Portrait de Marie Sommer |
Marie Sommer utilise la photographie comme un prétexte pour regarder les lieux chargés d’histoire ou des bâtiments en ruine. Les images qu’elle en rapporte rendent sensible l’écoulement du temps et la fragilité de la mémoire. |
C’est le désir de sortir de l’atelier qui a conduit Marie Sommer à
la photographie alors qu’elle étudiait dans la section « Image imprimée »
de l’École des arts décoratifs à Paris. Nous sommes en 2009, le
dessin et la gravure peinent à répondre à ses attentes, un sentiment
d’enfermement étouffe son travail. Elle ressent le besoin de sortir de
l’atelier, de marcher, d’aller à la rencontre de lieux et de bâtiments
qu’elle photographiera. Le geste en lui même est secondaire, ce sont les
découvertes qu’il provoque qui comptent. Pour ne pas passer à côté de
ce qui s’offre au regard, la technique ne doit jamais être encombrante.
Marie Sommer se veut mobile, furtive, photographiant au moyen format argentique,
sans pied. Elle n’hésitera pas ensuite à corriger les approximations de la
prise de vue.
Un projet va enfin répondre à ses attentes : à l’ouest de Berlin, Teufelsberg est une colline constituée des gravats de la destruction de la Seconde Guerre mondiale. Albert Speer avait construit sur cette étendue plate l’université technique et militaire nazie. Pour des raisons plus pratiques que symboliques, les Alliés ont décidé de la recouvrir des décombres de la ville bombardée, et les Berlinois ont fait le travail. Sur cette île qu’est la colline du Diable, nommée d’après le lac dont la forme évoque un diable, Marie Sommer a marché à la rencontre de l’Histoire ; non pour l’interroger ou entretenir la mémoire des lieux mais pour tenter de capturer le sentiment de l’écoulement du temps. Elle cherche davantage à montrer que d’autres événements s’y sont déroulés, qu’il y a eu d’autres histoires que la sienne, que quoi qu’il arrive la vie continue, que les usages changent, que l’oubli recouvre les pierres. Faire en sorte que son passage et ses photographies ne soient qu’une étape supplémentaire dans le fil narratif de la colline.
L’impermanence des choses
Son propos n’est en aucun cas documentaire. Il lui faut pour cela
rendre sensible ce qui se joue entre la remémoration, le souvenir et l’oubli.
Si les ruines sont au cœur de son travail, elle ne se laisse pas fasciner par
leurs formes théâtrales. Elle y recherche plutôt le témoignage des choses
advenues, le reflet des gens qui y ont vécu. Comme beaucoup de
photographes, Marie Sommer accorde une place privilégiée aux livres,
parce qu’il faut montrer ses images bien sûr, mais aussi parce qu’ils sont
pour elle un objet à forte valeur symbolique en tant qu’éléments
d’archives.
Dans Les Ruines circulaires, elle photographie la bibliothèque
abandonnée de l’École de sciences politiques de Kumrovec, la ville natale
de Tito, aujourd’hui en Croatie. On y voit des livres jetés à terre,
des étagères arrachées pour être récupérées. Dans une installation
accompagnant l’exposition des tirages, elle a montré des livres ouverts
sur des images de l’histoire de la Yougoslavie. Les archives et leur
conservation ont pour la photographe autant d’importance que ce que l’on
conserve puis oublie. En publiant son travail sous forme de livres et
en photographiant des livres abandonnés à Kumrovec, la photographe
questionne autant l’infinie reproductibilité des images propre au XXe siècle que
l’impermanence de l’image imprimée, un élément prépondérant de sa
réflexion, tout comme les archives qu’elle aime à faire apparaître aux
côtés de ses propres photographies. Le livre permet de transporter des
lieux à la fois dans l’espace et dans le temps, mais sa difficile
conservation et le poids du numérique le rendent encore plus fragile.
Ainsi du cahier détaché accompagnant le livre Teufelsberg, des images
mêlées aux siennes de Surfaces et des livres exposés de la série Les
Ruines circulaires. La photographie lui a offert la possibilité de sortir
de l’atelier, mais c’est également en tant qu’outil fortement inscrit dans
Caspar David Friedrich, le siècle dernier qu’elle s’y intéresse. Ces
ruines sont autant celles de bâtiments que celles d’un siècle révolu.
L’île est un autre motif récurrent du travail de Marie Sommer. De l’île de Rügen, célèbre pour les peintures de Caspar David Friedrich, elle s’intéresse aux falaises de craies dont l’érosion transforme constamment l’aspect tout en interrogeant la permanence. Sous son regard, Teufelsberg devient une île étrange créée par l’homme sur un paysage plat. Les livres abandonnés de Ruines circulaires sont aussi comme des îles, géographie aléatoire d’histoires oubliées jonchant le sol. Du Frioul à Marseille ou à Tenerife, les îles vues par la photographe sont aussi rassurantes qu’inquiétantes. Laissant vagabonder l’imaginaire, elles invitent au voyage, qu’il soit un déplacement vers un ailleurs ou une circonvolution intérieure. Elle nous interroge sur l’impermanence des choses, l’écoulement du temps et nos tentatives de l’archiver.
Lisez la suite de cet article dans :
N° 252 - Avril 2017
Photographe et marcheur, Samuel Hoppe quitte régulièrement sa librairie parisienne (la bien nommé… [...] |
Giaime Meloni découvre la photographie pendant ses études d’architecture à l’université de C… [...] |
Alors même que l’intelligence artificielle inquiète le monde de l’image en fragilisant la noti… [...] |
Si les terres fermes ont été presque entièrement explorées et représentées, ce n’est pas l… [...] |
Délicate et profonde, l’œuvre de Sandrine Marc couvre tout le processus photographique, de l… [...] |
En 2001, le peintre anglais David Hockney publiait un ouvrage consacré à l’usage des appareils … [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |