Mémoire douloureuse Concours pour le Learning Center de l’université Lyon 2, porte des Alpes

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 08/07/2019

Etat actuel de l’université

Article paru dans d'A n°273

Lyon 2, projet construit à la hâte dans l’après-68, voulait calmer les esprits en permettant à l’utopie d’une université pour tous de s’incarner. Son campus ouvert et transparent a été conçu en collaboration avec les usagers pour jeter les bases d’une société moins inégalitaire, où le savoir serait mieux partagé… « Que reste-t-il de tout cela? », chantait Charles Trenet pour nos amours de jeunesse : la réalité est aussi amère que la chanson…

Dans l’immédiat après-68, les étudiants de Lyon réclament un nouveau type de dispositif pédagogique fondé sur la concertation. En face d’eux, Edgar Faure, alors ministre de l’Éducation nationale, cherche à faire avancer les choses afin de ne pas s’enliser dans un affrontement stérile. Leur vœu sera ainsi exaucé sans tarder. Et ce ne sera pas un prix de Rome mais un jeune architecte qui vient de terminer ses études qui leur sera envoyé pour construire Lyon 2 avec eux, de 1969 à 1973. Après de multiples hésitations, cette université qui se voulait urbaine sera exilée au sud-est de la ville, à proximité de l’hippodrome et de l’A43, qui dessert les stations alpines puis l’Italie à travers le tunnel de Fréjus. Le chantier démarre avant même qu’un programme ne soit clairement éta bli, et des nappes tridimensionnelles en treillis métalliques portées par une trame de poteaux – le système Pétroff – s’élèvent sur cet espace résiduel. Cette structure sera ensuite habillée par Jean Prouvé d’élégants panneaux de façades fabriqués dans son atelier et rappelant ceux de l’Université libre de Berlin réalisé par Candilis, Josic et Woods à la même époque. Le projet a prudemment été exilé de la ville, qu’à cela ne tienne, il la retrouvera en lui-même… Dès la première phase, achevée en 1971, une rue intérieure traverse le bâtiment de part en part, elle se poursuivra ensuite dans les constructions ultérieures.

SE RÉARTICULER À LA VILLE

On ne dira pas qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre, mais c’est un des rares exemples d’une architecture traduisant les idéaux de 68. Elle peut être considérée comme une traduction spatiale des nouvelles modalités d’accès au savoir préconisées à cette époque :

refus de toutes formes de soumission à un maître et mise au premier plan du dialogue et de l’échange. Ainsi les salles étaient toujours ouvertes sur l’extérieur pour que l’enseignant soit placé sous le regard de la communauté, et les chaises de l’amphithéâtre pouvaient pivoter pour que des groupes de discussion puissent spontanément se créer. Tandis que les plateaux libres aléatoirement découpés de cloisons amovibles favorisaient l’interdisciplinarité, tout comme l’atrium central les assemblées générales… Mais les cloisons resteront fixes, les fauteuils pivotants qui grinçaient en tournant seront remplacés rapidement et le bâtiment, à la base conçu comme un agencement machinique en perpétuel mouvement, finira par se gripper tout en ne correspondant plus ni aux nouvelles normes ni surtout à la manière dont on enseigne aujourd’hui, autour de facultés défendant jalousement leur autonomie. La ville autrefois lointaine vient maintenant cerner le projet. Un plan conçu par Uaps prévoit de réarticuler cette université centrifuge autour de l’avenue de l’Europe et de son tramway. Et le nouveau Learning Center situé en bordure de cette voie apparaît comme la pièce majeure de cette liaison. Comme articuler ce bâtiment-ville à la vraie ville? Les concurrents se divisent en deux groupes clairement opposés : ceux qui ont cherché à porter le poids de l’histoire et à trouver un lien puissant avec les principes originels de l’ancien établissement; et ceux qui ont simplement aligné un objet le long d’une voie en répondant au programme et sans se poser plus de questions. Ainsi Marc Barani propose une construction infrastructurelle dans la continuité des nappes Pétroff, et les Bruther réinterprètent à leur manière les plateaux libres de Dottelonde en proposant une hyper flexibilité. Tandis que les équipes étrangères, qui n’ont visiblement pas cette culture, ont procédé tout autrement. Ainsi les Finlandais d’Ala – pourtant lauréats! – se sont-ils contentés de produire une boîte fonctionnelle et n’ont rien conservé de l’existant. Quant aux Portugais, des frères Aires Mateus de plus en plus autistes ou cyniques, ils donnent plutôt l’impression d’avoir recyclé des travaux antérieurs.

Grand Remplacement

ALA & Nicolas Favet architectes, Mayot & Toussaint paysagistes [Lauréat]

