Architecte : David Chipperfield Architects Berlin, avec BRS Architectes ingénieurs et CALQ – Paysagiste : Michel Desvigne Rédigé par Richard SCOFFIER Publié le 04/09/2022 |
La réhabilitation de l’ancienne préfecture de Paris vient de s’achever et porte désormais, après « Mixité Capitale », le doux nom de « la Félicité »... Une opération qui consistait à vendre des terrains ou des équipements publics aux promoteurs privés, entourés d’équipes pluridisciplinaires, présentant les projets clés en main les plus pertinents.
La cité administrative située boulevard Morland à Paris reste une œuvre maudite d’Albert Laprade. Commencée en 1956 et terminée en 1966, elle aura été un véritable cauchemar pour son architecte né en 1883 : programme fluctuant, démultiplication des études, intervention du préfet imposant trois niveaux supplémentaires au corps central, avis défavorable de la commission des monuments historiques, faillite de l’entreprise au cours du chantier, polémique dans la presse, détachement des plaques du revêtement de pierre... Cette tour de 16 étages encastrée entre deux ailes plus basses ouvrant au nord sur une esplanade disproportionnée était bien connue des architectes qui allaient y déposer leurs permis de construire. Ses hautes piles verticales scandant militairement ses façades et son plan en H pouvaient l’apparenter aux tours staliniennes de Moscou et lui conféraient un aspect autoritaire un peu décalé. Heureusement, son habile insertion dans le tissu parisien rendait sa présence furtive, sauf de l’île Saint-Louis et de la rive gauche. Pour sa réhabilitation, l’équipe lauréate cornaquée par la SPNA et Emerige a mis au point, dès l’appel à projets, un programme ad hoccomprenant notamment : des logements sociaux, intermédiaires et en accession, dans les ailes ; un hôtel de luxe surmonté d’un restaurant et d’un bar dans la tour ; une auberge de jeunesse et des bureaux, respectivement dans les nouvelles constructions, côté boulevard et côté Seine. Enfin, en sous-sol au milieu des espaces techniques et des parkings : un centre de remise en forme avec une piscine mutualisée directement accessible de l’hôtel et ouverte à certaines heures aux scolaires... Mais plus que le programme, c’est la présence d’Olafur Eliasson, l’un des artistes vivants les plus cotés au monde, qui rassurait. Le magicien, qui avait enfermé en 2003 le soleil dans le Turbine Hall de la Tate Modern à Londres et fait jaillir en 2016 une cascade du ciel dans le parc de Versailles, semblait aisément pouvoir transfigurer cette construction triste et austère et apparaissait comme l’homme de la situation. Arrêtons d’emblée le suspense : sa réponse, très peu visible de l’extérieur, est décevante. Le plafond miroir du restaurant de l’avant-dernier étage de la tour qui réfléchit le sol et les caissons de verre du bar, un étage plus haut, qui emprisonnent les nuages et se reflètent la nuit sur les parois vitrées pour s’étendre au-dessus de la capitale, ont des airs de déjà-vu. Ils rappellent deux œuvres de Jean Nouvel : l’auvent réfléchissant du Centre de la culture et des congrès de Lucerne et le plafond du Sofitel de Vienne, où le baldaquin coloré et lumineux réalisé par la géniale Pipilotti Rist se déploie à la fin du jour par le même jeu de reflets sur la ville entière. De plus les deux installations de l’artiste danois sont immédiatement euthanasiées par la décoration intérieure de l’agence Notoire, d’un luxe aussi tapageur que vulgaire...
Enfin l’architecture
Non, la radicalité et la magie ne viennent pas cette fois de l’art mais très clairement de l’architecture, plus précisément de l’intervention de David Chipperfield, associé à CALQ (pour la partie rénovation) et à BRS (pour les constructions neuves). Maîtrisant à la perfection sa discipline, il a su insuffler dans ce bâtiment graphique, désincarné et daté, quelque chose de l’ordre de la pesanteur et de l’immémoriel...
Sur le boulevard Morland, les passants sont immédiatement happés par la puissance archaïque des six colonnes champignons alignées qui jaillissent du sol pour porter la masse monolithique de l’auberge de jeunesse. Elles composent une haute arcade monumentale – comme celles de Turin ou de la rue de Rivoli – et accordent à cette voie inhospitalière une domesticité qui va se prolonger sur l’ancienne esplanade par un péristyle du même ordre mais au rythme plus rapide et plus léger. Cette structure présente un très important dévers qui la déséquilibre et l’oblige à s’encastrer dans le nouveau bâtiment pour ne pas basculer. Elle vient à sa périphérie effleurer les rez-de-chaussée de Laprade sans jamais les toucher, tandis qu’elle présente une façade lisse et des demi-poteaux autour du vide central comme si elle avait été coupée à la scie circulaire. La partie publique se prolonge ensuite par un passage voûté de même nature qui se glisse sous la tour, se dédouble de l’autre côté pour abriter un marché couvert avant de rejoindre la Seine.
