Thomas Weinberger |
Architecte repenti, ce jeune photographe allemand transforme la lumière des panoramas urbains pour y introduire subrepticement des éléments philosophiques, narratifs ou ironiques. Autant d’invitations à voyager au-delà du paysage. |
Chaque photographie de Thomas Weinberger se veut dialectique, puisqu’elle contient une thèse (une vue de jour), son antithèse (une vue de nuit), la synthèse étant l’image finale, mélange des vues diurne et nocturne d’un même lieu. Comme chez les Becher, la lumière est homogène, sans ombres ni contrastes violents. « J’ai voulu éliminer toute dramatisation apportée par l’éclairage », déclare cet architecte défroqué, qui installe son matériel les jours sans soleil, prend un premier cliché, puis patiente jusqu’à la nuit pour réaliser une seconde vue de la scène. Une confrontation avec le lieu qui peut durer huit heures, dans des situations plus ou moins enviables : le port de Lisbonne, un bord d’autoroute à Madrid, une gare de triage fréquentée par une population interlope… L’effort nécessaire pour obtenir cette lumière étrange, aux teintes multiples, une lumière telle que peuvent en produire de brusques changements météorologiques.
Cette quête est une forme de romantisme appliquée aux objets contemporains les plus incongrus, comme la raffinerie d’Ingolstadt, en Allemagne. « Avec ses lumières, ses tubes, la raffinerie est un objet à la fois merveilleux et monstrueux. Sous le ciel qui semble annoncer une tempête, elle apparaît soudain dérisoire et fragile. » Sur une autre vue, un panorama de Nice, le construit prend des dimensions telluriques habituellement associées à la nature, « l’éclairage électrique rend les rues plus claires que les îlots. L’illumination artificielle rappelle une coulée de magma qui apparaît sous des roches refroidies. » À l’arrière-plan, la ville se dissout dans la lumière.
Ces imaginaires, ces forces sous-jacentes, font le lien entre des photographies que Thomas Weinberger refuse d’organiser en séries : « je ne travaille pas par suites thématiques, je photographie des lieux parce qu’ils m’interpellent soudainement ». La Seherlebnis est l’expression allemande qui résume ce moment de cristallisation du regard où il devient impérieux pour le photographe de réaliser un cliché.
DES IMAGES À DÉCHIFFRER
Les photographies de Thomas Weinberger sont nourries de références artistiques, architecturales, philosophiques ou de celles, plus prosaïques, empruntées au monde des objets, convoquées tour à tour ou simultanément. La densité de propos n’est jamais pesante grâce à une dimension ironique ou à une certaine immédiateté du regard, la polysémie propre aux images introduisant des niveaux de sens qui échappent aussi à leur auteur et n’appartiennent qu’au regardeur.
Malgré cela, quelques clés permettent de mieux cerner les intentions de Thomas Weinberger. La dimension la plus simple est la transformation de certaines scènes en maquette : la photographie devient la représentation d’une représentation par le truchement de l’image, qui rend le réel artificiel. « Lors d’une exposition dans laquelle je présentais une image de la gare de triage de Munich, des spectateurs se sont mis à discuter durant plusieurs minutes pour savoir si la vue était réelle. Les lampadaires, les couleurs de l’herbe faisaient penser au matériel de modélisme fabriqué par une société allemande très célèbre dans le monde du petit train électrique. »
On sent que ce décalage, soulignant l’aspect ridicule de ce monde de Playmobil, n’est pas pour déplaire au photographe, qui s’inspire également d’expressions familières allemandes que l’on retrouve dans les titres de ces images : « L’angle (de la rue) – um die Ecke –, nom d’une image qui représente la quintessence des allées de parc urbain, est le lieu où l’on se fait estourbir, selon un dicton allemand. C’est aussi un endroit dont on se demande ce qui va en surgir, quelle rencontre vous allez faire. » Autre expression mise en image : Grass darüber wachsen lassen – laissons pousser l’herbe dessus –, illustrée par une digue sur laquelle poussent des herbes folles. « C’est une expression qui décrit une attitude possible devant des problèmes non réglés : laisser la végétation la recouvrir, la masquer. Cela évoque pour moi les questions liées à la Seconde Guerre mondiale en Allemagne. » À chacun d’imaginer ce qui se cache sous les monticules de terre, ou de retrouver dans d’autres images la version moderne du Golgotha, des contes d’enfants, etc.
À l’occasion, Thomas Weinberger joue également sur le sens téléologique de l’image : la juxtaposition des éléments donne le sens d’une destinée. « Marina Dubaï » est ainsi l’équivalent de la célèbre photographie « Bethlehem, Pennsylvanie » prise en 1936 par Walker Evans. « Dubaï m’est apparu comme un univers absurde, avec ses gratte-ciel “démocratiques” construits selon la grille urbaine, opposés aux deux tours représentant les fils du cheikh. » Au premier plan de cette image, une fosse sombre : la tombe destinée à ces deux géants, à l’effigie des fils du cheikh que l’on s’apprête à abattre en catimini, comme deux vulgaires malfrats ?
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