Retour à l’ordre: l'îlot A3 à Lyon Confluence

Architecte : Herzog & de Meuron et alii
Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 22/06/2018

Retournons à Lyon à l’occasion de l’inauguration en mai dernier de l’îlot A3, l’opération pilote de la seconde phase de la Confluence, conçue par Herzog & de Meuron. Un projet urbain dans lequel s’élève leur tour de logements de 16 Ã©tages ainsi que la première réalisation française de Christian Kerez.

 

La Confluence, cette pointe sauvage prisonnière de la Saône et du Rhône, où au-delà la gare la ville de Lyon avait jeté tout ce dont elle ne voulait pas : ses prisons, son port, ses prostituées, son autoroute. Un premier projet dessiné par le barcelonais Oriol Bohigas dans les années 1990 prévoyait la reconquête de ce territoire relégué, mais à proximité immédiate du centre historique. Un plan directeur qui sera seulement poursuivi la décennie suivante quand, dès son élection, le maire bâtisseur Gérard Collomb mandatera l’urbaniste François Grether et le paysagiste Michel Desvigne pour une première phase concernant le réaménagement des berges de la Saône. Un urbanisme néo-écolo qui a permis notamment au nord d’une nouvelle darse – la place Nautique â€“ de lancer des alignements de hauts immeubles où les architectes ont pu laisser libre cours à leur volonté de formes, de matières, de couleurs.

Fin de la récréation en 2009, quand Herzog & de Meuron sont appelés, toujours avec Michel Desvigne, pour penser la seconde phase et la zone qui s’étend cette fois le long du Rhône. Ici, sur l’ancien marché de gros, où subsisteront çà et là des halles réhabilitées, une trame hippodamienne viendra scarifier le sol jusqu’à la grande diagonale au sud. Un axe qui, par le lancement de nouveaux ponts, arrimera solidement ce territoire enclavé aux autres rives. Et au-delà de cette ligne : le Champ, un espace naturel qui s’étendra jusqu’à la jonction du Rhône et de son affluent. Quant à l’autoroute qui borde le fleuve, elle attendra sereinement son déclassement qui fera d’elle un nouveau boulevard urbain.

Les constructions de la zone sont désormais soumises à quelques règles simples et de bon sens : alignements sur rue, hauteurs n’excédant pas la largeur des voies. Elles doivent, de plus, posséder des enveloppes rectangulaires systématiques, éviter les saillis et n’employer que des couleurs correspondant à des matériaux minéraux ou décliner l’enduit blanc camaïeu des immeubles de la ville du XIXe siècle. Ces blocs ne doivent pas se toucher, mais ménager entre eux des passages – des venelles étroites de parfois seulement 4 mètres de large â€“ pour permettre les traversées et l’accès aux cours plantées. Enfin les logements sont contraints de bénéficier chaque jour de l’année d’au moins deux heures d’ensoleillement.

 

POROSITÉ

Chaque îlot aura son promoteur et sera coordonné par un architecte mandataire qui y construira aussi un ou plusieurs immeubles : ainsi, pour le B2, ce seront Ogic et Diener & Diener avec Clément Vergély ; pour le A1/A2, Bouygues et David Chipperfield. Mais pour le A3 financé par Icade et construit par Léon Grosse, l’îlot destiné à donner l’impulsion originelle à cette vaste opération, ce seront Jacques Herzog et Pierre de Meuron eux-mêmes, accompagnés de Christine Binswanger, partenaire historique de l’agence.

Pour chaque opération, le mandataire propose une liste d’architectes compatibles avec le promoteur et la Société publique locale (SPL), qui passent ensuite devant un jury de sélection. Des workshops permettent une collaboration étroite entre tous ces intervenants. Une méthodologie assez proche de celle de l’îlot ouvert instaurée par Christian de Portzamparc, bien que les résultats soient très sensiblement différents. D’un côté, il s’agit de parvenir à des voies scandées de vides et de pleins qui opèrent une synthèse entre la continuité urbaine de l’urbanisme classique et les objets eucharistiques du mouvement moderne. De l’autre, c’est plutôt un retour à des îlots compacts et homogènes mais extrêmement poreux qui invitent la ville à se ramifier et à se poursuivre dans leurs cours.

Les intervenants de l’îlot A3 forment ainsi une équipe cohérente, à la fois exotique et ancrée dans le contexte local. S’y côtoient Tatiana Bilbao, une bouillonnante Mexicaine, qui réalise trois immeubles de logement capables de borner l’opération notamment sur l’esplanade François-Mitterrand et, AFAA, une agence lyonnaise aux nombreuses références. Elle s’occupe du socle parking et de deux immeubles, l’un de logement et l’autre de bureaux, qui savent assurer les continuités avec l’existant.

Dans cet incubateur peuvent maintenant se déployer les bâtiments remarquables des Suisses Herzog & de Meuron, de Christian Kerez – sur lesquels nous allons revenir â€“ et du jeune Bâlois Manuel Herz qui réalise un insolent petit immeuble à gradins introduisant une certaine mixité typologique et programmatique. Des équipements de proximité se glissent dans son socle tandis que des bandes de duplex viennent en occuper les deux étages. Enfin, la halle aux fleurs réhabilitée en équipement sportif par l’atelier Didier Dalmas, qui permet l’introduction d’une autre échelle.

Toutes ses constructions sont remarquables par leur simplicité mais surtout par la tension visible entre façades et organisations internes, qui leur accorde à la fois une complexité et une profondeur. Ainsi l’immeuble massif et énigmatique de Tatiana Bilbao et ses demi-niveaux à peine perceptible en façade, qui sait se proposer comme une architecture introvertie en contrepoint de la haute tour. De même ses immeubles sur l’esplanade dont les angles sont adoucis par des courbes d’où s’ouvrent des fenêtres, tandis que les façades arrière, orientées au nord, sont généreusement creusées par les amples volées des escaliers ouverts sur le jardin. Ou encore l’immeuble de logement d’AFAA sur le cours Charlemagne, découpé de loggias double hauteur, qui affirme sa verticalité pour mieux initier à l’architecture horizontale de Christian Kerez.

 

COLONNES

Christian Kerez

On se souviendra des dernières maquettes extravagantes de cet architecte qui a très peu construit mais qui reste une véritable légende vivante. Notamment en 2008, le siège social de Swiss Re à Zurich, dont les dalles étaient uniquement portées par les masses obliques des escaliers encloisonnés et des cages d’ascenseur ainsi que par un système de tirants qui permettaient le rééquilibrage des charges. Ou encore du projet de 2011 pour une tour à Zhengzhou, où les poteaux se faisaient de plus en plus rares en montant tandis que le contreventement extérieur était assuré par quatre jupes de câbles superposées de plus en plus larges et de plus en plus fournies en descendant. Un dispositif qui donnait l’image hallucinante d’une forêt impénétrable à la base et d’un horizon ouvert de toutes parts au sommet.

Bien que dans un registre beaucoup plus introverti et banal – une réflexion sur la structure poteau/dalle â€“ nous ne sommes pas si loin, à Lyon, de ce dernier projet. Comme Christian Kerez nous l’expliquait lui-même dans l’entretien paru dans le numéro 262, les éléments porteurs en béton de cet immeuble de bureau, rigoureusement inscrits dans une trame orthonormée, condensent dans leurs dimensions et leur matérialité toute l’expressivité architecturale. Rugueux et lourds dans les parties basses, ils s’affinent et s’allègent en montant pour ressembler à des tubes de métal. Une structure parfaitement visible de l’extérieur grâce au retrait de la façade qui se glisse derrière les alignements de piles superposées. Tandis que les ascenseurs et les escaliers de secours qui dépendent de l’organisation du parking conçu par AAFA permettent le contreventement et l’ancrage du projet dans ce contexte invisible.

Autre élément important : la ventilation et les réseaux s’immiscent dans les planchers techniques et non en faux plafond. De manière à libérer les sous-faces des dalles, qui restent brutes de décoffrage. Seules s’y encastrent graphiquement les bandes des panneaux acoustiques et les trames des spots pour dessiner les vraies façades du bâtiment.

Sur les différents plateaux de travail, vous ressentirez une impression d’ouverture aux possibles, une horizontalité océanique déterminée par la ligne des allèges à hauteur des tables. Avec l’impression rassurante de voir au-delà des bandeaux vitrés la structure porteuse se poursuivre comme pour mieux vous protéger.

 

LUMIÈRE

Herzog et de Meuron

Projet complexe que cette tour qui s’avance effrontément au centre de l’îlot pour libérer un parvis sur la rue Smith. Elle semble s’inscrire simultanément dans plusieurs contextes. Celui de Lyon, avec sa trame de fenêtres régulières et sa peau blanche, mais aussi celui de la propre production de l’agence en matière de logement. On se rappellera du bloc cubique cantonné de quatre cylindres construit en 2015 par la même équipe dans le parc de Zellweger, une ancienne friche industrielle proche de Zurich reconvertie en ensemble résidentiel. Un curieux château fort dont chacun des quatre appartements par étage possédait un accès direct au sol par l’un des escaliers placés dans les angles arrondis.

Dispositif presque similaire ici pour cet immeuble de 16 Ã©tages dont des tourelles renforcent les angles, mais dont seuls les appartements les moins bien orientés des cinq premiers niveaux auront directement accès au jardin protégé par un escalier extérieur. Pour les autres, les angles seront uniquement occupés par de profondes loggias qui donnent le ton. Tout, en effet, s’organise en fonction de la vue et de la lumière. Même dans les duplex de l’attique, les escaliers descendant des chambres couperont le séjour, comme irrépressiblement attirés par la clarté émanant des percements sur la ville. Une organisation centrifuge et héliotrope qui sait cependant se tempérer. Ainsi, regardez le plan : l’épaisseur variable des parois extérieures semble travaillée par deux lignes contradictoires. La ligne extérieure qui ouvre les appartements sur le paysage et la ligne intérieure qui cherche à préserver leur intimité : ainsi une courbe ferme-t-elle l’espace du séjour et l’empêche de s’épancher sur la loggia. Une dimension schizophrénique que l’on retrouve chez Borromini quand l’enveloppe externe se détache de l’enveloppe interne, comme à Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines.

Quant aux fenêtres, elles s’émancipent de la masse de l’édifice pour prolonger l’espace interne au-delà des limites du bâtiment. Leurs stores obliques, dont les enrouleurs sont placés à l’extérieur, sont guidés par des cadres métalliques aux joues triangulaires de manière à former, une fois fermés, des écailles blanches parfaitement planes qui permettent, de l’intérieur, aux pièces de sembler plus grandes.

Un projet curieux qui semble traverser toutes les strates de l’histoire de l’architecture en embrassant les tours des châteaux forts, les courbes des églises baroques et les trames d’Hilberseimer. Comme pour accorder une dimension mémorielle à cette zone sans passé et seulement tirée des eaux au début du XIXe siècle.



Pour tout l’îlot ÃŽlot A3 :

[ Maître d’ouvrage : Icade Promotion – Masterplan Lyon Confluence : Herzog et de Meuron – Architectes d’îlot : Herzog et de Meuron – Project management (phases APD et PRO) : MN2A, Paris, Pascale Wiscart – Paysagiste : MDP Michel Desvigne – Entreprise générale : Léon Grosse, Bron – Surface îlot : 7 763 m2 – COS îlot : 3,6 ; COS quartier : 1,8 – Programme : 2 immeubles de bureaux, 2 résidences incluant 140 appartements, 4 logements sociaux incluant 95 appartements, 135 places de parking ]

 

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Bureaux

[ Maître d’œuvre : Christian Kerez Zürich AG – Équipe de projet : Catherine Dumont d’Ayot, W. Schührer, L. Haag, H. Killer, M. Kugelmeier, J. Rauber, F. Rossi, L. Dumont d’Ayot, G. Masiello, M. Montresor, D.-L. Ruggiero, N. Weiss – Architectes d’opération : AFAA, Lyon, P. Audart, M. Favaro, A.-S. Rigal – Ingénieur structure : BATISERF, MO exécution Iliade Ingénierie, Caluire, Jocelyn Cartet – Standard environnemental : WWF-One Planet Living – Surface : 6 600 m2 – Coût HT : 10,2 millions d’euros – Calendrier : projet, 2013-2015 ; livraison, 2018 ]

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Tour de logement

[ Maître d’œuvre : Jacques Herzog, Pierre de Meuron, Christine Binswanger ; équipe : C.Röttinger (Associé, Directeur Projet), E. Guilloux (Manager projet), C. Gamet (Manager Projet), D. Camus, C. Eckert, S. Inoue, S. Jimenez, A. Meinnel, A. Nürnberger (associée), R. Pequin – Architectes exécutifs : AFAA, Lyon – PSO Ingénieurie, Serrieres, France – ELAN, Limonest, France – BET Structure : Batiserf, Fontaine, France – Artelia, La Plaine Saint Denis – BET Façade : EPPAG, Münchenstein, Suisse — Surface SHOB : 5 751 m2 (pour 5 654 m2 programmé, delta = +97 m2) ; SHAB logement : 4 964 m2 (pour 4 575 m2 programmé, delta = +38,9 m2) ; SHAB boutiques : 249 m2 (pour 317 m2 programmé, delta = -68 m2) – Programme : 72 appartements (23 de 45 m2 – 28 de 70 m2 – 20 de 90 m2) ]


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