Dehli, 1985 © Marc Riboud |
Il aurait aimé être architecte. À la place, il est devenu l'un des plus grands photographes humanistes du XXème siècle. Marc Riboud fête cette année ses 50 ans de carrière à travers plusieurs expositions, dont celle, sublime, de la Maison Européenne de la Photographie à Paris. L'occasion de découvrir l'art espiègle, serein et délicat de ce poète qui ne cesse de conjuguer la forme et le fond. Rencontre.
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Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l'architecture ?
C'était au début des années 1960, aux Etats-Unis, grâce à Pei que j'ai rencontré chez des amis. Je rentrais de mon premier voyage en Chine. Lui y était interdit de séjour. Ce qui le rendait d'une curiosité insatiable. À sa demande, je lui ai tout raconté, tout décrit, dans le moindre détail. En échange, il m'a montré ce qu'il faisait. J'étais sidéré qu'on devienne amis. En France je n'aurais jamais pu approcher un aussi grand homme. Nous avons ensuite travaillé ensemble, sur la Pyramide du Louvre notamment. J'ai suivi toutes les étapes du chantier à ses côtés. Il prenait le soin de tout m'expliquer, et ça me passionnait. J'étais avec lui le jour où il a présenté son projet à François Mitterrand. Ce dernier ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi il voulait bâtir une pyramide et a ensuite été furieux contre les petites. Mais Pei a su se montrer convaincant. Un exemple : il souhaitait utiliser un verre uniquement disponible en Allemagne. Et comme Mitterrand voulait faire de cette pyramide le symbole de son règne, il a fait construire un four qui a servi exclusivement pour cette occasion.
Avez-vous travaillé avec d'autres architectes ?
Après cette première expérience, Renzo Piano m'a demandé de le suivre sur la Fondation de Mesnil à Houston. Elle s'inspire d'un musée en Israël où la lumière du jour est tamisée par deux plans qui ne laissent pas passer les rayons du soleil directement mais par ricochets. Il m'arrive aussi d'aller moi-même à la rencontre d'architectes. Comme j'aime voir de près ce dont les gens parlent de loin, j'ai demandé à Paul Andreu si je pouvais photographier l'Opéra de Pékin. Nous avons fait une visite de chantier ensemble. J'espère y retourner cet automne. Je le sais bouleversé par la tragédie de Roissy qu'il vit comme un drame personnel.
Travaillez-vous différemment lorsque vous vous « attaquez » à un bâtiment ?
Absolument pas. La photo est un dessin géométrique qui tente de ceindre le désordre de la nature. Une belle image dépend toujours de la lumière, des ombres, des formes et des lignes. Quel que soit mon sujet, je m'astreins à une même discipline de composition, d'harmonie, de rythme, de plaisir de l'œil qui doivent aussi témoigner Je dois montrer l'architecture. Photographier des ombres vagues ne suffit pas. J'aime l'étrangeté dans les reflets des constructions, les surprises visuelles qu'elles provoquent. Et des personnages apparaissent pour souligner la dimension humaine d'un lieu.
Quels sont les bâtiments qui vous ont le plus impressionnés ?
Le Guggenheim de Bilbao offre des jeux de lumière extraordinaires. Pas une seule ligne droite là -dedans. Tout y est courbe. J'aime, bien sûr, la Pyramide du Louvre. Je suis fasciné par sa base dont le contour se répercute tout au long de la cour carrée et de la cour Napoléon, elle-même dallée de pavés carrés qui dessinent au final un grand carré. Ce sont de merveilleuses astuces de géométrie. La Banque de Chine, imaginée par Pei à Hong Kong est un prodige de simplicité. Comme un ensorcelant jeu de construction pour enfants de 10 ans ! Et que dire de la Tour Jim Mao à Shanghai ? Avec ses 420 mètres, c'est la plus haute d'Asie. D'ailleurs, une fois sur trois, elle fend les nuages, comme pour flirter avec le mythe de la Tour de Babel.
Vous qui n'avez cessé de vous rendre en Chine, comment y avez-vous vu évoluer l'architecture ?
Après la prise de pouvoir de Mao en 1949, on n'a plus rien construit à l'exception de quelques bâtiments d'inspiration soviétique à Pékin. Lorsqu'au début des années 1980 Deng Xiaoping a demandé à Pei de bâtir de belles tours dans le centre de la capitale chinoise, ce dernier a refusé. Il ne voulait pas rompre le magnifique skyline de la ville. Il était en effet interdit de dépasser la hauteur de la Cité Interdite depuis le XIIème siècle. C'est pour cette raison que Pei a établi son hôtel sur la Colline des Parfums, à 45 minutes de Pékin. Mais vers 1985, on a vu pousser des tours comme des champignons après la pluie. Or ce qui se développe trop vite est forcément laid.
Quels sont les points communs entre l'architecte et le photographe ?
Ces deux disciplines étant visuelles, je dirais la lumière et la géométrie. Mais la photo a deux dimensions tandis que l'architecture en a trois. Je retrouve dans les travaux des architectes les mêmes interrogations que celles qui se posent à moi en tant que photographe. À commencer par la différence entre l'œil – ce qui est visuel – et la pensée – ce qui est écrit. Pei est pétri de culture classique mais ne sait pas écrire. Le livre de Paul Andreu est lui, d'une grande qualité littéraire. Contrairement à Cartier-Bresson, je ne sais pas écrire. Mon point de vue part de l'œil. Il est étrange qu'on ait jamais dit de l'architecte qu'il est un grand artiste. Il sait pourtant allier le fonctionnel à l'esthétique. On se demande cependant, à la lumière de la tragédie de Roissy, si la technologie n'atteint pas ses limites. Ce qui n'est pas le cas dans d'autres domaines : si je rate une photo, cela n'affecte personne.
Propos recueillis par Yasmine Youssi
Exposition Marc Riboud à la Maison Européenne de la Photographie à Paris jusqu'au 24 octobre. Tél. : 01 44 78 75 00.
A lire : Marc Riboud, 50 ans de photographie, éditions Flammarion, 176 pages, 50 euros.
Photo : Delhi, 1985. Photo page 109 du catalogue de la M.E.P. paru aux éditions Flammarion (Marc Riboud, 50 ans de photographie).
« Il y a deux choses qui me tiennent à cœur dans cette photo : ce couple d'amoureux qui donne, à mes yeux, la dimension humaine du lieu et aussi ces ronds. Cette forme m'a toujours fasciné. ».
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