Sébastien Godret |
Fantaisistes, grandiloquentes, monumentales, les villas dubaïotes photographiées par Sébastien Godret parlent d’une société complexe, faite d’échanges interculturels et d’additions de mondes. La maison reflète la société, dit le photographe, qui s’intéresse aussi aux McMansions américaines et, par extension, à toutes les maisons de la planète. |
La notice biographique de l’ouvrage Dubaï Villa présente Sébastien Godret comme un auteur multisupport. Un néologisme qui permet de mieux cerner ce photographe autodidacte, également commissaire et producteur d’exposition, pour qui l’image est un outil illustrant un propos sur l’urbanisme, la société, etc. Le terme « illustration » n’est pas péjoratif : le langage visuel est une porte d’entrée vers des problématiques plus larges et, par son étrangeté, développe un discours en soi. Du côté des influences, Godret cite Robert Frank, William Eggleston et l’école américaine. En tant que commissaire d’exposition, il a travaillé sur le thème de la ville chinoise (MegaCity in China), la ville écologique ou la ville africaine. C’est au cours d’une visite préparatoire à l’exposition « Emirates City » qu’il découvre Dubaï et conçoit avec l’architecte Cyril Brulé la série « Dubaï Villas », diffusée sous forme d’un livre à paraître prochainement1. Les tours mirifiques ou grotesques de l’Émirat n’ont plus de secrets pour l’Occidental, tant elles ont attiré l’attention des gazettes. Godret et Brûlé se sont intéressés à un objet jusqu’alors passé inaperçu, le Dubaï low-rise des villas privées. « Parcourant la ville de long en large, nous avons vu cette architecture internationale, de monuments, centres commerciaux, marinas, ces architectures que l’on retrouve partout dans le monde et qui, malgré leurs spécificités, restent internationales. Les maisons nous ont semblé plus intéressantes, même si on peut les retrouver dans les villes du Maghreb ». Sébastien Godret se rappelle de leur style particulier lorsqu’enfant, au Louvre, visitant les salles dédiées à l’architecture perse, il percevait les emprunts aux architectures grecques, mésopotamiennes et même asiatiques. « Les villas dubaïotes que nous avons photographiées, dit-il, présentent ces collages et ses collisions culturelles. »
Élucubrations pavillonnaires
La frange supérieure de la population dubaïote vit dans des palais trop grands pour rester visibles de la rue. La série se concentre sur les villas de la classe moyenne, les plus photogéniques. Elles sont occupées à 98 % par des Émiriens, qui ne représentent pourtant que 15 % de la population totale de Dubaï, peuplé de consultants occidentaux, d’employés de maison, d’ouvriers indiens... Les architectes des villas sont principalement libanais. « Le pays n’a pas de tradition architecturale. Les architectes mélangent les styles californiens, européens, iraniens... Ce syncrétisme définit très rapidement une grammaire formelle éclectique, rappelant que, en dépit des stéréotypes contemporains, Dubaï a toujours été une ville carrefour, un maillon important entre l’Asie et le monde arabe, et qu’elle continue de jouer ce rôle aujourd’hui. » Les « Dubaï villas » évoquent les maisons de rêve construites au Portugal sur le modèle du pavillon de banlieue français2, ou les problématiques d’échanges culturels de l’exposition « Trajets », présentée au CCA en 20103. Parmi les objets architecturaux, la maison s’y montre particulièrement perméable aux référents culturels variés et contradictoires. Elle sert donc particulièrement bien le projet de Stéphane Godret, qui, au-delà de l’anecdote, tente d’interroger la société à travers son architecture.
Cyril Brulé dresse l’inventaire de la villa made in Dubai : « Pavillons à la Mansart vert pistache, manoirs élisabéthains, cottage Tudor, rêves de Windsor ou de Bavière, en plus petit. Châteaux forts syriens, en pierre agrafée – temples égyptiens – vallée des Rois, par Walt Disney (...) Mallet-Stevens à Miami – Le Corbusier sous Tranxene – outrances puristes – minimalisme télévisé. Auvents façon $Star Trek$ – Richard Meier en plastique – verrières $Guerre des étoiles$ en version bleutées, climatisées. » Il y a tout ça dans les rues vides des quartiers résidentiels de Dubaï, et plus encore car la liste n’est pas exhaustive. Certaines évoquent étrangement la villa de feu Ben Laden à Abbottabad : enceintes aveugles sur une sphère privée difficilement accessible à l’étranger.
Sébastien Godret ne collectionne pas que les maisons émiriennes. Il a dernièrement photographié les villas américaines, affublées du sobriquet de « McMansion » en raison de leur taille et de leur style. Par jeu de miroirs, la contemplation de ces villas d’ailleurs nous aidera-t-elle à décrypter les présupposés qui façonnent les habitats individuels ici ?
1. $Dubaï Villas$, Sébastien Godret, Cyril Brulé, Brigitte Dumortier, à paraître aux éditions Silvana Editoriale. L’ouvrage contient une description des intérieurs de ces villas, très difficiles d’accès aux étrangers, par Brigitte Dumortier, géographe installée à Dubaï depuis les années 1980.
2. $Cf. Maisons de rêve au Portugal,$ Roselyne de Villanova, Carolina Leite, Isabel Raposo, éditions Créaphis, Grâne, 2002.
3. « Trajets : comment la mobilité des fruits, des idées et des architectures recompose notre environnement », CCA, Giovanna Borasi commissaire d’exposition, 2010.
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