Tadashi Ono |
Après l’enchaînement de catastrophes de septembre 2011 – séisme, tsunami, accident nucléaire –, le gouvernement japonais a entrepris la construction d’une muraille destinée à protéger ses côtes nord d’éventuels tsunamis. Ce mur contre le Pacifique s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres, mesure jusqu’à une quinzaine mètres de haut et engage plusieurs milliards d’euros. L’artiste Tadashi Ono en a parcouru le chantier et mesuré l’impact.
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Bien plus que la dénonciation d’une entreprise probablement inutile (les puissantes digues de Taro furent balayées par les vagues en 2011), certainement juteuse pour le BTP nippon (dont les accointances avec les yakuzas ont été longtemps avérées), Tadashi Ono s’est saisi des conséquences culturelles et écologiques de cette entreprise. Il s’est emparé de l’arme de la représentation, pas seulement pour désigner ou pour documenter un bouleversement qui reste étrangement en dehors des champs de la parole et du regard de la société japonaise – sans doute parce qu’elle ne concerne qu’une frange négligée des populations septentrionales.
Cette arme, il s’y était déjà essayé dès 2011, lorsqu’il avait parcouru huit mois durant, peu après la catastrophe, les côtes des provinces de Iwate, Miyagi et Fukushima – dans la région de Tohoku. Il s’était alors agi pour lui de se soustraire au spectacle des ruines, trop facilement photogénique, pour rendre compte d’un désastre accompli, nouvelle réalité à laquelle il fallait désormais se résoudre. Cette série, intitulée From the 247th to 341st day, Tohoku, dressait ainsi un état de fait des paysages ravagés. Elle visait encore à dépasser la sidération, à éviter la déploration, sans y échapper cependant, si forte était la désolation.
La nouvelle série des Motifs côtiers est un retour sur les lieux, six ans plus tard. Si elle expose un projet qui mérite pour le moins d’être questionné dans ses fondements et son utilité, elle permet de vérifier à quel point Tadashi Ono a affûté sa pratique. Qu’en est-il du paysage, après que cette construction est advenue ? Que dessine-t-il pour les vies qui s’y déroulent ? Comment vont-elles composer avec lui ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de s’en poser d’autres : comment le représenter, comment se le représenter ? À quels modes antérieurs de représentations se référer pour y arriver ? Pareilles préoccupations ne sont ni purement esthétiques, ni même oiseuses : les architectes devraient bien savoir à quel point tout projet procède de représentation. Il est des artistes qui font de la représentation leur projet, et parfois l’objet de leur projet.
SUR LE MOTIF
Aussi invoquer le « motif » dans le titre de la série est tout sauf anodin. Peindre sur le motif fut un moment important de l’histoire de la peinture européenne. C’était quitter l’atelier, s’opposer à l’académie, refuser ou réfuter le monde spéculatif, ou simplement s’en écarter, pour lui préférer la réalité – l’infinie, la coriace, la mouvante, la triviale réalité. Il y avait des antécédents, avec la peinture de paysage, qui a du reste fini par donner sens à ce mot : la notion de paysage est assise sur l’idée d’une représentation. Tadashi Ono invoque Hubert Robert, Canaletto, Paul Cézanne : il s’inscrit ainsi dans cette histoire.
Mais il est aussi japonais. Difficile de ne pas penser, avec ses vues côtières, aux 53 étapes de la route du Tokaido telles que les a données Utagawa Hiroshige dans la première moitié du XIXe siècle. Dans la très grande majorité de ses estampes, la mer est présente : elle appartient au monde, au même titre que la terre et que le ciel. Et l’image se compose autour de leur intrication, dans laquelle s’insèrent les personnages dont la vie, les mouvements et les occupations dépendent des éléments et de leurs rapports. Le génie de Hiroshige est d’adopter un point de vue qui les embrasse tous : il se place à distance, sans que l’on puisse le situer exactement.
Le point de vue de Tadashi Ono s’exprime par une semblable position du regard. Sinon que ses images décrivent une rupture et disent ainsi muettement qu’avec cet ouvrage c’est l’économie de la vie qui est rompue. Un mur est fermeture. Ici, fracture : il ne sépare pas, comme d’autres, la terre en deux côtés. Il dissocie les éléments qui procèdent pourtant l’un de l’autre, brise leur équilibre, interdit leurs échanges. Le mur ferme chaque baie de la côte. Chacune a été creusée par un petit fleuve côtier : c’est l’orographie elle-même qui est contrariée, alors que se dessine cette nouvelle géographie.
Il faut encore penser au texte fondateur du land artiste américain Robert Smithson, Passaic a-t-elle remplacé Rome en tant que Ville éternelle ? Parcourant en 1967 les rives de la rivière Passaic bouleversées par le chantier d’une autoroute, celui-ci parlait de « panorama zéro qui semblait contenir des ruines à l’envers, tout ce qui pourrait éventuellement y être construit », et poursuivait : « à l’opposé de la “ruine romantique” les bâtiments n’y tombent pas en ruine après avoir été édifiés, mais plutôt s’élèvent en ruine avant même d’être construits. » Dans le langage politique contemporain, on ne parle plus de destruction, mais de déconstruction. En vrai, construire peut vouloir dire détruire, et montrer, édifier.
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