Sur ces arches, qui dessinent une parfaite horizontale au-dessus du sol en pente entre le boulevard et le quai, viennent se poser les nouveaux volumes : d’un côté, parallèlement à la voie et, de l’autre, perpendiculairement au quai. Leurs angles arrondis excluent toute continuité avec le bâti existant et les font bien apparaître comme des adjonctions. Ils s’enveloppent uniformément d’un mur-rideau à la trame carrée pour mieux s’effacer et éviter tout dialogue intempestif avec les façades originales, ce qui aurait indéniablement alourdi l’ensemble. Une enveloppe neutre qui met en exergue les hautes arches de la structure en béton, en ayant cependant pour effet secondaire de rappeler les édifices publics de l’ancienne RDA, la couleur bronze du verre en moins...
Oublions l’hôtel, dont nous n’avons aperçu que le lobby pharaonique de l’agence RDAI. L’autre bonne surprise vient des ailes de bureaux réhabilitées en logements le long des rues Agrippa-d’Aubigné et de Schomberg. Les fenêtres ont été débarrassées de leurs allèges et, entre les hauts pilastres mortifères de Laprade, viennent se glisser d’étroits balcons préfabriqués aux impeccables garde-corps filaires. Ces batteries de balcons permettent un enrichissement de la composition dans les trois dimensions de l’espace, une profondeur qui donne aux pièces sur les rues la possibilité d’avoir chacune une extension à l’air libre...
À l’intérieur, la distribution reste à peu près identique : le grand couloir central qui desservait les bureaux a été remplacé par une succession de trois noyaux de circulation verticale qui permettent un certain nombre de logements traversants.
Les toits, conçus par Michel Desvigne, se présentent comme des successions de cimaises en laine de mouton permettant la culture maraîchère à la verticale, gérées par la société Sous les fraises. Posés sur un caillebottis métallique, sous lequel s’opèrent le traitement et le recyclage de l’eau d’arrosage, ces panneaux respectent scrupuleusement le rythme des pilastres et rappellent le potager du roi à Versailles tout en offrant un étonnant système de pièces ouvertes de toutes parts sur la ville.
The Truman Show
Mais avant de quitter les lieux, retournons déambuler au rez-de-chaussée de cette opération : d’abord dans l’ancienne esplanade dont le centre est occupé par un jardin de Michel Desvigne, composé d’épaisses couches végétales superposées, qui nous fait basculer dès que nous y pénétrons dans un autre monde, comme savait le faire Adolphe Alphand, notamment au square Montholon... Sous les portiques, à côté d’une boulangerie trop parisienne pour être vraie se tient la galerie d’art d’Emerige, où sont notamment exposés les artistes intervenus à des titres divers dans le projet d’aménagement; suit le restaurant où les serveurs sont d’une politesse à la fois exquise et presque inquiétante... Traversons le passage, la cour à gauche est entièrement occupée par un garage, où les vélos sont montés sur un système de rails à bascule importé de Hollande, et entrons dans le marché alimentaire tenu par l’enseigne Terroirs d’Avenir, où s’affairent vendeurs de fruits et légumes, fromagers, charcutiers et poissonniers à la barbe fraîchement taillée. Un environnement qui rappelle les personnages et les décors de The Truman Show, le film Peter Weir, et qui correspond parfaitement à « La Félicité », le nouveau nom de ce fragment de ville clés en main promis par la brochure donnée par l’attachée de presse au début de la visite. Une image heureusement vite brouillée par l’odeur du poisson, prisonnière des voûtes en béton qui, comme une prise de parole de Vladimir Poutine, nous ramène brutalement à la réalité...
Maîtres d'ouvrages : SPNA (Société Parisienne du Nouvel Arsenal), représentée par Emerige
Maîtres d'oeuvres : Architectes : David Chipperfield Architects Berlin avec BRS architectes ingénieurs & CALQ – Architectes d’intérieur : RDAI (lobby, chambres, spa, business center de l’hôtel), Notoire (restaurant, bar de l’hôtel), Olivier Lekien (restaurant de l’auberge de jeunesse) – Paysagiste : Michel Desvigne – BET et Consultants : 8’18”, Acceo Elevation, Accotec, Altetia, Arcadis, Artelia, Ava, Barbanel, Bollinger+Grohmann, Chatillon, CSD Faces, Dal, Dynamo, Encore Heureux, Etamine, Hacs, LHIRR, LM3C, MDS, Socotec, Somete, Sous les fraises
Entreprises : Bouygues Bâtiment, Île-de-France
Surfaces : 43 621 m2
Calendrier : 2011, départ des derniers occupants de la cité́ administrative ; 2014, lancement du concours Réinventer Paris ; 2016, résultats de la consultation; 2018, démarrage des travaux ; 2022, livraison
[ Maître d’ouvrage : Groupement local de coopération transfrontalièreArchitectes : Devaux &… [...] |
Clermont-Ferrand[ Maître d’ouvrage : client privé – Maître d’œuvre : Récita architecture … [...] |
[ Maîtrise d’ouvrage : BAST, architecte mandataireMaîtrise d’œuvre : commune de Montjoire&nbs… [...] |
[ Maîtrise d’ouvrage : commune de VelainesMaîtrise d’œuvre : GENS ; BET TCE, BET2CSignalétiq… [...] |
[ Maître d’ouvrage : Legendre immobilier – Maîtres d’œuvre : Atelier Kempe Thill (mandatair… [...] |
Maîtres d'ouvrages :conseil départemental des Hauts-de-SeineMaîtres d'oeuvres : Mars archite… [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |