Portrait de Lynn Davis |
Voilà près de vingt ans que la photographe américaine Lynn Davis parcourt la planète. Du Groenland aux confins de l'Afrique, elle a immortalisé les plus grands monuments du monde, à la manière de ces photographes voyageurs du xixe siècle. Cette année, elle a choisi de poser ses valises en France pour sonder l'architecture moderne de l'entre-deux-guerres dans des images géométriques quasi abstraites. |
d'A : Qu'est-ce qui a inspiré
votre dernière série « The French Project » ?
Lynn Davis : Au
cours des dernières années, je me suis intéressée aux
constructions modernes aux États-Unis. Notamment à celles de Philip
Johnson ou de Franck Lloyd Wright. Cela a bien sûr fini par me
conduire à la source, et donc à Le Corbusier. Je suis alors venue
en France, sans savoir ce qui allait ressortir de mes recherches.
J'ai finalement décidé de me concentrer sur l'entre-deux-guerres.
J'ai été fascinée par le « Cabanon » de Le Corbusier. Dans ce
minuscule espace en bois, pratiquement « fait main », se trouve la
source de toute la pensée moderne, l'idée conceptuelle de tant de
choses. Je l'ai ressenti comme un centre émotionnel. Où que je
braquais mon appareil se dessinait une sorte de peinture abstraite.
C'est quelque chose de très émouvant. On comprend beaucoup mieux
ce qui a suivi ensuite et comment tout cela a été étendu à un
espace bien plus large. Le modernisme n'a jamais vraiment pris
racine en France. Plusieurs architectes de cette école se sont
réfugiés en Californie pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec le
désert, la mer et les montagnes à portée de vue, cette région
était l'endroit idéal pour accueillir leurs réalisations. Mais
c'est surtout le climat qui a fait toute la différence. Il permet,
par exemple, la construction du toit plat, chose absolument
impossible sur la côte Est. Il faut dire aussi que la Californie
recherchait de nouvelles formes permettant de construire des
immeubles à moindre coût.
d'A : Vos photos rappellent
l'abstraction géométrique de Mondrian, Malevitch ou Fernand
Léger.
L. D. : Contrairement à ce qui s'est passé aux
États-Unis, ces peintres faisaient partie du mouvement moderne.
C'est vrai que mes photos pourraient très bien être des
peintures. Et c'est justement ce rapport à la peinture qui m'a
le plus intéressée. D'autant que chaque fois que je regardais
dans mon viseur, j'avais l'impression d'observer des tableaux
dans l'espace, en trois dimensions. Avec cette série, j'utilise
la couleur pour la première fois. Grâce aux avancées
informatiques, on peut désormais affiner les teintes sur son propre
ordinateur et pour une fois la palette proposée me convient
parfaitement. Même si elle ne traduit pas exactement la réalité,
elle retransmet l'émotion qui s'en dégage. J'ai également
utilisé du papier aquarelle. L'image s'y dépose, alors qu'avec
du papier photo elle reste à la surface. Grâce à tout cela on va
au-delà d'un simple regard photographique.
Cette série comprend
également plusieurs images de blockhaus. C'est quelque chose qui
m'a toujours captivée, même si la perception qu'on en a est Ã
double tranchant. Paul Virillo a écrit les choses les plus
intéressantes à ce sujet. Certains blockhaus ont été réalisés
par des architectes du Bauhaus dont l'histoire n'a pas retenu le
nom. Ce sont des bâtiments modernes même s'ils ont une influence
Arts déco. Ils ont donc une place à part entière dans ce projet.
d'A : Comment avez-vous travaillé pour cette série ?
L. D. :
Lorsque je travaille sur un monument, les pyramides d'Égypte par
exemple, je tourne généralement autour jusqu'à ce qu'apparaisse
l'essence même du site. Pour les intérieurs de cette série,
c'était pratiquement impossible du fait de l'étroitesse des
lieux. Je me retrouvais au milieu d'une pièce à tourner sur
moi-même. Au bout du compte, ce qui apparaît dans mon viseur
correspond exactement à l'image que je veux garder. Ainsi, je n'ai
pas besoin de retoucher ou de recadrer mes photos par la suite.
d'A
: Vous avez notamment été formée par Berenice Abbott. En quoi son
apprentissage vous a-t-il influencée?
L. D. : Lisette Model et
Berenice Abbott ont été mes mentors photographiques. C'est
Lisette qui m'a présenté Berenice dont j'ai été l'assistante
en 1974. Elle avait une bibliothèque extraordinaire – entre
autres, pour tout ce qui concernait Atget – que j'avais le droit
d'utiliser pendant mes pauses déjeuner. Ce n'était pas facile
de travailler pour elle. Elle ne parlait pas beaucoup. Mais j'ai
énormément appris à son contact. La rigueur par exemple. Surtout
pour ce qui est du travail en chambre noire. D'ailleurs, il n'y
avait que ça qui comptait. Elle se moquait totalement de tout
l'aspect financier de la photo. En un sens, je pense que « The
French Project » a beaucoup à voir avec ce qu'elle m'a appris.
Du reste, la période que j'ai choisie – l'entre-deux-guerres –
correspond au moment où elle se trouvait en France. Ma perception et
ma compréhension de cette époque viennent certainement d'elle.
d'A : Vous avez dit : « Toutes mes photos sont très construites. » Vous sentez-vous l'âme d'une architecte ?
L. D. : Du fait de leur instantanéité, la construction de mes images ressemble moins à celle d'un bâtiment qu'à celle d'un poème. Construire implique un processus lent et de nécessaires compromis. D'ailleurs, je ne pense pas que je serais une bonne architecte. Je me sens davantage comme une puriste du constructivisme. Ma perception est plus visuelle que tridimensionnelle. (YY)
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