La proposition des Finlandais est d’une simplicité presque enfantine et se lit comme un gros jouet. Véritable cheval de Troie jonglant sur les phases, elle intègre dans un premier temps les deux bâtiments existants pour mieux les phagocyter ensuite. Si l’on peut s’interroger sur la qualité architecturale de ce projet et de son opportunité, on ne peut nier sa très grande clarté : un parallélépipède encastré dans la pente naturelle du terrain. Sa partie basse, composée d’ailettes structurelles en béton blanc, revêt un aspect massif tout en permettant un éclairage correct des espaces qu’elle renferme. Sa partie haute, totalement vitrée, laisse transparaître une structure en bois, composée de poteaux et de poutres bananes couvrant de grandes portées, qui lui accorde une iconicité bien tempérée, par opposition aux délires formels dont l’agence s’est rendue coupable dans les pays nordiques : la bibliothèque d’Helsinki ou le Kilden Performing Arts Centre de Kristiansand en Norvège. Le socle renferme tous les espaces communs et les articule fermement à l’avenue de l’Europe. Quant au plateau supérieur il s’ouvre en belvédère sur le paysage pour accueillir : à l’avant, la grande salle de lecture, à l’arrière, les espaces de co-working et, en mezzanine, les laboratoires. De même le réseau des circulations ressemble à un schéma grandeur nature : une rue intérieure longitudinale assure la jonction de l’université et de la ville, tandis qu’une plateforme transversale met en relation, en haut, les deux parties du Forum à l’air libre. Ces deux éléments sont solidement assujettis par des escaliers linéaires pour former une croix clairement lisible. Le projet cherche cependant à s’insérer davantage parmi les réalisations récentes – le bloc gris du pôle communication réalisé par l’agence Chabanne ou la surélévation orange de l’institut de psychologie réalisée par le groupe Patriarche – que parmi les nappes proliférantes de Dottelonde. Il participe au grand remplacement des nappes indifférenciées par les volumes siglés, comme à celui de l’université libre et ouverte à tous de l’après-68 par l’université d’aujourd’hui, de plus en plus sélective et fondée sur des départements en concurrence.

RET OUR VERS LE FUTUR

 Atelier Marc Barani & VERA Associés architectes, Marco Rossi paysagiste

Très subtil, le projet de Marc Barani cherche à concilier l’horizontalité de ce campus, qui trouve sa relation à la ville dans son organisation interne, avec l’idée d’un bloc autonome entrant dans la composition d’une façade urbaine alignée le long de l’avenue de l’Europe et de son tramway. Ainsi, plutôt que de construire un objet autour d’un programme – comme a pu le faire de ma - nière très scolaire l’équipe lauréate –, il a d’abord su remonter aux fondamentaux de cet établisse - ment hors norme en considérant les activités du Learning Center comme un simple nœud dans un système général de circulations et d’échanges. Semblable à une infrastructure, un socle cyclo - péen est d’abord élevé pour supporter comme une table ces flux multidirectionnels et rendre visible la différence de niveau existant entre le campus et l’avenue. L’ancienne bibliothèque, organiquement reliée à la première phase, est restaurée et trouve une enveloppe en adéquation avec sa structure. Le reste est déconstruit mais sa structure Pétroff est reconstituée pour former une pergola flottant audessus du vaste plateau d’échange. Un mouvement encore renforcé par le nouveau bâtiment, dont les étages accrochés par des suspentes métalliques à la toiture porteuse laisse totalement libre le niveau supérieur du socle. À l’intérieur tout s’organise autour d’un vaste atrium qui éclaire zénithalement de grands escaliers polyvalents reliant l’université à la ville.

FLEXIBILITE MAXIMALE

Bruther architectes (Stéphanie Bru et Alexandre Theriot)

Le terrain est débarrassé de ses constructions vétustes, seul subsiste le noyau en béton de la tour de l’ancienne bibliothèque et la verrière oblique de son atrium. Le sol ne fait pas l’objet de travaux de terrassement comme dans les propositions précédentes. Il reste en jachère esquissant une pente incertaine à l’image d’un Campo Vaccino new age ponctué des hautes silhouettes de l’ancienne et de la nouvelle construction. Le bâtiment de René Dottelonde accueillera les laboratoires tandis que le bâtiment neuf qui viendra s’aligner le long de l’avenue de l’Europe rassemblera les espaces essentiels du Learning Center. Pour ce nouveau type de programme Stéphanie Bru et Alexandre Theriot proposent une structure capable et adaptable. Une trame régulière de poteaux soutient ainsi des plateaux possédant deux types de hauteur sous-plafond : simple pour les espaces déterminés comme l’accueil au rez-de-chaussée et la strate de bureaux qui coupe la construction en son milieu ; double pour les autres niveaux. Ces derniers, entrecoupés de mezzanines de formes différentes, offrent des espaces variés ouverts à de multiples formes d’appropriation. Tandis qu’au Nord, une bande servante absorbe les circulations verticales et sanitaires pour garantir la flexibilité promise des espaces servis. Des balcons techniques faisant office de pare-soleil poursuivent les dalles et soulignent leur rythme syncopé. Des rideaux métalliques festonnés viennent s’y suspendre et donnent à cette organisation rationnelle une note baroque et décalée, signature de ces deux auteurs.

 

ARCHITECTURE EN SOLDE

Aires Mateus architectes, Ilex pays

Les frères Aires Mateus font beaucoup de concours, cela commence à se sentir. Ils se désintéressent de plus en plus de la question du contexte pour mieux se concentrer sur leurs thèmes de prédilection. Le cloître, par exemple, une organisation cartésienne qui ouvre au-dedans d’elle-même sur sa propre extériorité, sa propre géographie ou les jeux optiques, notamment expérimentés par Jesús Rafael Soto et les peintres de l’Op art. Ici, le projet vient se caler sur l’extrémité de la bibliothèque existante comme un train sur son butoir. Le sol est entièrement remodelé et s’avance comme un paysage collinaire intégrant certains éléments du programme, sur lequel vient flotter un long monolithe blanc percé d’un atrium. Tandis que les ailettes structurelles qui composent l’enveloppe du parallélépipède s’organisent selon des directions différentes pour sembler s’ouvrir ou se fermer en fonction du déplacement du public sur le campus. Un projet qui recycle, d’un côté, la proposition non retenue pour l’extension de la Nouvelle Galerie nationale de Berlin, et de l’autre les façades du siège de la compagnie nationale d’électricité à Lisbonne. On aurait préféré que ces architectes talentueux répondent avec plus de justesse au devenir d’une université ouverte et centrifuge que la ville, qui n’existait pas à l’origine, est venue lentement étouffer.

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