qu'évoquer l'éventualité de sa décrépitude équivaut à enfreindre un nouveau tabou.
< www.marchandmeffre.com >
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