Xavier Dumoulin, derrière les lumières de la ville

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 07/11/2011

Extrait de la série "Le passager de la nuit"

Article paru dans d'A n°204

De la marche à la photographie, il n'y a qu'un pas. Ancien guide de montagne devenu photographe à plein temps depuis trois ans, Xavier Dumoulin s'interroge en images, comme beaucoup d'auteurs de sa génération, sur le rapport de l'homme à son environnement. Xavier Dumoulin devient photographe sur le tard, à trente-quatre ans, après une première vie vagabonde. 

Natif d'Argelès-Gazost, dans les Pyrénées, passionné de montagne, il a étudié en Écosse, parcouru les vallées indiennes, puis, muni d'un brevet "ad hoc", il a accompagné des groupes de touristes au Cap-Vert, dans les levadas de Madère, en Norvège… Â« Je voulais voyager, voir le monde Â», a pu dire Raymond Depardon, en expliquant les raisons qui l'ont poussé à devenir photographe.

D'autres souscriraient sans doute à ses propos : la photographie a offert à beaucoup de ses serviteurs le moyen de connaître des parties du globe qu'ils n'auraient jamais espéré approcher autrement. Xavier Dumoulin a fait le chemin inverse : s'il a toujours photographié et s'il possédait dès ses jeunes années un appareil photo, il a fait de la photographie son métier, lorsqu'il a posé ses bagages et est venu s'établir à Paris. Malgré ses multiples périples, il porte sur la ville le regard neuf de Tarzan visitant New York.

Après qu'un ami photographe, Fabien Gordon, lui a enseigné la loi des séries et la façon de rendre cohérent un travail photographique, il réalise son premier reportage relevant d'une démarche dite « photographique Â». « En arrivant à Paris, j'ai découvert ce qu'était une grande ville, les lignes et les volumes m'ont vraiment marqué, car leur pureté était fondamentalement différente de celle des paysages de montagne, beaucoup plus chaotique. Â» Très graphique, la série en noir et blanc décrit des paysages métropolitains rencontrés autour de la Défense, le canal Saint-Denis, Beaugrenelle. Elle sera complétée par des images qui réintroduisent l'humain dans ce décor, mais une présence qui se manifeste surtout par son ombre déformée.


L'image de l'absent

« Je trouve que la photographie permet de traiter des sujets de notre société. Je n'ai jamais réussi à m'engager dans un parti politique ou dans des associations, car ces structures me paraissaient trop pesantes, trop dirigistes. La photographie m'a donné la liberté de m'exprimer sans avoir de lignes directrices extérieures Â», déclare Dumoulin.

Après avoir été tenté un instant par la photographie de rue, « en référence à la photographie humaniste que l'on a tous en tête Â», c'est à travers le paysage qu'il interroge notre société. Une nouvelle série l'entraîne à la découverte de la banlieue parisienne. Une exploration urbaine qu'il mène davantage en glaneur qu'en explorateur systématique. « La photographie est toujours liée à l'intime : les images montrent la banlieue telle que je l'ai ressentie, le travail ne prétend pas donner une vision objective ou exhaustive de cet espace. J'aimerais qu'elles incitent le spectateur à se poser la question de la place de l'homme, qui est d'ailleurs le nom de la série. Â»

Les images sont vides de présence humaine, prises volontairement sous un temps gris, brumeux, une manière d'exprimer un sentiment d'angoisse que l'on pourra juger trop littéral. Le mystère qui en émane pourtant tient à l'émergence ponctuelle dans les premiers plans de fragments de terrains vagues, le sol originel si maltraité qui réinvite la nature dans un univers dont elle a été chassée.

Ses autres séries ne se comprennent d'ailleurs que dans ce rapport à l'absence. « Les Passagers de la nuit Â» renvoie à une iconographie popularisée par le pop art. On pense à Ed Ruscha, dans sa série « Twenty Six Gasoline Stations Â» ; ou hors du pop, à Hopper, lorsqu'on voit les stations-service esseulées, tristes oasis de lumière des bords d'autoroute. La série parle d'un voyageur dont la présence se manifeste par la traînée lumineuse laissée par les phares de son automobile. Le vrai sujet n'est pas visible sur l'image, même à l'état de trace : « Je voulais exprimer l'avancée des zones commerciales, la perte de la nuit étoilée. La moitié des Européens ne voient plus la nuit Â», affirme le photographe. Les astres sont engloutis par un noir d'encre, l'univers parcouru est celui des chaînes de restauration, d'enseignes d'accessoiristes automobiles.

Les images donnent une certaine beauté à ce territoire banal : n'y aurait-il pas là un paradoxe à montrer, pour ainsi dire sous son meilleur jour, ce que l'on veut dénoncer ? « L'esthétisme n'est pas l'ennemi du message Â», affirme Xavier Dumoulin, qui a continué dans sa série du « loup Â» à photographier l'absent : fermes ou arbres semblent ainsi émerger d'une nappe blanche. « La série est réalisée en Bourgogne, dans une zone où l'agriculture intensive et le remembrement ont produit des champs immenses, laissant le paysage à nu. Des fragments de forêt symbolisent les traces de la nature vouée à disparaître Â», termine le photographe. Dans les images de Xavier Dumoulin, l'essentiel est ce que l'on ne voit pas.


Lisez la suite de cet article dans : N° 204 - Novembre 2011

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