Martin Argyroglo, clichés à fort potentiel ajouté

Rédigé par Marie-Madeleine OZDOBA
Publié le 27/09/2016

Martin Argyroglo

Article paru dans d'A n°248

Martin Argyroglo arpente son environnement à la découverte des « choses plastiques qui s’offrent à nous Â». Qu’il photographie l’architecture, les espaces scénographiés, les expositions et installations d’art contemporain, le spectacle vivant ou qu’il se fasse reporter, ses images frappent par leur qualité transversale : seuls leurs usages permettent de distinguer à quels genres photographiques elles renvoient. À contre-pied de l’œuvre d’art comme objet intangible, le photographe décrit sa production comme une archive ouverte, jamais finie, prête à être appropriée dans des usages encore indéfinis. Ses clichés enrichissent ainsi une série d’archives partagées, où ils réalisent leur potentiel au contact des autres.

Né en 1983 à Paris, Martin Argyroglo s’initie à la photographie dès le plus jeune âge. À l’issue d’un parcours littéraire, il s’engage dans des études de photographie plutôt techniques à l’école des Gobelins, qu’il prolonge par un cursus aux Beaux-Arts de Paris, plus axé sur l’histoire et la culture visuelle. C’est aussi à cette époque qu’il découvre la pratique professionnelle aux côtés de Marc Riboud (1923-2016), dont il sera l’assistant pendant sept ans. Pour le photographe de l’agence Magnum, il gère tous les « Ã -côtés Â» du métier, dont principalement les archives et l’exploitation des images. Martin Argyroglo développe sa propre activité de photographe indépendant depuis 2008. Il a d’abord documenté des expositions pour des lieux d’art contemporain, avant d’étendre sa pratique à l’architecture.


Un champ d’action transversal

Le champ d’action de Martin Argyroglo couvre aujourd’hui la photographie d’architecture, la photographie des espaces scénographiés, la photographie d’expositions d’art contemporain et d’installations, le reportage et le spectacle vivant. Par le jeu du bouche à oreille et par affinités, Martin Argyroglo cultive des relations avec des architectes et des paysagistes, un domaine qui l’intéresse particulièrement pour l’appréhension de l’espace qu’il suppose. Il a notamment archivé les projets de Jacqueline Osty, dont le parc des Batignolles à Paris ou encore le chantier du zoo de Vincennes, qu’il a suivi sur le temps long. Les projets à l’intersection de plusieurs disciplines l’intéressent particulièrement, comme le château de Rentilly, deuxième lieu du FRAC Île-de-France, collaboration entre l’artiste plasticien Xavier Veilhan, les architectes Bona-Lemercier et le scénographe Alexis Bertrand.

Outre les commandes, il arrive qu’Argyroglo travaille « en spéculatif Â» sur des projets emblématiques d’architecture ou de paysage, pour proposer ensuite les photos à des iconographes ou aux architectes eux-mêmes. Dans un autre registre, les photographies issues de ses déambulations dans les meetings politiques et les grandes manifestations parisiennes depuis Charlie, par exemple, ont été reprises par la presse internationale.

Loin de se conformer aux codes en vigueur, le photographe s’adonne à un savant jeu de translations entre les différents sujets qu’il aborde : comme son usage des verticales redressées de la photographie d’architecture lorsqu’il documente des spectacles vivants, ou encore son attention au mouvement des corps lorsqu’il réalise des reportages dans l’espace urbain. Dès lors qu’elles se trouvent juxtaposées, ses images frappent par leur qualité transversale : il n’y a plus que leurs usages qui puissent distinguer les différents genres photographiques les uns des autres.


Paysages du Grand Paris

Martin Argyroglo observe les paysages urbains et les lieux parisiens en tant qu’espaces symboliques. Il voit par exemple la manifestation comme un Â« théâtre des opérations Â», et l’appropriation des places publiques parisiennes comme « le lieu d’une esthétique du rassemblement Â». Argyroglo dit volontiers qu’il produit des clichés – un mot qui pour lui n’est pas péjoratif. Témoin d’événements politiques, de constructions et de démolitions, à l’affût des espaces qui n’existent plus lorsque l’on y retourne et des histoires qui s’y déroulent, le photographe collectionne les « déjà-vus, dignes d’être peints ou repeints Â».

Ainsi, sa pratique conjugue la quête de savoir et la quête artistique, dans la tradition des photographes du XIXe siècle à la fois artistes et documentaristes, auteurs de récits de voyages pittoresques et de missions photographiques, dont il se revendique volontiers.

Le carnet de notes du Grand Paris, qu’il enrichit depuis plus de dix ans, est la chronique d’un territoire où il s’inscrit à la fois comme photographe, sujet politique et simple curieux. À l’inverse d’un regard de spécialiste qui en déchiffrerait les espaces, Martin Argyroglo arpente les paysages du Grand Paris en cultivant un Å“il toujours neuf et sans a priori, à la découverte des « choses plastiques qui s’offrent à nous Â».


Une photographie utile

« Une image qui n’est pas publiée, cela ne sert à rien Â», estime-t-il. À contre-pied de l’œuvre d’art comme objet intangible, il cherche à « faire vivre Â» ses images au-delà de la commande, c’est-à-dire à les « réactualiser sur des problématiques qui ne sont pas forcément celles pour lesquelles elles ont été produites Â». C’est de sa collaboration avec Marc Riboud – qui avait le souci de la réutilisation de ses archives – qu’Argyroglo tire sa préférence pour les images utiles, s’adaptant à leurs différents contextes de publication.

Martin Argyroglo décrit sa production comme une accumulation d’images « qui peuvent correspondre à un usage ou pas, maintenant ou plus tard Â» : une archive ouverte, jamais finie, prête à être appropriée dans des usages encore indéfinis. Ses travaux de commande y côtoient les images réalisées dans le cadre de projets personnels.

Bien davantage qu’une plateforme d’autopromotion, son site Internet permet ainsi de visionner une large sélection de photographies. Mais au-delà de son propre portfolio, ses clichés enrichissent une série d’archives partagées, comme le projet de l’association de photographes indépendants Divergence Images, dont le site Internet stocke et met en relation pas moins d’un million d’images. Les possibilités issues de l’accumulation de photographies en ligne, telles que la création de « fils narratifs Â» à partir de mots clés, sont au cÅ“ur de sa démarche – car elles permettent, précisément, aux images de sortir d’une archive, pour réaliser tout leur potentiel.

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