René Burri |
Il a couvert les plus grands conflits de ces cinquante dernières années. Ses images ont fait le tour de la planète. Tel ce portrait de Che Guevara, alors ministre de l'Industrie cubaine, toisant le monde en fumant son cigare. Mais René Burri s'est également beaucoup intéressé à l'architecture, qu'il a toujours traitée sur le mode du reportage. À l'occasion de la superbe rétrospective que lui consacre la Maison européenne de la Photographie jusqu'au 14 mars et de la publication d'une très belle monographie aux éditions Phaidon, nous avons souhaité le rencontrer.
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d'Architectures : Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez travaillé sur l'architecture ?
René Burri : J'étais encore étudiant aux arts appliqués de Zurich lorsqu'un architecte de la ville m'a commandé un film. Il venait de construire une école dans un petit village aux alentours et il souhaitait que j'immortalise le déménagement des enfants de l'ancienne école à la nouvelle. Mais mes premières vraies photos d'architecture sont celles que j'ai faites de la chapelle de Ronchamp.
d'A : Comment a eu lieu votre rencontre avec Le Corbusier ?
R.B. : En 1955, alors que je venais d'intégrer l'agence Magnum, j'ai appris que Ronchamp était en chantier. J'y suis allé, et je me suis surtout intéressé aux ouvriers. Je couvrais souvent les expositions universelles. Pour des questions de bouclage, je m'arrangeais pour immortaliser des bâtiments en chantier comme s'ils étaient terminés. Au point où j'ai fini par passer pour un spécialiste du genre. Du coup, quand j'ai demandé à traiter l'inauguration de la chapelle, on m'a dit banco. C'est comme ça que j'ai photographié Corbu pour la première fois, sans oser me présenter. Mais son œuvre a tout de suite eu un impact considérable sur moi. Ce n'est qu'en 1958 que j'ai vraiment fait sa connaissance. Un jour, je lui ai ramené du désert égyptien un caillou nommé l'« œil de Dieu ». C'est à peine s'il m'a remercié. Vexé, je me suis dit que c'était la dernière fois que je lui offrais quelque chose. Mais le lendemain, sa secrétaire m'appelait pour me dire qu'il souhaitait me voir. Il avait aménagé dans son atelier une sorte de cagibi avec une table toujours en bazar. Quand je suis arrivé ce jour-là , elle était dégagée et le caillou trônait au milieu. On a parlé de tout, sauf de ce qui venait de se passer. C'est comme ça que j'ai commencé à comprendre le bonhomme. Je l'ai ensuite suivi sur plusieurs chantiers. Je me souviens d'une fois où il m'avait invité chez lui. Comme personne ne répondait, je suis entré. J'ai fini par le trouver en pantoufles, habillé d'une jaquette aux couleurs vives dans son atelier de peinture. Le choc ! Lui qui était toujours en costume et nœud papillon… Mais il ne me voyait et ne m'entendait toujours pas, tant il était absorbé par ses collages. Je me souviens avoir crapahuté jusqu'à lui comme un photographe de guerre, en faisant du bruit pour me faire remarquer mais sans le déranger. Au final, j'avais pratiquement mon appareil sur ses mains. Il me laissait faire, et c'était un moment magnifique de confiance. C'était quand même un homme qui méprisait les photographes. Une fois, il m'avait accusé de « faux témoignage » parce qu'une photo ne lui convenait pas ! Une autre fois, il a regretté que je ne lui laisse pas de tirages. « Pour votre gloire, pas la mienne », précisait-il.
d'A : Quels étaient vos rapports avec Lucien Hervé ?
R.B. : Lucien était un peu le photographe personnel de Corbu, et il répondait à toutes ses commandes. Au fond, les architectes veulent qu'on ne photographie que leurs constructions, avec – surtout – rien devant. Hervé a fait des merveilles. Il a transformé les bâtiments de Corbu en œuvres d'art et les structures du Corbusier en photos Lucien Hervé! Corbu ne m'a jamais passé de commandes. J'étais considéré comme un mercenaire puisque je venais pour les magazines.
d'A : Parlez-nous de Brasilia.
R.B. : C'était une expérience unique, magnifique. Il y a avait là une utopie pour quelque chose de pur. J'en ai suivi la construction pendant trois ans et demi. Il fallait tout terminer avant les élections. Un changement de majorité aurait mis un terme au chantier. J'y suis retourné il y a quelques années. Aujourd'hui, je suis frappé par le commercialisme de cette ville désormais touchée par la mondialisation.
d'A : Quelle différence faites-vous entre vos propres photos et celles des photographes d'architecture ?
R.B. : Eux s'attachent uniquement au bâtiment. Moi, je m'intéresse à son aspect social. D'ailleurs, je traite ces sujets sur le mode du reportage même s'il est essentiel de donner une description de l'œuvre dans un reportage. J'ai toujours lié mes sujets à des personnes ou à des événements. Il est arrivé que l'architecture prenne parfois le dessus, mais ça a toujours été sur un fond politico-social. En fait, je ne me suis jamais éloigné de ce que je faisais habituellement.
d'A : Quelles étaient vos relations avec Luis Barragan ?
R.B. : Je parlerais de sympathie et de conspiration. Il s'intéressait à tout : peinture, littérature, me montrait des villages mexicains à l'occasion de pique-niques mémorables. Il lui est arrivé de venir me chercher à l'aéroport avec une bouteille de champagne ! C'était un art de vivre. Il avait gagné beaucoup d'argent à ses débuts, ce qui fait qu'ensuite il n'a accepté que les choses qui l'intéressaient. On pourrait dire que c'est le Cartier-Bresson de l'architecture.
À lire : René Burri, « Photographies », éditions Phaidon, 448 pages, 95 €.
« Luis Barragan », photographies de René Burri, éditions Phaidon, 80 pages, 16,95 €,
« Le Corbusier : Moments in the Life of a Great Architect », photographies de René Burri, Birkenhauser Pap, 176 pages, 32,05 €.
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