auto-portrait © Raymond Depardon |
« Je ne peux filmer l'architecture sans les gens. »
Il y a quelque chose d'étourdissant à écouter Raymond Depardon, photographe de génie, documentariste exceptionnel. À mille lieux des discours arrêtés, sa pensée vagabonde, s'élance, galope, revient en arrière, poursuit une autre voie, en croise plusieurs. Nous l'avons rencontré à l'occasion de l'exposition 7 x 3 à la Fondation Cartier, à Paris, et pour évoquer Paris Journal, récit où l'on peut lire en creux une manière d'autobiographie. |
d'A : Quel rapport entretenez-vous avec la ville ?
Raymond Depardon : Je ne l'aime pas. Entre nous c'est l'amour-haine. Je suis monté de ma ferme du Garret à Paris, et, comme tout le monde, j'en ai bavé. D'autant que Paris est un faux village, une ville bien plus dure qu'elle ne le montre, peut-être même plus que New York. En même temps, je suis conscient d'y avoir fait la majorité de mes films.
d'A : Parlez-nous de vos derniers films, présentés à la Fondation Cartier.
R.D. : Chacun a été réalisé dans une ville différente, sept au total. Parmi elles, Tokyo et Shanghai – parce c'est là que se trouve la modernité aujourd'hui et non plus à New York ou à Los Angeles, comme dans les années 1980. En Europe, j'ai préféré m'arrêter sur Berlin et sur Moscou, qui émergent et se transforment, plutôt que sur Londres. Il me semblait aussi important d'avoir l'Orient, alors j'ai choisi Le Caire. N'ayant jamais mis les pieds à Rio, j'ai voulu savoir si c'était aussi beau qu'on le prétend. Et je n'ai pas été déçu. Je voulais aussi une petite ville décalée. Mon choix s'est porté sur Addis-Abeba, qui n'a été construite par personne, si ce n'est par les Africains eux-mêmes.
d'A : Comment avez-vous filmé ces villes ?
J'ai compris qu'on ne pouvait plus le faire de la même manière que dans les années 1960-1980. N'arrivant pas à filmer l'architecture, je me suis approché au plus près des gens, comme si je prenais une photo. Sauf que j'avais la durée pour moi. Je me suis aussi donné des contraintes, parce que c'est nécessaire et que j'adore ça. Du coup, je ne suis pas resté plus de trois jours dans chaque ville, et je n'ai filmé qu'un seul plan. Il me fallait aussi « exister » avec cette caméra. Alors je me suis laissé aller. De sorte que si passait une jolie fille, je la suivais du regard ! Avec cette commande, j'ai retrouvé la peur de filmer qui me hantait à mes débuts et que j'ai perdue en travaillant en équipe. Là , j'étais tout seul avec la peur d'être pris à partie, qu'on m'arrête, qu'on soit agressif avec moi. Or, ce tiraillement – oser et se retenir à la fois – est l'essence même de filmer.
d'A : Rio mise à part, vous connaissiez chacune de ces villes. Comment les avez-vous vues évoluer ?
L'architecture, c'est peut-être ce qui change le plus vite avec les vêtements. À Moscou, la place Rouge est devenue la place du Tertre. À Tokyo, la ville la plus riche du monde, tout est jetable. Je m'attendais pourtant à davantage de changements. C'est vrai qu'à Shanghai j'ai été surpris de trouver autant d'immeubles neufs. Je pensais voir les Shanghaïens travailler comme des fous. Tout comme je pensais que les Tokyoïtes commenceraient à se reposer, maintenant qu'ils sont riches. Mais non, ils bossent encore comme des malades et sont toujours aussi stressés, pressés, efficaces, alors que Shanghai reste « cool ». Rio, Addis et Le Caire, forcément, c'est plus flottant.
Le Caire m'est apparue comme une ville
d'hommes. À Tokyo, par contre, j'ai compris que ce sont les femmes qui profitent le plus des villes. Parce qu'elles leur offrent une
incroyable liberté de vie et de mouvement.
d'A : Avez-vous remarqué une certaine forme de globalisation de l'architecture ?
Oui et non. Certains espaces vont inévitablement se ressembler puisque 55 % du globe vit déjà dans les villes, et que ça va s'intensifier d'années en années. Ce qui implique de vraies révolutions à l'échelle de la Chine ou de l'Inde. Mais la globalisation n'est pas encore trop visible au niveau de l'architecture. Certes, les immeubles de Shanghai n'ont rien de chinois. On y trouve d'ailleurs de nombreux points communs avec ceux de Berlin. Nous autres, Français, sommes un peu à part. Comme
La Défense se trouve en dehors de Paris, nous connaissons peu l'architecture moderne et nous sommes généralement pétris d'a priori négatifs à son égard.
d'A : Comment appréhendez-vous l'architecture d'un lieu ?
C'est quelque chose que je prends systématiquement en compte, au même titre que le cadre, la lumière et les hommes présents. Mais j'ai mis du temps à m'en apercevoir. Je ne peux la filmer qu'avec les gens autour. Peut-être arriverai-je à le faire sans eux un jour. Mais avant ou après l'homme, le décor est toujours aussi important.
d'A : Quel rapport entretenez-vous avec les architectes ?
Nous n'avons jamais travaillé ensemble, mais c'est quelque chose de tout à fait envisageable. D'autant que je les tiens pour les héros d'aujourd'hui puisqu'ils préparent l'avenir. Par héritage, je me sens proche de Franck Lloyd Wright. Tout au ras du sol, dissimulé dans la nature. J'aime aussi le travail de Rem Koolhaas. Il faut cesser de voir la ville comme un centre historique et réfléchir aux années qui viennent. On ne peut pas loger tout le monde comme on loge les Parisiens du centre dans un hôtel particulier du marais. Mais tout le monde a droit à des lieux de convivialité. Je suis aussi pour un très grand classicisme.
À lire : Raymond Depardon, « 7 x 3 », éditions Fondation Cartier pour l'art contemporain - Actes Sud, 160 p., 40 e
Raymond Depardon, « Paris Journal », éditions Hazan, 536 p., 55 e
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