Liévin (Pas-de-Calais), juin 2017, chevalements de la fosse no1 et de la fosse no3 depuis la zone commerciale |
Thierry Girard arpente le bassin minier depuis près de quarante ans.
Après une résidence d’artiste à la Cité des électriciens, présentée dans ce
numéro, il a rassemblé dans une exposition et dans un livre des images saisies
entre 1980 et 1983 avec les plus récentes. Moins qu’une comparaison entre
l’hier et l’aujourd’hui, son travail rend compte avec acuité du passage d’une
ère à une autre, dans ce pays éprouvé par l’abandon de l’extraction minière. |
Certaines images demandent à être
déchiffrées aussi longuement qu’elles résultent d’un travail de patience, d’une
observation prolongée. Elles exposent un état des choses auquel nous ne sommes
plus attentifs, tant il paraît normal simplement parce qu’il est ce qu’il est.
Comme si le regard avait abandonné sa faculté à comprendre autant qu’à saisir,
par la force de l’habitude, par paresse, par lassitude, par ignorance. De
telles images sont nécessaires, pour réveiller l’esprit avec le regard, pour
s’étonner, pour se questionner. Elles secouent, comme pour dire « voyez où vous
êtes, dans quel monde nous sommes! » Elles ne trichent pas, elles dévoilent,
elles révèlent. Elles instruisent, comme on instruit un procès. Cependant elles
ne jugent pas. Elles ne font appel à aucun ressort fallacieux, elles se
contentent de montrer. À vous de les regarder, de vous interroger, d’en tirer
les éléments pour réfléchir à ce qui est comme il est.
NOIR & BLANC
Extérieur jour, plan large. Ce
sont des paysages de l’ordinaire dans des territoires extraordinaires.
Territoires qui furent façonnés, comme partout, par l’économie, entendue comme
la manière de vivre et de subsister dans un oikos donné, c’est-à -dire dans une
société organisée autour et par la production dans des lieux qui, à la fois,
résultent de cette économie et la modèlent. Il y eut ici, dans le Nord, une
économie rurale, jamais disparue. Elle a organisé et formé les territoires,
jusqu’aux moments où l’extraction minière les a bouleversés pour imposer les
lois de la première révolution industrielle. Si grand les profits, si impérieux
les besoins qu’ils ont imposé leur joug aux hommes et aux choses. Pour les
hommes, voir Germinal (Zola) et Le Capital (Marx). Pour les territoires :
revenir aux images d’archives. Elles sont en noir et blanc, comme l’était ce
pays de charbon, ponctué par les carreaux, hérissé de chevalements, marqué par
les terrils, occupé par les corons. Une économie unique, exprimée par sa
hiérarchie sociale – mineurs, porions, ingénieurs, patrons – et spatiale. Et
tout cela dévasté par les conflits mondiaux – si puissant l’enjeu que
représentaient les ressources énergétiques –, et tout cela reconstruit sur les
mêmes règles et dans le même ordre. Noires et blanches encore les premières images
de Thierry Girard, prises vint ans après que l’État, qui avait nationalisé les
charbonnages après la Seconde Guerre mondiale, avait décidé d’en arrêter
l’exploitation dont la rentabilité chutait. Laissant sur le carreau –
métaphoriquement et matériellement – les gens et les choses. Les photographies
témoignent de cet état-là . Tout est stoppé, organisé en fonction de raisons
disparues, tout paraît déjà trace, vestige, dans un état d’abandon et de
misère. Mauvais sort.
COULEURS
La vie continue. Le pays reprend
des couleurs. Les fonds européens de développement régional (Feder)
représentent une manne destinée à l’origine à le tirer de la mauvaise passe.
Ils sont utilisés pour le « moderniser », c’est-à -dire à développer les
infrastructures routières – au bénéfice des entreprises de travaux publics.
Vient ainsi le temps des ronds-points, des zones commerciales, des
lotissements. Car l’économie est maintenant purement consumériste. Elle draine
avec elle sa sous-culture publicitaire – réclames et panneaux –, ses objets
jetables, obsolètes sitôt qu’ils sont utilisés – pour peu qu’ils soient utiles
–, ses boîtes bardées éparpillées sur le territoire, ses zones de loisir, ses
pavillons, ses bagnoles, sa mocheté. Le reste, le vieux, le fané, l’abandonné,
n’en finit pas de mourir. Boutiques fermées, façades aveuglées, chaussées
défoncées, friches laissées comme des ordures, maisons rongées. Demeurent les
terrils, les fosses, les chevalements, les carreaux, les corons. Les premiers
sont convertis en parcs d’attractions (du ski sur les pentes, de la natation
dans les lacs qui ont noyé les trous), les autres abattus ou patrimonialisés,
les derniers déconsidérés. C’est cette transformation que documente avec force
le travail de Thierry Girard. Pas de nostalgie chez lui. Comment pourrait-il y
en avoir? Pas de complaisance non plus. Une très grande justesse, à rendre
compte à la fois de ces bouleversements, de leur origine et de leurs résultats
dans des images qui les concentrent. Avec la même intensité que les tableaux de
l’âge d’or de la peinture flamande, qui ramassent et condensent un temps. Mais
ici, c’est le nôtre, souvent clinquant, et pas forcément reluisant.
Photographe et marcheur, Samuel Hoppe quitte régulièrement sa librairie parisienne (la bien nommé… [...] |
Giaime Meloni découvre la photographie pendant ses études d’architecture à l’université de C… [...] |
Alors même que l’intelligence artificielle inquiète le monde de l’image en fragilisant la noti… [...] |
Si les terres fermes ont été presque entièrement explorées et représentées, ce n’est pas l… [...] |
Délicate et profonde, l’œuvre de Sandrine Marc couvre tout le processus photographique, de lâ€â€¦ [...] |
En 2001, le peintre anglais David Hockney publiait un ouvrage consacré à l’usage des appareils … [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |